31 janvier 2013

Médecine

Je dois être vieux jeu. Je dois même être carrément une sorte de croisement entre un vieux réac' et un jeune con, au titre qu'il m'arrive régulièrement d'avoir des réflexions très dures à l'encontre de celles et ceux qui ne se préoccupent pas, en vrac, de leurs devoirs civiques, qui se moquent éperdument des autres, et surtout de cette masse d'ânes qui se permettent de critiquer sans pour autant offrir la moindre proposition concrète. Ainsi, je suis donc l'archétype même du "sale con" (et j'y tiens), le gus qui n'accepte pas le haussement d'épaule et la mine déconfite en guise de réponse.

Au quotidien, nous jouissons d'un confort hors du commun. Trois repas, un toit, un chauffage qui marche, des transports en commun, une sécurité personnelle quand même pas si mal assurée que ça, et ça nous semble naturel et légitime. Pourtant, qui se préoccupe de regarder dans le détail comment nous sommes parvenus à cette situation? Plus j'écoute les gens, plus ils me révoltent dans leurs propos. Alors, comme ça, en vrac: les flics sont tous des abrutis sans diplôme et sans éducation, tous les fonctionnaires sont des glandeurs qui n'ont pour seule occupation que de voir si la pendule du service est à l'heure, et les hôpitaux sont trop lents à la détente parce qu'ils ne font pas leur boulot. Un mot me vient à l'esprit, comme à chaque fois: Merde. Oui, un "Merde" éclatant, nauséabond, violent et intransigeant. A ces imbéciles qui pensent pouvoir se prémunir d'un droit de jugement de ces professions, le mot "Merde" est même insuffisant. Des insultes sont au bord des lèvres me concernant!

Avez-vous daigné vous interroger sur le fonctionnement des urgences, sur les besoins humains pour faire fonctionner un hôpital? Non? Avez-vous réfléchi à la charge de travail et à la responsabilité de chacun dans établissement de ce genre? Apparemment, peu s'inquiètent réellement de ce qui se passe dans nos hôpitaux, quitte à être infects. Pourquoi doit-on coller des plantons pour faire la sécurité dans les urgences? Parce qu'une bande de salopards ont trouvé le moyen d'agresser le personnel hospitalier, tout ça parce que "ça n'allait pas assez vite" à leurs yeux. Pas assez vite?! Fumiers! Quand un service se retrouve à fonctionner avec à peine la moitié du personnel réellement nécessaire, quand la capacité d'accueil n'est pas suffisante en terme de lits, quand on n'invite plus les jeunes à s'orienter vers les fonctions du médical, on en arrive à des mécanismes où les gens sont usés, constamment débordés, et traités par les patients comme de la "merde" (justement). Honteux.

J'ai une colère bouillonnante là-dessus, parce qu'il faut bien voir que d'un côté les gens se prennent pour des clients, ce qui sous-entend une obligation de résultat, mais qu'en même temps pas un ne voudra faire ces métiers durs, autant physiquement que psychologiquement. Physique? Dur? Allez donc crapahuter toute la journée dans les couloirs, à courir pour aider les patients, allez donc déplacer des malades incapables de bouger, poussez donc sans arrêt des chariots de médicaments, tout en assurant vos gestes pour qu'il n'y ait pas de risque sanitaire, d'erreur de traitement, ou carrément d'accident suite à une mauvaise manipulation. Vous avez tous connu le cas du "j'ai tellement couru que j'en tremble". Maintenant, tentez une prise de sang avec les mains encore fébriles après une course à pieds, et on en reparle. Et psychologiquement? Qui se rend compte de la situation d'avoir des gens de tous les âges qui arrivent, depuis le petit bobo bénin, jusqu'à la mort clinique annoncée dès la prise en charge? Qui veut bien accepter de côtoyer la maladie, la souffrance, la "honte" des patients de se sentir impuissants, de gérer la dignité des personnes incontinentes, de leur faire leur toilette, et tout ça avec en prime les insultes et les remarques désobligeantes de patients se croyant à l'hôtel? Vous êtes prêts à le supporter? Non? Alors respectez ceux qui le font à votre place.

Aujourd'hui, la médecine française va du meilleur au pire. Le meilleur est là, avec ces experts reconnus, ces compétences exceptionnelles dans bien des domaines pointus. Le meilleur est là aussi parce qu'il y a encore des petites mains qui aiment leur métier, qui se bougent, jour et nuit, pour que nous ayons des conditions décentes d'hospitalisation et de soins. Et le pire, c'est qu'on ne leur reconnaît même plus ces qualités, on leur reproche de vouloir défendre une certaine idée de la médecine. Quand on mêle aspects comptables et médecine, on fait l'erreur d'oublier l'humain dans l'équation, et ça, ça me révolte. Ni plus, ni moins. J'ai honte d'un pays qui, faute de moyens alloués, voit des services d'urgence se mettre en grève, ou qui en arrivent à menacer la direction de démission collective pour alerter les médias. Dramatique, inacceptable. On est capables de financer la construction de navires de guerre, de vendre des technologies à l'étranger, mais bizarrement sauver nos services de santé, là les caisses sont vides... Et on subventionne bien, à perte, des sociétés qui viennent profiter d'une fiscalité intéressante (et qui foutent le camp une fois les aides dépensées).

Je suis en colère. Pas contre les services de santé. Pas plus que contre ceux qui les gèrent. Les uns comme les autres composent, à leurs niveaux, avec des problèmes divers. Les petites mains espèrent du budget. La direction a un budget qu'on leur alloue en sachant qu'il sera insuffisant. Alors la direction fait des choix difficiles à digérer. Mais merde! On se dit "riche", on se prétend "nation humaine et libre", alors que la première des libertés, c'est quand même de vivre, non? A quand la question du "avez-vous une mutuelle", avant même de demander le fondamental "où avez-vous mal?". La colère est encore plus forte, explosive, pour ne pas dire carrément violente quand j'entends encore des gens se plaindre de notre système de santé. Il est à l'image de la France: il se délite parce que les gens se délitent. Nous ne voulons voir que les avantages à tirer, sans prendre conscience que tout avantage a un coût. Dans un monde où nous favorisons notre confort personnel en lieu et place d'une unité morale, on ne peut guère espérer que nos hôpitaux aillent mieux dans l'immédiat.

Je parlais de la police, des pompiers, de l'armée et des services de santé. Ils sont tous anonymes, et pourtant ils permettent à la Cité de vivre sa vie. On ne les regarde jamais ou presque; on les tourne en ridicule et on colporte des images dégueulasses. Le flic con... Le bidasse sans cervelle... L'Antillaise lente et flemmarde en hôpital... Mais merde, qui s'interroge sur les motivations et le courage quotidien qu'il leur faut pour assumer leurs tâches? Ils méritent notre respect, alors que nous autres, nous exigeons qu'ils nous respectent. Dites, le respect ne s'exige pas, il se mérite!

Alors, un grand salut à celles et ceux qui travaillent loin des caméras, à qui on ne dressera jamais un monument en leur honneur. Un grand merci à ces personnes qui s'agitent pour nous offrir une vie décente et confortable. Et un grand "je vous emmerde" à tous ces cons qui ne comprennent décidément rien à rien.

PS: au service d'urgence de Grenoble. Si vous lisez ce texte... Tenez bon, défendez votre travail. J'admire les gens comme vous, et je m'estime tout petit face à votre compétence, votre responsabilité au quotidien, et surtout face au fait que vous arrivez encore à sourire malgré toute la misère humaine qui traverse vos services.

Merci pour eux, merci de ma part.
les urgences de Grenoble se révoltent sur France3

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