21 octobre 2010

Vindicatif contre la pomme

Cela fait longtemps que je n’ai pas abordé le monde de l’informatique, tout comme celui plutôt étrange des sociétés qui gravitent autour. En effet, établir un débat dessus, c’est généralement prendre de grands risques, car le thème est aussi vaste qu’il est miné. Dans une certaine mesure, la considération que nous devrions avoir pour l’outil informatique devrait dépasser les seuls aspects purement techniques et ludiques, car, en quelque sorte, l’ordinateur n’est qu’un « outil », mais c’est un outil qui permet tant de se distraire, que de véhiculer des opinions. Donc, se cantonner à son lecteur de musique, et à son jeu favori, c’est clairement perdre de vue que l’ordinateur nous permet aussi de parler politique sur la toile, de résister activement contre les dictatures, et de permettre un accès plus large et plus attractif à la culture sous toutes ses formes.

Vous ne vous sentez pas touchés par ces aspects ? Pourtant, rien qu’en me lisant, vous agissez activement concernant la politique, l’histoire, la religion, mais aussi les loisirs. Lire, ce n’est pas un acte innocent. Comprendre, c’est une réflexion, une analyse, voire une réaction pour répondre et discuter. Dans les faits, quand je vilipende quelque chose par le biais de l’informatique, j’agis comme n’importe quel agitateur qui, par le passé, imprimait des tracts ou des livres. Je réagis, je m’exprime, et donc j’use de mon droit fondamental à l’opinion personnelle. Qu’elle aille à l’encontre des convictions des autres, ça, c’est le but même du débat : discuter, raisonner, partager, contredire, et démontrer, si nécessaire, que l’autre a tort. Charge à chacun d’être alors capable de revenir sur ses avis, ou d’en défendre la validité. Aussi loin qu’on remonte, le fait de pouvoir exprimer une opinion a donc permis de faire avancer le monde, et nous par la même occasion.

Cependant, il est plus qu’essentiel de comprendre que l’informatique est placée sur une frontière ténue et dangereuse qui est celle du mercantilisme : où s’arrête le pouvoir de l’opinion, où doit s’arrêter le pouvoir des états, où doit se placer le contrôle des entreprises. Concrètement : que ce soit l’état, le citoyen, ou la société privée, il y a nombre de domaines où des restrictions sont non seulement indispensables, mais surtout indiscutables. Le réseau, les ordinateurs, ces deux mondes qui relient le réel au virtuel provoquent un conflit jamais apparu auparavant : quand l’entreprise devient vecteur d’opinions, est-elle habilitée à jouer un rôle de censeur ? A-t-elle une obligation d’action à l’encontre de ses clients/utilisateurs ? D’un point de vue facilité de l’esprit, on serait presque tenté de dire oui. Par exemple, on serait aisément rassuré de se dire que X, fabricant de programmes pour accéder au réseau, a placé un filtre interdisant l’accès à des sites comme ceux des pédophiles, ceux des extrémistes religieux, ou encore à des plans de fabrication pour des bombes artisanales. Mais est-ce acceptable ? Fondamentalement : non. Et je vais m’expliquer sur ce point.

L’entreprise n’a pas pour rôle de décréter ce qui est moralement acceptable, pas plus que d’édicter des lois arbitraires à ses clients. Il y a ce qu’on appelle un cadre légal, cadre qui existait avant l’avènement de la toile, et qui perdurent dans le virtuel. On ne peut pas dire n’importe quoi, on ne peut pas insulter n’importe qui. On peut dire ce qu’on pense, mais il faut savoir argumenter, défendre, justifier ses propos. Etre gratuitement insultant, c’est à mon sens une preuve d’imbécillité, même si sur le fond on pourrait soutenir celui qui insulte. L’exemple typique, c’est celui d’un usager du réseau qui insulte un militant fasciste. Il n’a pas tort sur le fond, mais sur la forme, il ne fera qu’alimenter le moulin du fasciste en question. Au surplus, il prêtera le flanc à la critique, et même pourra, le cas échéant, être condamné par un tribunal pour ses débordements. Ces lois existent déjà, alors pourquoi une entreprise, sans cadre légal sur ces thèmes, sans compétence juridique, pourrait agir par devers ses utilisateurs ? C’est tout bonnement inacceptable.

Le second aspect délicat de ces sociétés, c’est qu’elles sont aujourd’hui tant productrices que distributrices. En effet, le cas qui m’intéresse aujourd’hui est celui des appareils Apple, et surtout de sa future mise à jour du système d’exploitation de ses machines (les fameux Mac). Pour les néophytes : majoritairement, vous avez un PC avec dessus un Windows. Mac OS, c’est le pendant Apple de Microsoft Windows. Si je schématise, les machines Mac sont donc équipées d’un système Mac OS, système introuvable (légalement) sur un autre équipement que celui d’Apple.

