30 août 2013

ADN: pour et contre... à voir et à utiliser

A regarder, écouter, et interroger (le tout est interactif)...

La génétique chez soi? Sur lemonde.fr

29 août 2013

Réflexion sur la modernité et les gosses

En moins de dix ans, nous sommes passés d'un monde où les produits informatiques et électroniques étaient des objets complexes, à de véritables jouets abordables par le plus grand nombre. Prenez les tablettes: qui a lu quoi que ce soit avant d'essayer de s'en servir? Qui a pris le temps ne serait-ce que de lire un quelconque tutoriel avant de la démarrer puis d'en faire le tour avec son doigt? Personne. De ce fait, l'ordinateur complexe, lourd, encombrant, nécessitant une certaine connaissance, est devenu un truc mobile, qui tient dans un sac, qui ne nécessite rien ou presque pour s'en servir, et qui plus est permet de s'amuser sans trop réfléchir. De la même manière, les téléphones portables sont passés du "je téléphone", à "je fais plein de choses, et accessoirement je passe un coup de fil". Seulement voilà, se pose-t-on la question de savoir l'impact de ces produits sur notre progéniture? Est-ce judicieux de leur coller une tablette dans les pattes? Est-ce même une bonne idée d'un point de vue ludique et éducatif?

Les plus enthousiastes vont évidemment argumenter sur les avantages des tablettes et leur haute connectivité: réseau, vidéos sur le net, sites divers et variés, applications de jeux innombrables, applications ludoéducatives de plus en plus nombreuses, et même la lecture de livres numériques. Alors oui, pour un ado ou un adulte, cela semble un nouvel outil super intéressant, et qui plus est débarrassé des lourdeurs et complexités des machines de bureau. En plus, quoi de plus génial de pouvoir faire tranquillement ses consultations sur les réseaux sociaux, sans avoir un gros machin à clavier pour ne faire que de la lecture? Ces enthousiastes essaieront en plus d'enfoncer le clou en revendiquant l'aspect "on peut contrôler ce qu'on installe, suffit de ne pas laisser les stores activés" etc etc... Mais ces arguments sont, à mon sens, valides que pour les enfants ayant dépassés un certain âge, et je vais m'en expliquer.

Je suis particulièrement inquiet sur une thématique simple: on ne laisse pas un gosse se servir seul de quelque outil informatique susceptible d'aller sur le net, pas plus qu'on ne le laisse se dépatouiller avec le dit outil histoire de l'occuper. L'ordinateur, et dorénavant la tablette ne devraient pas être des substituts aux relations qu'on doit entretenir avec nos enfants. Je pousse le raisonnement jusqu'au bout: je ne trouve pas logique qu'on puisse penser qu'une tablette puisse fournir un semblant d'éducation via des jeux éducatifs sur l'alphabet, les chiffres, les couleurs, ou quoi que ce soit d'autre. Ce genre d'activité se doit d'être pratiqué avec les parents, et surtout avec des choses concrètes. Pourquoi? Lisez la suite, vous allez vite saisir...

Quiconque utilise intensivement le clavier (comme moi) et peu le stylo doit avoir constaté que son écriture manuscrite en pâtit. En effet, le manque de pratique ne peut que provoquer des soucis, notamment sur la maîtrise de la plume. Essayez donc, et vous m'en direz de mauvaises nouvelles. Moins on pratique, plus cela se dégrade. Autant, je pouvais écrire des pages sans me plaindre du temps de mes études, autant aujourd'hui je souffre au-delà de quelques lignes. Maintenant, ramenez cela à un enfant: une tablette ne peut pas être un bon professeur pour plusieurs aspects différents et pourtant complémentaires.
Perception des objets. Un puzzle, par exemple, est un joue très riche, parce qu'il comporte plusieurs disciplines intellectuelles: l'observation, la représentation spatiale, l'organisation, et la dextérité. On observe les pièces, on se visualise le résultat final, on organise les pièces entre elles, puis au final on se sert de nos mains pour mettre les pièces en place. Sur un écran? On perd la dextérité, vu que l'outil compense le manque de précision via un mode automatique, on ne manipule plus les pièces donc plus de réflexion sur le côté tactile, et l'on est donc face à des jeux qui, finalement, tiennent trop la main aux joueurs.
Représentation des volumes. Nombre de jeux dit éducatifs essayent de faire comprendre les formes (emboîtements par exemple) à travers des formes 3D manipulables à l'envi. Rien ne vaut les lego/duplo (je sais, ce sont des marques, je m'en fous, ce sont les plus représentatifs dans les jeux de construction), ou encore pour les plus petits les établis à trous, dans lesquels se glissent des formes adaptées. En plus, ces formes ont un certain poids, une texture (râpeuse, lisse...), et des couleurs aisément identifiables. Jamais une tablette ne pourra remplacer ces expériences sensorielles, et encore moins former les bambins à les manipuler en réel. Comme on dit: une simulation ne peut pas remplacer l'expérience du terrain.
Interactivité avec d'autres personnes. Le fait de jouer avec des lettres, des chiffres, des cartes, de faire de la lecture de livres adaptés aux enfants, c'est autant un abord à l'enseignement de l'alphabet, qu'une expérience d'échange entre l'enfant et celui qui joue avec lui. Peu importe qui est la personne qui joue, ce qui compte, c'est son implication sociale, à savoir d'avoir un échange avec l'enfant, de répondre naturellement à ses questions, et puis aussi d'improviser au-delà des jeux dont il dispose. Par exemple, en jouant avec les chiffres, les jeux de tablettes auront forcément une limite... Tandis que l'imagination peut aller plus loin, comme faire trouver une lettre associée à un son à l'enfant, ceci avec les éléments présents autour de soi. Cela enrichit directement le vocabulaire, invite à la découverte, et stimule son envie de faire plaisir à quelqu'un qu'il aime. La tablette ne peut pas recevoir un gage d'amour, mais peut absorber du temps et de l'attention à tout enfant collé devant. Prenons un exemple: montrons des objets dans une pièce, dont le nom contient (ou commence) par la lettre P: Papier, peluche, pomme, plante... Inutile d'avoir un machin électronique pour avoir des heures de jeu!

