19 décembre 2012

Passe moi le sel

Non, je n'ai pas évoqué le sel pour éveiller mes papilles passablement anéanties par mon tabagisme, ni même pour soutenir une quelconque traque à la malbouffe dont les annonceurs se font l'écho. Non, si je songe au sel, c'est surtout suite à l'expression "mettre son grain de sel" qui m'amuse tout particulièrement. Ah, l'idée de gripper toute une belle mécanique avec un tout petit rien, de saboter un repas d'une simple pincée de ce produit blanc! Je sais, c'est méchant, inutilement méchant voire même stupide, mais reconnaissez le, vous avez déjà envisagé d'utiliser à tort et à travers la salière, rien que pour le plaisir malsain de voir se déformer les traits d'un con-vive trop regardant avec son assiette.

Saler, sucrer, ajouter du poivre... Qu'importe! Le jeu est de se dire qu'on peut très facilement pousser au désastre les choses les plus complexes, et cela rien que pour l'autosatisfaction. Prenez donc l'ahuri qui, au détour d'une soirée trop arrosée, urine sur une ligne à haute tension. On ne peut pas parler de sabotage, car le personnage y laisse sa propre carcasse dans un éclair de lumière, et au surplus fait sauter les plombs aux alentours. Là, ce n'est donc pas un grain de sel dans une situation, c'est juste de la bêtise crasse bien ordinaire. En revanche, le type qui, volontairement, se pointe avec des câbles d'acier, les balance en toute sécurité sur les mêmes lignes, et disparaît sans laisser de trace, il y a là volonté de nuire, se faire suer ses contemporains, bref de créer du bordel ambiant avec trois fois rien. Ca, c'est du grain de sel mis dans la soupe supposée fade qu'est l'existence!

Notons que cette attitude de saler les choses peut être identifiée partout. Entre le roi du ragot qui vous pollue une discussion en lançant de manière pernicieuse des rumeurs, celui se délecte du dénigrement d'autrui, ou encore celle qui a pour seul plaisir dans sa vie que de se venger sur les défauts des autres, il y a de quoi faire concernant la quantité de sel mise dans nos gamelles. On fait avec, on écoute avec considération et charité, alors qu'il serait plus de bon ton de mettre un terme immédiat à la chose en grognant un "ta gueule" bien senti. Cependant, on ne peut guère s'y résoudre, faute de pouvoir conserver un entourage décent. Hé oui: la médisance volontaire est une façon très humaine de vomir ses propres frustrations, de tailler en brèche les autres en se disant "finalement, ils sont pire que moi". Raté! Etre pire que celui qui salit les autres, cela devient franchement difficile, même si le sport devient curieux quand les gens s'échangent des coups par rumeurs interposées. Là, c'est donc la guerre du grain de sel... Sacré foutu grain quand même, car parfois cela mène à des homicides. Je me demande comment vendre ça aux assises d'ailleurs. "Elle n'avait pas à mettre son grain de sel". Ce serait une réplique d'anthologie pour tout juriste amateur d'ironie de prétoire.

Plus on s'avance dans la connaissance, moins celle-ci se révèle suffisante. Cette phrase (de moi) résume fort bien notre situation. Plus on en sait, plus on voit les domaines où l'humilité serait une bonne chose pour nous pousser au silence. Or, malheureusement, l'Homme a un goût immodéré pour la vacuité du propos. Tu ne sais rien? Mais tu vas parler! Et le pire, c'est que les dits bonimenteurs sont convaincus d'avoir LA réponse, la bonne, universelle, immuable et pouvant s'épingler à tous les revers de costume. Qui n'a pas croisé le radical qui s'étiquette de lui-même sans ambiguïté dans un courant extrême? C'est un petit bonheur que de l'écouter vociférer, rendre sa béquée bien assimilée sous forme de tirades prêtes à l'emploi. Enfin un bonheur, tout est relatif, encore faut-il aimer les clichés et les inepties et autre imprécisions confortables dont ils font souvent preuve... Mais là, c'est un autre débat.

Et moi, je me pose là, en face de ce profil, de cet ignare armé de son inculture, et m'amuse à sortir la salière, la bonne vieille salière de bistrot, l'inusable, l'incassable... Et je saupoudre sa mécanique intérieure à coups de questions méchantes, de remarques cyniques, et de petites piques bien senties; Un fasciste convaincu? "Dommage que le Duce n'ait pas été entouré de types aussi convaincus que toi". Un nationaliste aveuglé par ses convictions? "C'est sût, une France expurgée de tout ce qui n'est pas Franc, ça laisse un territoire vide à plus de 70%". Une sotte qui tente de me faire avaler des idéaux sociaux radicaux? "Ah oui, j'ai lu un truc intéressant là-dessus... Le manifeste du parti communiste. Il paraît qu'on a essayé de mettre ça en oeuvre en URSS et en Chine, et que ça fonctionne encore en Corée du nord".

Oui je suis méchant, j'aime coller du sel dans la tambouille des autres!

Chère violette, peux-tu me passer la salière? Il y a l'UMP qui en redemande!

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