13 janvier 2016

Si Bowie m'était conté

Je hais les nécrologies. Je hais totalement cet exercice de rendre hommage à quelqu'un, qu'on l'aime ou non. J'ai l'impression qu'on aime à martyriser les cadavres des gens dont on parle, et plus encore qu'on veut se valoriser face à l'être qui s'en est allé. Là, je n'ai rien à revendiquer, et encore moins à prétendre face à l'immense artiste qu'est David Bowie. Je parle effectivement au présent, car il est présent et le sera encore très longtemps tant il a su marquer son temps et ses auditeurs. A la différence de la soupe déjà digérée des morceaux formatés pour le grand public, Bowie a marqué chaque auditeur, non parce qu'il était différent, mais simplement parce qu'il savait autant étonner qu'émouvoir, et ça, ce n'est pas à la portée de tout le monde.

Ziggy s'en est allé pour la seconde et dernière fois. Il a quitté la scène après avoir laissé une épitaphe musicale sous la forme d'un dernier album, et aujourd'hui les masses pleurent un artiste improbable. A 69 ans, il s'envole rejoindre l'espace, il disparaît des écrans radar, mais sa musique, elle, va continuer à résonner dans les oreilles. On va longtemps entendre sa différence, et son immense influence continuera à apparaître, çà et là, comme s'il était encore des nôtres sur terre. Et pourtant, était-il humain? Etait-il de cette espèce ou bien était-il un extraterrestre ayant occupé une place à part dans le monde?


David Bowie a exploré tout ce qu'il pouvait, depuis la musique, en passant par la danse, le mime, le cinéma, l'esthétisation à outrance, et ce dans une quête complexe et à mon sens mal comprise d'absolu artistique. Quand un artiste se devait d'être esthétiquement sobre, il se mettait en scène et se créait un personnage. Quand d'autres se sont entêtés à rester décalés par l'apparence, il a recréé son univers et remis en cause tout ce qui avait pourtant fait sa renommée. Quand enfin il a anéanti l'apparence au profit du contenu, les autres n'ont pu que lui embrayer le pas. Toujours en avance, toujours "décalé", comme s'il courait après le temps, comme s'il y avait un empressement à créer et à diffuser ses sensations à travers sa musique. Ce n'est qu'une impression personnelle, mais il me fait encore l'effet de l'alchimiste qui cherche sa pierre philosophale. Il a cherché à tout mêler, tout mélanger, ceci pour révéler au monde la formule secrète de l'or auditif. Il a alors démontré qu'il n'y a pas qu'une école, qu'il n'y a pas qu'une seule mouvance. Il a fondé sa propre université artistique, l'école Bowie, unique, souvent inspiratrice, parfois imitée, mais jamais surpassée dans son style. Qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit: il y a cette même créativité qui distingue d'autres artistes, dans des domaines très différents, avec un abord personnel à leur art. Ca ne rend pas Bowie supérieur, juste différent, comme chaque artiste est différent (du moins en théorie…).


J'ai découvert Bowie de la manière la plus étrange qui soit, c'est-à-dire par le jeu vidéo. Oui, vous lisez bien, par le jeu vidéo. J'avais déjà apprécié de nombreux titres, mais la révélation fut totale lorsqu'un magazine m'a vendu du rêve en 1998 à travers le jeu Nomad Soul. Le journaliste avait réussi à me faire ingurgiter que le jeu serait "fantastique", et ce parce que sa bande son serait créée par David Bowie. Intrigué par les images, accroché par le concept, j'ai fini par acheter le jeu en question (que j'ai adoré), et au surplus je me suis rué chez mon disquaire pour me saisir de l'album "Hours". Cet album m'a alors enivré, tant par la créativité de la chose, que par le côté totalement improbable de sa musique. Je n'avais rien écouté de tel ailleurs, et encore moins songé qu'il était possible de manipuler la voix et les sons de cette manière.


C'en était fait, j'étais fou de tout ce disque. Il est devenu, cette année-là, "mon" disque, celui qui m'a accompagné partout, dans la voiture, en voyage, et il était devenu hors de question que cet album ne soit pas à proximité pour m'en remettre un passage de temps en temps.
Pour le jeu lui-même, je vous mets ci-dessous deux choses d'une créativité folle, à savoir son introduction, ainsi qu'une expérience (encore une!), c'est-à-dire un concert virtuel de Bowie DANS le jeu! Qui aurait songé à se servir du média numérique de la sorte avant lui? L'idée fut reprise quelques fois, mais il a inauguré une convergence magique entre la présence de l'artiste et sa musique. La plupart du temps, ce sont des personnages du jeu, désincarnés, qui se font porteurs de la musique. Là, il a été un personnage à part entière dans le jeu… Si ce n'est pas toucher à tout, je ne sais pas ce que c'est!


Sa vie privée? Je m'en fous. Ce qu'il a pu faire en bien et en mal? Il s'est drogué, on l'a insulté pour s'être présenté en androgyne, pour des questions de bisexualité… Mais je m'en contrefous totalement! Qui sont les juges? Ceux qui, s'ils se montraient tels qu'ils sont, seraient crucifiés en place publique pour leurs excès? De ce point de vue, laissons l'art à l'art, laissons la vie privée à celui qui l'a vécue, et rien d'autre.


Pour finir, s'il a inspiré énormément de monde, c'est parce qu'il était un vrai créateur, un véritable curieux là où d'autres se reposent sur des fondamentaux. Ecouter plusieurs albums de Bowie, c'est sans cesse redécouvrir un artiste particulier. Qu'il vous plaise ou non, j'aime ce qu'il a créé, et ça me suffit comme satisfaction.


Merci à vous Monsieur David Bowie.