Il me semble inutile, voire dangereux, d'intégrer trop tôt ces outils dans la vie des enfants. Avec une surveillance adulte permanente, quelques activités peuvent être envisagées, mais certainement pas remplacer les jeux suivants...
  • Dessiner avec ses propres crayons, ou peindre avec de la gouache. Cette dernière option ajoute en plus l'aspect mélange des couleurs, où l'enfant peut aisément découvrir de nouvelles teintes en s'essayant à tous les mélanges possibles.... au grand désespoir de ceux qui font le ménage derrière
  • Jouer avec de la pâte à modeler, stimuler l'imagination, bâtir sur une matière aisée à modeler, et donc aussi bien physiquement que intellectuellement stimulante
  • Construire avec des jouets comme les lego, ou plus tard les Meccano. Cela invite à créer, à reproduire la réalité à plus petite échelle, et donc saisir les perspectives, les volumes, les échelles, les couleurs... donc se représenter son monde, voire en créer un très personnel.
  • Apprendre les plantes, les animaux, les couleurs, avec son environnement, que ce soit en allant au zoo, au parc, ou bien en lisant un livre physique, et non en réduisant tout à un écran. Au surplus, les animaux ont un toucher, une odeur, chose qu'une tablette ne peut pas restituer.

De ce fait: jouez avec vos gosses, au lieu de les coller devant un écran!

28 août 2013

En guerre? Oui mais pour qui?

Que les gouvernants éprouvent une certaine satisfaction à proférer des menaces guerrières, je peux le concevoir. En effet, ma testostérone est bien souvent source d'agitation, et au surplus susceptible de me faire brailler sans retenue "Du sang!" sur tous les tons que ma tessiture de voix me permet. Cependant, notre tempérance (et accessoirement la peur de se prendre une raclée humiliante et très coûteuse) nous poussent tous à dire "Bon les mecs, on réfléchit, on s'assoit autour d'une table, et on va voir si cette idée de les pourrir tient la route". Résultat des courses, bien souvent les instances internationales sont si promptes à agir, que leurs ordres de bombardement arrivent bien après la fin du conflit local... Au prix de milliers de victimes abandonnées à leur sort des mois durant.

Mais tout ça, pour CA? Interrogeons-nous un peu sur le sens d'une intervention militaire en pays étranger. Il faut déjà avoir quelques bonnes raisons (comprendre par là de bonnes raisons soit politiques, soit économiques, mais certainement pas humanitaires), et aussi une caution internationale pour ne pas avoir l'air de Davy Crockett en goguette du côté de la frontière mexicaine... Ah, fort Alamo... Enfin bref, nos chers dirigeants commencent sérieusement à s'échauffer le sang face à la crise Syrienne, et envisagent de coller des bombes sur la tronche de El-Assad. Dites, les mecs, c'était il y a plus d'un an qu'il fallait leur faire le jeu du "si tu bouges, tu prends ma main dans la tronche", et pas maintenant qu'on soupçonnerait le régime d'utiliser des armes chimiques!

Comme je le disais précédemment, pour intervenir, il faut de bonnes raisons. Evidemment, à force de laisser les gens se coller des obus sur la gueule, on doit nécessairement passer par la case "Arrêtez, c'est nous les policiers du monde". De fait, quand la police intervient, elle doit identifier qui est la victime, et qui est l'agresseur. Là, en Syrie, qui tient chacun de ces rôles? La population civile? Les rebelles? Le gouvernement en place? L'armée qui soutient le dit gouvernement? Notez que je distingue le gouvernant de l'armée, parce que cette dernière est toujours capable de tourner casaque et de déboulonner les instances en place (Egypte, que ton armée est efficace quand il s'agit de coller au gnouf ceux qui ne sont pas d'accord avec vous!). Alors, on nous "informe" que ce serait les forces fidèles à El-Assad qui aurait usé d'armes chimiques pour massacrer la population et les rebelles... Ca ne dérangerait pas les gens de se dire "Hé, mais ils ont sorti la même énormité avec Hussein en Irak! Vous êtes vraiment... sûrs les gars?". Rien que ce doute devrait suffire à refroidir les ardeurs des plus hardis partisans du "Prenez mes bombes sur la poire, tas d'cons!".

Maintenant, regardons qui tient quel rôle. D'un côté, un régime dictatorial qui ne s'encombre pas avec un humanisme quelconque. El-Assad applique, en bon despote, la philosophie du "J'ai le pouvoir, si vous le voulez, venez me le prendre". En face, qui sont les rebelles? Sont-ils une population qui n'en peut plus de l'oppression, ou est-ce bien plus complexe? On va me dire que le rebelle est généralement beau et pur, honnête, prêt au sacrifice ultime... Moi je réponds simplement "Parce qu'un extrémiste qui déboulonne un dictateur devient alors un héros?". Foutaises. Dans ce capharnaüm de combats où chacun se dispute le pouvoir, on a alors: des militaires qui tiennent à leur emprise, des rebelles qui croient en la démocratie, des rebelles qui veulent une république islamiste (donc une dictature par la Foi), des civils qui fuient, des mercenaires, des pseudos rebelles qui profitent de l'anarchie ambiante pour s'enrichir et maintenir une dictature à l'échelle locale... Bref, c'est plus un gros foutoir, qu'une situation parfaitement claire et précise. Alors, qui soutenir?

