15 juin 2009

Personnification

Parmi les habitudes humaines, certaines me laissent fortement perplexes et m’incitent à me gratter la base du crâne de circonspection. Tel un Taz surpris par l’incongruité du monde qui l’entoure (vous savez, le diable de Tasmanie), je m’interroge alors sur le pourquoi des choses, le comment nous y sommes parvenus, puis finalement de lassitude j’en hausse les épaules. Mais là, sur la personnification des choses, je reste encore interrogatif autant qu’amusé par nos petites manies.

N’avez-vous pas remarqués que nous tentons de donner une personnalité à tous les objets ou presque ? Pour autant que je sache, une friteuse reste muette à nos insultes, tout autant qu’une voiture restera froide à vos invectives en cas de panne. Alors, pourquoi s’échiner à leur donner un prénom, les insulter, ou les flatter ? Serions-nous donc encore si superstitieux que nous en sommes à croire que des objets manufacturés puissent avoir une âme ? Cela semble pourtant risible, en tout cas présenté de cette manière, mais, lorsque les contrariétés prennent le pas sur le sang-froid, il s’avère que nos vociférations rendent « vivantes » les choses, rigolo, non ?

Prenons un exemple concret : la voiture. Objet phallique par excellence, la bagnole semble être pour bon nombre d’hommes (disons plutôt « mâles » dégénérés) une extension de leur virilité. Alors, forcément, quand la mécanique devient rétive, que le gouffre financier se voit dégradé par un malotru maladroit du cerceau, c’est à coup d’insultes fleuries, voire de poings vengeurs que les choses se gèrent. Qui n’a pas poussé le tonitruant « Saloperie de bagnole de merde ! » lors d’une panne ? Qui ne s’est pas mis en rogne en braillant sur le tableau de bord devenu sapin de noël avant l’heure ? Quel vain et stupide espoir nous anime à ce moment là ? Celui que la voiture se mette à nous répondre d’un très significatif « Va te faire voir ducon, je suis en panne abruti ! » ? Certes non, la bagnole n’est pas encore au stade où elle peut tenir une conversation décente (sauf si l’on songe à ces saletés pondues dans les années 80 et qui vous rabâchait sans cesse « porte mal fermée » ou « feux non éteints »), mais clairement notre instinct nous pousse à donner une personnalité et une « âme » aux objets.

Les exemples sont légion mine de rien : depuis le téléphone portable en rade de batterie au mauvais moment, jusqu’à l’ascenseur qui vous interdit de vous emmener au huitième étage, le bestiaire d’inanimés est franchement gigantesque. D’ailleurs, la taille n’a aucun rapport avec cette façon de penser aux choses : on parle bien de la Dame de Fer pour la tour Eiffel, c’est dire. Mais allons dans le bon sens : c’est globalement la fureur qui nous amène à perdre l’intelligence de ne pas parler aux choses, c’est juste un retour au primaire, à l’animal, à l’insulte sûrement proférée à l’encontre d’une gazelle ou à un mammouth trop prompt à échapper à nos dents carnassières. En quelque sorte, le « Putain de canasson de merde, reviens ici ! » s’est transformé en « Connasse de cafetière ! Fais moi mon jus ! »

Et puis il y a le côté le plus tordu de la chose, le vice absolu, celui de donner un prénom aux choses : Titine pour la charrette, à la guitare fétiche du guitariste cocaïnomane, ou bien encore de coller un prénom féminin à un fusil (voir Full Metal Jacket de S.Kubrick pour comprendre la référence). Là c’est un autre monde : l’objet devient vivant, il se voit doté d’une présence, d’une importance, au point que j’exigerais une thérapie psychiatrique pour les plus atteints. Ce ne sont que des objets, de la manufacture, du bricolage, et les voilà affublés de prénoms. Bon, il est vrai que Marguerite c’est plus classe que « Tracteur Renault D30 »… quoique. Mais qui suis-je pour juger de la santé mentale de ces gens là ? Au fond, si ça les rassure de croire que la mécanique, l’électronique, ou la nature leur sera plus favorable en personnifiant ces bidules et ces machins, après tout, pourquoi pas, ce sera toujours moins visible qu’une patte de lapin ou un fer à cheval fixe au pare-choc !

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