02 juillet 2018

Adieu Corbier

Sans ta barbe

Je me sens un peu seul aujourd’hui. J’ai une impression curieuse, une sensation de vide où l’on peut caser tout ce qu’on veut sans que pour autant cela rebouche le trou béant. C’est une figure qui est partie, une trogne incomprise qui aurait mérité un autre destin que d’être la risée et une icône de la télévision des années 80. Le grand Corbier est parti à l’âge de 73 ans, et ce n’est pas le môme nostalgique qui verse sa larme mais l’amoureux de la poésie qui chiale une plume fine et incisive. Quand les adultes de ma génération voient partir un clown triste du petit écran, moi je vois un vrai chansonnier parti rejoindre ses potes comme le furent Brassens et tant d’autres.

Résumer ce grand bonhomme par le club Dorothée, c’est omettre le plus important de ses talents à savoir celui de savoir improviser sur des petits riens, et savoir les mettre en chanson. C’est ça le vrai chansonnier, prendre du vif et le rendre poétique, pousser le dérisoire jusqu’à l’absurde et le rendre ainsi adorable et délicieux. Corbier a écrit des chansonnettes sur quelques mots lâchés par des marmots, glissé des jeux de mots coquins dans de la musique enfantine, détourné des thèmes anodins pour les rendre plus sérieux, et rien que pour ce talent j’ai une forme de colère triste qu’on oublie qu’il n’était pas qu’un pitre bon à être entarté au gré des débilités de l’émission pour enfants. Relisez les textes des chansons qu’il a pu composer pour le club Dorothée, vous serez surpris de voir à quel point il a été à un autre niveau face aux autres productions de ce show ! Cela ne rabaisse pas le reste car, finalement, le but premier était de produire et de vendre du contenu, mais cela le mettra, je l’espère, à un autre niveau son talent en comparaison des autres « chansons » de l’époque.

Ce qui me rend passablement triste, c’est qu’avant tout on ait pu réduire, comme on le fait constamment, le talent d’une personne à une seule image. Pourtant, sa prestation télévisuelle aurait dû mettre la puce à l’oreille ! Etre capable de composer à la volée une chansonnette, être capable de faire de la poésie parmi la bêtise enfantine et, soyons clairs, plutôt lamentable de l’émission, cela aurait dû nous alerter sur ce talent ! Mais non, beaucoup résumerons l’artiste à « ça »… un « ça » presque péjoratif, insultant, dénigrant tout ce que l’émission n’a pour ainsi dire jamais montré. Le bonhomme était d’une amabilité et d’une tendresse absolue pour les autres, il avait gardé cette simplicité et cette honnêteté de l’artiste qui a toujours fait les choses par plaisir dans son coin. De là j’entends alors les râleurs couiner sur le « ben il s’est bien fourvoyé en allant là-dedans, c’est hypocrite ce que tu dis ». Correction fondamentale : la fibre artistique c’est bien, avoir l’estomac plein c’est mieux. Demandez aux musiciens combien ont accepté d’accompagner un groupe « ne les intéressant pas », ou encore jouant lors d’un bal/mariage/baptême pour boucler la fin de mois, demandez-leur s’ils ont toujours été heureux de jouer sur des scènes restreintes pour avoir de quoi manger, et on pourra ensuite avoir une discussion construite sur ce qu’est un travail alimentaire. Monsieur Corbier a effectivement bossé et accepté ce métier de saltimbanque, et j’invite tout le monde à ne jamais commenter cette partie. Il en a bien vécu…. Et tant mieux !

Au-delà de ça, ce billet d’humeur et de tristesse a une double vertu me concernant : pleurer une belle plume et tenter, si possible, de faire redécouvrir un talent hélas trop méconnu. Poète fin, drôle, sarcastique, triste parfois… comme tout vrai défenseur et amoureux de l’Homme et des mots (maux ?) qu’on porte en chacun de nous. C’est là une vraie ambiguïté chez le clown, on ne voit que son côté rigolard sur scène, sans jamais vraiment y percevoir toute l’humanité et même l’humanisme qui l’habite. J’ai eu la chance pour même carrément dire d’échanger quelques mots avec le bonhomme. J’ai été agréablement surpris et flatté par le respect et la finesse des réponses, tout comme cette attention donnée aux autres. On ne croise pas tous les jours quelqu’un qui sait ce qu’il est, ce qu’il a fait, qui assume pleinement, et qui, contrairement à certains artistes qui disent « avoir honte », prend la chose avec toute la force de l’honnêteté qui le caractérisait. Je vous mets ci-dessous le lien vers cet entretien épistolaire.
Echanges de courrier avec Corbier
Pour finir, je tiens aussi à vous faire découvrir cet univers de Monsieur Corbier, un Corbier si différent et en même temps si proche de ce qu’il a pu être dans votre enfance/adolescence. Vous verrez, ça n’est pas si éloigné des chansonnettes qui vous semblaient simplistes… sans l’être totalement.



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