Sans être expert ni même sur le terrain, je poserais volontiers plusieurs questions embarrassantes. La première est on ne peut plus simple: qui sont les rebelles? On va répondre via les différentes simplifications que j'ai fait précédemment, or, il y a une chose qui ne colle pas du tout dans le paysage. Sachant qu'un civil est rarement compétent pour utiliser une arme, et que trouver des roquettes n'est pas comme aller aux champignons, je réitère la question: Qui sont les rebelles? Il faut une organisation militaire, de l'équipement, des moyens de communication pour réussir à résister efficacement face à une armée de métier, d'autant plus quand on entend parler de villes complètes aux mains des rebelles.
Cette première question, sans réponse immédiate, amène alors à la seconde: qui les équipe? Sans arme, pas de guerre... Mais où trouver des fonds pour acheter armes et munitions, et encore plus à qui les acheter en masse? On ne vend pas des obus comme on vend des sucettes en épicerie, pas plus que les gros marchands d'armes n'acceptent d'équiper n'importe comment les rébellions. En effet, ces dits marchands sont très généralement des "copains" de gouvernements tiers, et permettent l'anarchie (ou l'ordre, tout dépend de la situation politique locale) pour que le dit gouvernement en arrière plan en profite d'une façon ou d'une autre. Alors la question est particulièrement essentielle: qui les équipe, et qui les finance? Sans cette réponse, pas question de soutenir qui que ce soit, non?
La troisième question à poser est tout aussi délicate. Posons la avec véhémence, afin de piquer au vif nos chers interventionnistes: Qui soutenir? En ce moment, on parle essentiellement de cibler les installations permettant l'usage d'armes chimiques. Admettons, je suis bonne pomme, je veux bien supposer que c'est cela qu'on va aller viser... Mais franchement, les deux questions précédentes devraient déjà vous imposer le doute le plus profond sur les moyens à mettre en oeuvre, non? Si vous ne savez pas clairement qui sont les rebelles, et encore moins qui les organise, les finance, comment choisir un camp, et encore plus comment croire ce que ces mêmes rebelles véhiculent dans leurs discours? J'ai une méfiance particulière pour ce qu'on peut appeler le "syndrome du aïe bobo ce sont eux les méchants". Qu'est-ce que ce truc? Très simple: filmez des blessés, faites affluer des gens apparemment gazés, brûlés avec des produits chimiques. Ensuite, dites qu'ils sont des civils qui se sont fait massacrer par ceux d'en face, et vous obtenez la larmichette internationale indispensable à une prise de conscience dite "collective", pour amener à bombarder le despote cruel inhumain sadique etc etc... Mais qui nous prouve, clairement et sans la moindre ambiguïté, que ces dits produits chimiques n'ont pas été utilisés par les dits rebelles, afin de manipuler l'opinion internationale? N'a-t-on pas créé de toutes pièces des dossiers contre le régime de S.Hussein avec la même thématique? N'est-on pas en droit de mettre en doute ces belles déclarations d'intention?
Maintenant, la quatrième et dernière question, qui est certainement la plus cynique du lot. Si El-Assad tombe, qui sera à sa place après la fin des combats? Il n'y aura potentiellement pas de fin de combat, il y aura probablement une guerre civile pour se disputer la place laissée vacante. Irak, Tunisie, Egypte, mêmes causes, mêmes méthodes, mêmes effets. Des pays instables, sans régime résistant à l'érosion de la foi de l'opinion locale... Bref des bourbiers innommables où l'on a viré un dictateur pour créer une anarchie, voire même une dictature potentiellement pire que la précédente. notez la Lybie: on vire Kadhafi, et on a quoi? un régime qui met rapidement en place des lois islamiques, donc comprendre un régime basé sur la dictature de la Foi... Comme en Iran quoi. Et vous voulez virer El-Assad? Vous êtes encore vraiment sûrs de vouloir lui balancer vos invendus sur la gueule? Vous êtes sûrs que vos surplus de bombes à visée laser sont à larguer sur ses installations? Laissez moi avoir quelques doutes...

Les Russes, via la voix de V.Poutine, tiennent le discours le plus cynique, et pourtant le plus logique qui soit. Ils affirment en substance que s'engager là-bas serait une terrible erreur politique et stratégique, car pour l'heure il est strictement impossible de distinguer qui que ce soit pouvant offrir au pays une sortie de guerre civile autrement que sous la forme d'une dictature. Pire encore, les Russes sont probablement parmi les mieux informés sur la situation réelle, et je les soupçonne de savoir bien plus qu'ils ne le disent. Le président Russe est un pragmatique, qui, en bon ancien du KGB, se fiera toujours bien plus à des informations jamais révélées au grand public, qu'aux services des agences de journalistes. Les inspecteurs de l'ONU? Ils doivent le faire rire, parce qu'on leur montrera toujours ce qu'on veut bien leur montrer. Une intervention militaire limitée? Que les armes chimiques existent ou non, qu'elles aient été l'outil du régime en place, ou un instrument dégueulasse de propagande, les pilonner ne servira pas à grand-chose. C'était dès le début du conflit qu'il fallait éviter la prolifération des armes sur place, coller El-Assad au pilori de manière politique et économique... Pas après des mois de combats, de carnages, et de fait de pourrissement de la situation.