Vous êtes toujours là ? Pas perdu ? Parfait, continuons.

Actuellement, Apple a appliqué une politique commerciale quasi unique sur ses appareils mobiles que sont les génération successives de Iphone, et le nouvel Ipad. Schématiquement : pour installer un programme, un seul point d’entrée : le « store », qui est un magasin virtuel entièrement contrôlé par Apple. Vous voulez une application ? Passez par le store, vous y trouverez, à mon avis, votre bonheur. Jusqu’ici, c’est séduisant, non ? Pas de surf inutile, pas d’obligation de devoir peser le pour et le contre entre cinquante solutions quasi identiques et qui ne se démarquent pas spécifiquement les unes des autres, bref, un véritable magasin virtuel, simple et efficace. Seulement, qui dit magasin, dit forcément choix. Le store distribue pas que des programmes Apple, mais aussi ceux de différentes sociétés, et c’est ça qui en fait toute la richesse justement. Par contre, Apple a toute prérogative pour interdire un produit, et ce pour n’importe quelle raison. Concrètement, Apple interdit toutes les applications dites « pornographiques », et a interdit jusqu’à encore récemment tout programme susceptible de faire concurrences aux leurs. Mais comme Microsoft, en son temps, a été condamnée par la cour européenne de justice pour des pratiques analogues, la firme est revenue en arrière, et l’on trouve enfin des solutions alternatives aux produits estampillés Apple.

Par l’intermédiaire de sa dernière « messe », Apple annoncé les prochaines mises à jour de son système. Et là, le drame : la stratégie annoncée est d’agir de manière plus ferme avec les systèmes, à réduire les marges de manœuvre des utilisateurs, le tout pour offrir une expérience plus fiable avec les machines Mac. Notez ceci : quand je parle de « messe », ce n’est pas péjoratif, mais les présentations des produits Apple sont nommées Keynotes, et sont très théâtralisées. Aussi informatives que enclines à la propagande, une keynote est donc de la communication de Apple pour les utilisateurs de Apple. Concrètement, l’idée est donc d’appliquer la même stratégie pour les machines de bureau Mac que celle présente sur ses produits mobiles. Expliquons rapidement l’intérêt : contrôle qualité (qualité logicielle, pas qualité de contenu) optimal ou presque, validation des programmes qui peuvent finalement être bannis s’ils se révèlent mauvais à l’usage, et j’en passe. Fort bien. Le client final y trouve son intérêt, car fini la course au logiciel, fini les risques de virus, arnaques… Mais c’est aussi une problématique bien plus grave qu’il n’y paraît. En quoi une société peut-elle donc trier les programmes qu’elle va distribuer ?

Schématisons un peu la problématique : est-ce à Apple de dire qu’il n’est moralement pas acceptable d’avoir des programmes qui affichent des images pornographiques ? Est-ce à Apple de décréter que tel ou tel jeu est offensant, malsain ? Est-ce enfin à Apple de décider, sans la moindre explication, qu’un programme X n’est pas bon pour ses clients ? C’est ce qu’on appelle de la censure. Ce que je fais de mes appareils, ça ne les regarde pas. Qui j’appelle, non plus. Sur quel site je vais, encore moins. C’est à un état, à des structures juridiquement encadrées de traiter ces problèmes, pas à une société privée. Pire : une société a pour but final de faire de l’argent. A quand un financier intégriste qui injecterait des millions pour que les appareils Apple censurent une partie du réseau, puisque tous les appareils ou presque à la pomme revendiquent la connectivité à la toile ? Je ne saurais tolérer une telle attitude.

Distribuer des logiciels, ce n’est plus vendre des disquettes sans inquiétude. C’est un acte qui peut devenir moralement limite, mais également une responsabilité lourde à porter. J’estime donc qu’une société doit absolument savoir se faire aider pour agir de manière concertée et intelligente lors de l’acceptation, ou du refus de distribution d’un programme. Interdire un jeu qui met en scène de la torture ? Je n’y vois pas trop d’inconvénient sur le fond, mais ce n’est pas à Apple d’en décider. Que la société se fasse écho de ce problème auprès de structures légales, là, il y aurait déjà une démarche plus citoyenne. Pas question d’une action unilatérale.

Enfin, la liberté d’expression, c’est pouvoir décrire ce qu’on apprécie, tout comme ce qu’on déteste. Je suis libre de penser que les appareils Apple sont bien finis, design, ergonomiquement bien faits. Je suis tout aussi libre d’installer les programmes que je désire, sans avoir eu au préalable demandé l’aval d’un inconnu dans une firme dans laquelle je n’ai aucun rôle. Les entreprises n’ont pas à devenir des substituts à la loi.

Description de la mise à jour du système Mac Os, et son fil de discussion enflammé entre amateurs des produits Apple.

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