31 août 2015

Pour toi mon pote

C'est un besoin égocentrique, pas même une nécessité morale ou quoi que ce soit qui légitimerait la démarche. Si j'écris ce billet, c'est uniquement parce que j'ai besoin de le faire, de penser à lui, de ne surtout pas oublier ce qu'il a été, et plus encore de maintenir en moi sa mémoire.

Les gens se lamentent non sur les gens qui partent, mais sur eux-mêmes. On ne pleure pas tant le défunt que le vide qu'il va laisser, et en cela il est souvent intolérable d'entendre les jérémiades et autres comédies que font certains quand le moment se révèle normalement opportun. Ah, toi mon pote, tu ne t'es jamais lamenté sur ton sort peu enviable, jamais tu ne t'es plaint de quoi que ce soit. Nous autres, nous avons pu savourer ce que toi tu as pu vivre que par procuration… Alors pleurer sur nous, ce serait te faire insulte. Toi mon pote, tu as vécu douze années soit alité, soit dans un fauteuil, avec pour seule possibilité de vivre que de compter sur les autres. Et pourtant, tu as été plus actif que l'immense majorité des valides, ce qui démontre bien que le cœur est un moteur particulièrement puissant.

Déterminé, grande gueule, intransigeant, comique de l'absurde, toi mon pote tu as su me faire chialer, rire, et au final tu es parti, là, sans véritable bonne raison, parce qu'au fond il n'y a jamais de bonne raison. Je ne veux pas garder l'image de mon pote allongé dans une caisse de sapin, mais celle de l'abruti fini, le comique de l'absurde, qui s'acharnait à tous nous faire nous marrer, afin peut-être de détourner notre attention de ce que tu pouvais vivre au quotidien. Tout était pénible pour toi, chaque geste du quotidien était tributaire de quelqu'un. Les gens qui peuvent pisser seuls ne se rendent pas compte de la chance que cela représente… et dire que tu ironisais là-dessus! On ne se rend vraiment compte de ce qu'on a que quand on le perd.

Tu as construit des amitiés inusables, et ceci en quelques secondes. Dix secondes pour se présenter, autant pour devenir des potes, et une éternité à le rester. Je ne dis pas "tu étais", mais tu es et resteras mon pote, mon ami, parce que c'était toi, parce qu'il ne faut pas parler au passé mais bel et bien au présent.

Je ne veux pas chialer. J'ai juste envie de rigoler un coup en me remémorant nos moments aussi débiles que touchants, nos instants de pure folie, où l'on savait qu'il y avait une tendresse réciproque, une confiance inaltérable et une amitié indéfectible. Douze ans, ça semble long, pourtant c'était hier. Toi mon pote, celui que j'ai surnommé le palmier à cause d'une coupe de cheveux improbable, tu es encore là, sûrement assis soit sur un nuage, soit à la droite d'un type tout rouge, et tu nous regardes l'œil pétillant, te disant "mais quelle bande de cons!".

Tu t'es moqué de tout, du destin, des gens, des choses, de toi-même, de ta situation, et c'est comme ça que tu as fait que les gens t'aiment pour ce que tu es, et pas pour ce qu'ils voulaient que tu sois. Authentique, direct et abrupt, tu es encore là, quelque-part dans ma tête, à me chuchoter que "Le costard te va… si tu veux faire vigile chez Carrefour", ou encore "Viens te boire un bon rhum vieux, on va refaire le monde!".

Est-ce que je pleure mon pote? Non. Je ne veux pas le pleurer, il se foutrait de moi en râlant à qui veut l'entendre que "la vie est une connasse à qui il faut envoyer des tartes dans la gueule". Elle t'a collé une torgnole cruelle, et toi tu t'es marré. Oui, tu as ri quand d'autres s'écroulaient. C'est toi qui as soutenu tes proches tandis que tu étais à l'hôpital, et non l'inverse. Est-ce là ce qu'on appelle le caractère? Je crois que tu es l'exemple même du caractère, de la volonté farouche et inusable de vivre, au jour le jour, advienne que pourra.

La tête pleine de projets, je ne regrette qu'une chose, que tu n'aies pas eu le temps de tous les mener à bien.

Mon projet à moi c'est de vivre, de te montrer, où que tu sois, que tu n'auras jamais à regretter de m'avoir montré qu'il faut vivre à tout prix, qu'il faut se battre pour ce qu'on désire.

Merci mon pote, à bientôt si le destin a de l'humour… et le connaissant ironique, on se croisera tôt ou tard, et tu m'offriras un pot en me disant "t'en auras mis du temps mec!"

Aujourd'hui,
On t'a mis dans une boîte.
On t'a incinéré.
Et pourtant tu seras toujours là.

Ton pote, ton ami,

FRED