Français, Anglais, Allemands, je vous préconise la plus grande prudence avant de survoler la Syrie. Ne croyez pas à ce qu'on vous vend, car comme l'a dit un certain Gilles Servat:
Je ne hurle pas avec les loups! Je dis, à vous tous qui m'écoutez : méfiez-vous. Les gentils, les méchants, c'est pour les enfants. Le bien est dans le mal comme la chaleur est dans Ia flamme. La vie est confuse, les héros vieillissent, les martyrs enfantent des bourreaux! Rien n'est simple, même Solidarité! Rappelez-vous, Israël, le Liban, Phnom-Penh libérée, le départ du tyran de Perse Vers I 'ayatollah, vers le vieil homme à la barbe lumineuse coulait la sympathie comme un fleuve invincible. Et voici : le flot de ferveur est devenu fanatisme. La dictature des croyants a éteint la lumière. Le vieillard noir, assis sur les cadavres, nous l'avons chassé de nos coeurs. Dans nos poitrines, la place était vacante pour accueillir les résistants des vallées afghanes. L'imam, démon obscur, les Afghans, héros clairs et purs, voilà l'image qu'on nous présente! La même religion les guide et les arme. Quand les résistants gagneront quel voile viendra cacher la face de l'Afghanistan? Non, je ne soutiens pas l'envahisseur. Il est exécrable, indigne, brutal, odieux, méprisable, inhumain, dégueulasse! Il doit quitter le territoire afghan tout de suite, aujourd'hui, ce soir, et cesser sa soie guerre honteuse et inutile. Je crie dehors! Mais ne m'en demandez pas plus. L'agression ne change pas l'agressé en héros clair et pur. Ne me demandez pas d'entrer dans le jeu truqué du choix simpliste le Coran ou le Capital, le tchador l'American way of life, le Pape ou le P.O.U.P., les catholiques ou les protestants, l'infarctus ou le cancer, le gaz russe ou l'atome, le coup de poing dans la gueule ou le coup de pied au cul, les SS 20 ou les Pershings. Choisis! Dans les airs se joue un opéra titanesque. A l'ouest les cons d'or. A l'est, les cons d'acier. Au milieu, les pauvres cons! Choisis ton con, camarade!

17 août 2013

Se poser la bonne question

Je sais que certains de mes lecteurs me soupçonnent d'être un militariste convaincu, voire même un amateur assidu de la chose militaire. Je dois leur concéder le fait que je me suis énormément intéressé à l'armée, à son rôle et à ses actions, et ceci à travers l'histoire de l'humanité. Cependant, j'ai la conviction que nous devrions devoir nous passer des armes, des soldats, et ainsi ne plus compter nos morts et encore moins les pleurer. Que ce soit sur notre propre territoire, ou à l'étranger à des milliers de kilomètres, je serai libéré du poids de la culpabilité d'être un civil le jour où nous n'aurons plus un coup de feu, plus une victime à déplorer à cause d'un conflit.

Seulement l'Homme est honteusement borné, incapable de discerner le bien du mal, et qui plus est capable de se lancer dans des affrontements sanglants pour des idéaux qui meurent plus vite encore que grandissent les enfants. Nous sommes des bouchers, des barbares qui refusent de voir la vérité en face, celle terriblement évidente qui est qu'il faut malheureusement être armé contre ceux qui s'arment. Je ne parle pas d'armer chaque citoyen, et encore moins d'une course à l'armement délirante comme ce fut le cas durant la guerre froide. Non, je parle de la nécessité absolue, dramatique, inévitable d'avoir une armée pour se défendre, voire même pour attaquer. Si triste que ce soit ce constat, il n'en demeure pas moins une évidence.

Alors, que faire? Laisser aux autres le soin de porter les armes? Aux autres de prendre le risque d'être au front, pour nous protéger, pour défendre une certaine idée de la liberté? Pourquoi vomir la bile pacifiste sur les soldats, quand il faudrait que les dits pacifistes comprennent, au contraire, que ces pauvres gars vivent l'enfer pour leur donner le droit de se prétendre pacifistes? N'est-ce pas paradoxal, dramatique? N'est-ce pas là toute la véritable horreur de la guerre, celle qui fait que le peuple aille cracher sur des gens qui les défendent et les protègent? J'ai un regard sombre et piteux pour mes semblables quand je les entends salir le courage et l'abnégation de nos soldats. On les entend gueuler "on s'en fout ces pays ne sont pas chez nous". C'est si simple... si facile de dire cela sereinement, de se moquer des civils qui ne sont pas dans nos contrées. "D'autres iront". Qui? Vous autres, qui crachez sur la détermination de nos gens en kaki? Pourquoi? Par quelle souplesse intellectuelle pouvez-vous à la fois exiger la sécurité, et l'absence de corps d'armée?

Ici, là d'où je viens, l'armée est une chose sérieuse, on la respecte pour tout un tas de raisons, on ne se cache pas les horreurs de la guerre, car contrairement à la France, nous avons vécus une guerre civile récente et douloureuse. Des voisins qui s'entretuent. Des gens qui se déchirent pour des questions religieuses, politiques, pour des prétextes... ni plus, ni moins. Ici, on célèbre les anciens combattants, parce qu'ils sont par milliers, parce qu'ils sont présents dans chaque village, dans quasiment toutes les familles, parce que tout le monde a un ami, un cousin, un voisin qui s'est battu, voire qui est mort pour une certaine idée de la liberté. Et quand j'entends les gens me dire que les soldats sont des cons, des abrutis à casque, je suis en colère, triste, accablé par la bêtise humaine, démoralisé par ce discours complètement hors de propos.

Quiconque a vu le regard d'un ancien combattant, quiconque a senti le coeur serré de ces hommes qui ont sacrifié leur âme pour nous autres, civils, ne peut rester indifférent. Comment se sentent-ils, ces types qui ont porté l'uniforme, qui ont tiré pour défendre leur patrie, et avant tout leur vie? Ce sont des gens blessés, mortellement blessés à l'intérieur. Ils revendiquent ce qu'ils sont, ce qu'ils ont été, mais ils souffrent à tout jamais d'avoir donné la mort, d'avoir vu des camarades tomber, d'avoir eux-mêmes saignés pour des gens qui ne leur reconnaissent même pas ce courage. Qui sommes-nous pour les haïr, les maudire de la sorte? Qui êtes-vous, pacifistes, pour leur renier le droit d'être honorés? De quel droit vous vous réclamez pour oser les détester à ce point?

Pour comprendre, il faut l'avoir vécu. Ce que j'ai vécu, ce sont les longs silences de mes proches qui ont connu le front. Ce que j'ai vécu et vis encore, ce sont leurs cauchemars quand ils réussissent à s'assoupir. Ce que je vois et que je ressens avec peine, ce sont leurs regards qui vous traversent de part en part quand vous abordez le sujet. Que je décèle dans leurs coeurs serrés, c'est l'infinie douleur de se souvenir de moments qu'ils ne conteront jamais, qu'ils n'exprimeront au mieux que par des larmes. J'ai vu des hommes et des femmes fondre en larmes il y a peu. C'était un jour férié ici, un jour de souvenir et de remerciement pour les défenseurs de la patrie. Nous étions tous réunis sur une terrasse près de la place du village. Des chansons résonnaient, elles naissaient dans les instruments d'un orchestre local. Et là, dans un coin, un écran de projection était tendu. Les gens buvaient, mangeaient, discutaient, bref ils vivaient une fête de village comme une autre. Puis, des images défilèrent sur l'écran, des images d'amateurs, des vidéos de caméscope, des photographies, mais toutes liées entres elles par le souvenir, parce que c'étaient des souvenirs de gens qui y étaient. Et là, doucement, les éclats de voix diminuèrent lentement, comme étouffés par le poids du souvenir.

J'ai regardé ces gens, je les ai observés. Certains s'étaient tus, certains touchaient d'anciennes plaies, des mutilés cherchant un membre inexistant, d'autres serrant les poings de rage ou de tristesse, mais aussi des mains, des couples se tenant par la main, comme pour remercier la providence qu'un fils, un mari, un proche soit revenu vivant. Les visages défilaient, certains riaient, d'autres étaient durs, fermés par les combats et les horreurs que ces yeux avaient perçus. Ils se regardaient dans le miroir aux souvenirs de cette vidéo, dans ce souvenir fixé sur bande magnétique, dans ce souvenir à jamais gravé dans leurs mémoires. Il y a des tombes à fleurir au cimetière, certaines sont tristement ordinaires, d'autres sont ornées de mots et de blasons honorant la mémoire du défunt tombé au combat. Et là, sur la vidéo, ils sont là, bien vivants, bougeant, parlant même à l'objectif, saluant celui ou celle qui daignera les regarder. On les voit, on ne les regarde plus. On se souvient d'eux. Ils sont vivants, bien vivants, l'espace d'une seconde fugace, ils ne sont pas là, à quelques centaines de mètres, à gésir sous une stèle de marbre noir.

Et mon oncle se souvient. Ses yeux pétillent, ils éclatent, il se rappelle avoir été avec eux. Il les connaît tous, ce sont ses amis, ses copains, ses camarades, une seconde famille. Tous sont partis en tant que volontaires. Tous ont choisi la voie du combat pour la liberté, l'indépendance, ils ont tous payés de leur âme d'avoir pris le chemin de la guerre. Osez leur dire qu'ils se sont trompés! Venez leur vomir votre antimilitarisme confortable, venez donc leur expliquer qu'ils se sont trompés... Osez donc, montrez vous courageux pour une fois. Mais juste avant de faire ce pas, posez-vous la seule bonne question, l'unique question que tout être devrait se poser avant de jeter à la gueule des anciens combattants votre opinion prétentieuse: qu'aurais-je fait à sa place? Si vous ne le savez pas, si vous pensez qu'il y a le moindre doute, qu'il existe la moindre hésitation... taisez vous. Et je sais que ce sera le silence qui vous enfermera, parce que vous ne pourrez prétendre à l'absolue vérité avec la conviction que les soldats n'ont aucune utilité. Ainsi est fait ce monde, de gens devant prendre les armes, d'autres protégés par celles-ci. J'espère simplement que nous saurons toujours avoir la décence, la politesse, et le respects nécessaires pour honorer ceux qui font le sacrifice suprême de leur vie pour nous autres, civils sans courage, sans conscience, et bien trop souvent, sans honneur.

A vous tous, soldats, je dis merci. Je vous remercie d'être les garants de notre sécurité, d'être au-dessus de ces débats stériles. Merci d'être nos protecteurs, notre bras armé, d'être courageux, volontaires, francs. Merci. Tout simplement.

13 août 2013

Des cordes sur les volets

Le ciel s'est décidé à nous offrir un peu d'eau. Elle perle, insouciante et déterminée, elle coule littéralement le long des volets qui se rafraichissent. Il n'y a pas pratiquement pas de vent, et les feuilles dansent à cause des gouttes qui s'écrasent mollement sur elles. Le ciel a pris une teinte grise, les nuages se sont emmêlés pour former une sorte de patchwork monochrome où le soleil n'a plus à s'exprimer. Et pourtant, pourtant la vallée ne semble ni morne, ni triste, elle semble juste se laisser inonder, comme un corps qui prendrait le temps de savourer une douche lors d'un été trop chaleureux.

Quand je scrute le creux des reins de la vallée, il y a ces routes qui ondulent et défient le sol dans leur rectitude. Des feux se sont allumés, les voitures défilent en silence, trop lointaines pour être perçues par mon oreille. Mais là-bas, au loin, des gens filent, suivent l'asphalte. Où vont-ils? Sont-ils pressés d'aller quelque-part, ou font-ils simplement la route sans la moindre bonne raison, comme le fait l'eau qui tombe encore et encore? La pluie se moque des bonnes raisons, elle ne réfléchit pas, elle est. Tout simplement. Elle se permet de danser quand le vent se lève, elle se fait artiste en faisant apparaître un arc-en-ciel, elle est poétique et légère à la fois, douce et sensible comme le baiser d'une femme après une longue absence.

Les flaques sont autant de miroirs, reflétant le ciel, des visages, des objets, et elles lavent calmement le bitume ou la terre pour montrer à quel point tout est périssable et temporaire. On y perçoit des ondes, les gouttes venant s'y écraser avec délice. Le bruit même de cette pluie est relaxant, il est une chanson infinie, toujours nouvelle et pourtant si connue. On l'écoute, on s'apaise, on laisse le coeur s'en charger, tandis que le ciel continue à souffler quelques râles étranges, bruissements d'un tonnerre qui se prépare. La voix d'un Dieu? Ou juste le chant d'une Mère Nature heureuse de nous offrir la renaissance? Peu importe, l'un comme l'autre serait ravi de nous faire ce présent apparemment ordinaire, mais pour moi tellement magique.

Alors j'écoute, attentivement, je me laisse emporter par le minuscule ruisseau qui se forme sur la route de terre. Il dévale, sûr de lui, déterminé, il roule encore et encore, charriant autant de sable et de cailloux, qu'il a pu un jour charrier des feuilles, ou encore des bateaux en papier. Et moi, je l'observe, ce serpent d'eau, cette couleuvre inoffensive et délicate, qui se fait transparente par endroits, colorée à d'autre, changeante et toujours identique à la fois. Il pleut, le ruisseau est le fils de la pluie, et la flaque est sa soeur. D'une seule goutte ne nait qu'un bruissement, d'une infinité renaissent les océans. C'est une mer à fourmis, un fleuve pour insectes, un minuscule flux d'eau à mon échelle.

Et puis, pour une gosse à cheveux longs, vêtue d'un k-way, de bottes violettes, c'est une source d'émerveillement. Elle court, elle saute dans les flaques, elle fait trembler la terre et le ciel, et le ciel lui rend bien en ajoutant une nouvelle ondée. Elle rit, elle sourit, elle est espiègle et sincère, elle s'amuse d'un rien pour adulte, d'un tout pour enfant. Je la vois, elle est enchantée, elle est magique, petite sorcière rieuse qui donne des coups de pieds pour faire gicler les océans du caniveau. Elle sent, elle sait, elle se moque, elle joue, c'est une perle, une reine des eaux et des cieux, c'est une enfant comme tant d'autres, mais si belle... Si belle...

Nous autres adultes, on la regarde, on lui demande de se calmer, de ne pas se détremper. Pourquoi? Après tout, l'eau est là pour mouiller, comme l'air est là pour être respiré. On devrait la rejoindre, courir, sauter, rire, apprécier chaque instant de l'existence, car ces flaques, si temporaires, si fugaces symboles du ciel qui nous offre la renaissance, nous devrions nous en réjouir au lieu de nous en plaindre. Et elle, elle remercie un Dieu, ou Mère Nature, parce que l'un ou l'autre lui a offert un moment unique de jeu, l'occasion de sortir ses bottes violettes, d'enfiler un k-way fripé d'avoir passé trop de temps dans sa pochette, l'opportunité de sentir sur ses joues roses la pluie fraîche d'un bel été. Regardez la donc, écoutez la rire, elle a raison, nous sommes stupides, égocentriques, trop inquiets pour si peu, trop concentrés sur rien du tout. C'est cette enfant, cette fillette si mignonne, simple et espiègle qui détient la Vérité. Le monde est si beau, que ce soit sous le soleil, la pluie ou même la neige! Ecoutez sa chanson, écrite avec des rires, composée d'éclats de voix, harmonieuse mélodie brodée autour d'un seul souhait: aimer. Elle aime ce monde, elle nous aime, je l'aime aussi. Vivez, parce que la pluie, comme la Vie, va et vient, arrive et repart, et le monde, lui, ne fait que nous faire d'immenses cadeaux que nous regardons avec dédain.

J'aime cette pluie, j'aime cette enfant devenue adulte, je l'adore, cette fille amoureuse de la couleur violette, cette môme qui saute encore et encore d'une flaque à une autre, cette femme, cette amie... Adulte ou pas, elle sautera toujours dans les flaques, grande ou petite elle sera toujours espiègle, rieuse, amusée d'un rien, épatée par tout, heureuse de vivre, tout simplement. Faites comme elle... Riez, jouez, aimez!

12 août 2013

Ce qui est beau

Il était typographe (créateur de polices d'écritures). Il a 97 ans, et il y a quinze ans, il a découvert l'informatique et le logiciel de dessin Paint. Atteint d'une dégénérescence de la vue, il utilise le logiciel pour son art parce qu'il lui permet de faire un zoom suffisamment profond pour pouvoir travailler l'image à sa guise... Grand-père, on l'appelle comme ça. C'est simplement une belle histoire... et ce qu'il fait est simplement beau.

Admirez, et appréciez la jovialité du personnage.

(via Le Shaarli de JeromeJ)

11 août 2013

Chute moderne

Ne me demandez pas pourquoi, mais je regarde au dehors et je m'interroge sur le sens même de l'écriture. En effet, les mots sont des choses qu'on arrive plus ou moins à saisir et à fixer les uns avec les autres, le tout pour construire des idées intelligibles pour autrui. Et pourtant, rien n'est plus volatile que les mots, et ce "blog" en est une terrible démonstration. Son nom même en est le signe le plus marquant: les paroles s'envolent... Mais vers où? Vers le néant? Vers l'oubli? Non, ce sont les pensées qui s'envolent en fait, plus que les mots eux-mêmes. On laisse la volatilité de la pensée nous mener la vie dure, et bien souvent l'on ne se souvient même plus la raison d'une dispute, la dernière pensée qu'on a eu pour quelqu'un, pas plus qu'on ne retient ses pensées au fur et à mesure qu'elles se constituent.

Alors, plutôt que de les voir s'évaporer, je les couche sur l'écran, je les partage, comme s'il fallait absolument que je m'assure que chacune de ces idées ne puisse pas s'évader. Prisonnières de ce site, mes opinions sont prises dans la pierre, gravées pour un bon moment, ceci afin que chacun puisse, au détour d'une lecture, se dire "tiens, il pense ainsi". Et pourtant... Et pourtant, les opinions évoluent, les gens peuvent changer, tout comme certaines idées peuvent être brisées par la simple apparition d'une nouvelle idée, ou d'une personne. La Foi peut se déliter parce qu'un évènement a réussi à la briser; la Vie, elle-même, n'est faite que d'un courant perpétuel, un souffle incessant, construit par la brise de nos envies, et le changement en est l'essence. On sent ces mouvements, on les ressent, on vibre parfois en harmonie, parfois en totale dissonance, mais on ne peut pas les éviter.

Toutes les tours que nous bâtissons par le verbe s'effondrent constamment. On bâtit des partis, des lignes de conduite, tout cela pour arriver finalement à des ruines, à des cendres, sur lesquelles vont repousser de nouvelles structures instables. Ainsi sommes-nous faits de préjugés, de formats temporaires, de choses dont on ne peut se départir, et qu'on abandonne pourtant facilement à la première bonne occasion. Instables? Versatiles? Non, juste voués à devoir prendre les choses comme elles viennent, à ne pas pouvoir anticiper quoi que ce soit. Celui qui prétend contrôler son monde ne sera que plus douloureusement blessé quand, lui aussi, verra son environnement s'écrouler.

Je vois les vignes qui poussent. Elles ont pris une belle couleur, celle de l'été qui décline, celle qui prétend aux vendanges, de cette teinte étrange et indéfinissable qui vous invite à vous servir un bon verre de vin. Elles sont comme nous, car au printemps de leur existence elles donnent un fruit acide, peu digeste, mais bourré de promesses. A l'été, le grain se gorge de lumière et de sucre, il se gonfle de fierté, et vous donne envie de le dévorer. Puis, l'automne approchant, on le ramasse, on le presse, il prend le chemin du pressoir, comme s'il devait accomplir son travail, celui de s'apprêter à mûrir, à s'intensifier. Puis, durant l'hiver et les années qui vont suivre, le vin va prendre de l'âge, du corps, de l'esprit, pour finalement s'offrir à chacun de nous. Entretemps, sa descendance, elle aussi, va suivre ce même chemin, depuis le pied jusqu'à la bouteille, depuis sa naissance jusqu'à sa mort.

A travers le raisin, nous nous moquons du passé, du présent, et même du futur. Mais ici, entre les murs virtuels d'un site alimenté de mes pensées volatiles, je ne vois pas mes propos se bonifier ou changer. S'ils sont figés, c'est pour être telles des photographies d'un temps qui n'est plus, ou plutôt d'un temps de souvenirs, de réflexions diverses et variées. J'ai offert à ce site ma plume la plus vivace, autant que mes idées les plus sombres. Tel un déversoir, il est le réceptacle du tout venant intérieur, décharge privée de mes torchons personnels. Ai-je la sensation d'avoir changé? Ai-je même l'opinion d'un homme qui se relit et qui rit de lui-même? Non. Je me relis, je m'interroge, et je constate que je suis relativement constant. Le changement est là, j'affine, j'affûte même, mais les dessins sont les mêmes, les images perdurent, et je continue encore à prendre du plaisir à coller de nouvelles photographies dans cet album aussi personnel qu'improbable. Des centaines de textes après la première lettre posée dans cette urne à idées, je n'ai pas encore décidé d'écrire une chute, comme pourrait vouloir le faire l'auteur d'une comédie.

C'est un livre sans début ni fin, c'est un recueil plus qu'une bibliothèque. Il n'y a ici que moi, rien d'autre que moi, le fond de mon être, qu'il soit beau ou laid, qu'il soit brillant ou sale. Je n'ai pas envie d'offrir à mon blog une fin, parce qu'elles signifierait alors que je n'ai plus de plaisir à écrire, que je n'éprouve plus le besoin maladif de coucher sur l'écran mes pensées. Les écrits restent, parce que j'ai toujours eu peur de voir mes pensées s'envoler. Si un jour je suis condamné au supplice de la perte de mémoire, ou pire de la perte de mon identité à travers la maladie, alors j'aurai encore cette bouée de sauvetage intellectuelle, cet endroit si ordinaire sur la toile, et pourtant si spécial pour moi et quelques personnes particulières. Je crois que seule la Mort pourra m'empêcher de passer mes doigts sur le clavier, que seule la faucheuse saura m'intimer l'ordre de ne plus libérer mes rêves sous la forme de lignes brouillonnes et entêtantes.

Certains vouent leur existence à des tâches grandioses, d'autres à exister, tout simplement. Je ne sais pas à quoi vouer ma propre vie, si ce n'est de me dire qu'une fois l'étape passée, l'oubli ne sera pas mon destin. Non que je désire une quelconque renommée, ni même des millions de lecteurs pour rire, pleurer, se moquer, grogner contre moi. Ce que je désire? C'est laisser une trace, comme quand on plante un arbre pour les générations futures, comme quand on aime regarder un bac fleuri, comme quand on partage un repas avec ceux qu'on aime. Si j'écris, c'est que je veux me souvenir, autant que je veux exprimer. Il est difficile de décrire ce sentiment bizarre, ce besoin, cet opium profond qui vous enivre une fois les mots alignés.

J'ai écrit et j'écris encore. J'ai écrit un livre qu'il faut que je me décide à publier. Il ne relèvera pas de moi de décider de son destin, mais toujours est-il que l'écrire fut à la fois une naissance, une vie, et une mort. Des personnages y sont nés, certains y meurent, mais ils expriment tous à travers moi, ils sont "vivants", bien vivants en moi en tout cas. Bizarrement, je n'ai pas eu la sensation d'être leur créateur, mais un porte-parole assidu, un observateur tendre et cruel à la fois, et je leur ai laissé la possibilité de s'épanouir jusqu'au dénouement, jusqu'au point final du manuscrit. Je n'arrive pas trop à comprendre comment ni pourquoi, mais j'étais sur place, j'étais avec eux pour chacune des situations que j'ai pu décrire. Je me serais voulu éloigné, avoir du recul comme pourrait l'avoir un journaliste, mais je n'ai pas réussi à prendre cette marge, et c'est aussi une mort que de devoir les quitter. Je crois que j'ai fait une chute moderne, pas comme quand on tombe d'une chaise ou d'un cheval, mais plus comme quand on raccroche le téléphone après une longue discussion avec quelqu'un qu'on aime profondément.

Je me suis fait le porte-étendard de gens qu'on regarde de biais. J'ai écrit pour qu'on n'oublie pas, pour que surtout on ne juge pas mes personnages à travers des prismes trop faciles à mettre en place. Je ne sais pas si les gens aimeront la vie de mes personnages, ni même si ils s'identifieront en eux, parce qu'ils racontent des horreurs, des situations douloureuses, des choses que nous autres, chanceux, nous n'avons pas eu à vivre. Ils sont des fantômes, ils sont tout le monde et personne à la fois, des gens ordinaires qui ont vécu un passé qu'on voudrait tous oublier. Mais ils étaient en moi, attendant l'heure propice pour prendre la parole. Et c'est à travers leurs bouches et à travers ma plume témoin qu'ils disent ce qu'ils ressentent. C'est avec violence et tendresse qu'ils disent le fond de leurs pensées, qu'ils revendiquent ce qu'ils sont, parce que les personnages des livres ne sont pas que des idées, ils sont des pensées, des sentiments, des témoins qui figent l'identité même de l'auteur. Certains ouvrages sont voués à l'oubli, parce que leur écrivain n'a pas daigné soutenir le propos et les choses qu'ils décrivent. L'exercice de l'écriture est, pour certains, une simple façon de faire de l'argent, de lancer des banalités, des clichés éhontés, parce qu'ils savent ce qui va plaire. Moi, quand j'écris, je ne me moque ni de moi-même, ni de mes lecteurs; J'écris, parce que je le dois, parce que je dois dire ce que je ressens, que ce soit clairement, ou à travers des images, à travers des situations inventées ou, malheureusement, que trop réelles.

On ne sort jamais indemne du véritable épanchement de l'écrit. On ne peut pas passer outre le fait que c'est le "soi" profond qui parle, pas plus qu'on ne peut éviter le fait être émotionnellement accroché à ses personnages. Quand on écrit sincèrement, cela peut devenir une véritable douleur, une passion brûlante, ou, au contraire, une félicité d'avoir réussi à mettre en forme quelque-chose de clair, précis, réel pour soi, et, je l'espère, réel pour les autres. Ce n'est pas tant un art qu'une besogne longue et périlleuse, car les mots, une fois brodés ensemble, prennent un sens et une forme qu'il nous faut assumer. J'assume ainsi chacun de mes propos, chacune de mes opinions. J'ai mis énormément de moi dans mon livre, bien plus que quelques idées jetées au gré du temps et de l'instant.

Ainsi, chers lecteurs, si peu nombreux que vous soyez, j'espère pouvoir un jour vous faire lire ce livre, vous l'offrir en pâture, car c'est aussi ça, finalement, écrire: être dévoré par les autres, digéré, compris, interprété en bien ou en mal, mais toujours d'une manière ressentie. Un écrit se doit d'être ressenti par autrui, sinon cela veut dire que l'auteur n'a rien mis de lui dedans. Et ça, voyez vous... Ce serait la plus pénible des douleurs. Mieux vaut la haine que l'indifférence, car l'indifférence, et elle seule, nous pousse à passer notre chemin avec dédain. Quand aime, ou quand on n'aime pas, on a au moins le mérite d'être ressenti.

Merci de me lire, et ce malgré le temps qui passe. Merci d'être encore là, pour les rares qui prendront la peine d'aller jusqu'au bout de cette longue réflexion.

A vous tous, merci.

A toi, ma fleur, merci. (Elle se reconnaîtra et comprendra)