11 janvier 2011

Réflexions sur l’embrigadement

Après avoir dévoré une grosse bibliographie et énormément de documentaires sur la période de la seconde guerre mondiale, le tout à titre documentaire pour un projet très personnel (dont je parlerai peut-être un jour ici même), j’ai poussé la réflexion sur des terrains très particuliers et humains. En effet, s’il est une chose fondamentale dans la seconde guerre, c’est la capacité qu’ont eu les différents belligérants à endoctriner leurs troupes, voire à les mener à l’inconcevable, à la barbarie la plus totale. Nombre de personnes se contentent de parler de folie collective, de cas psychiatriques, mais en oubliant que cela ne saurait être suffisant pour l’immense cohorte de soldats, fonctionnaires, et autres membres des différents états. Je ne vois guère comment se contenter de dire « ils étaient tous fous », surtout quand on parle de millions de personnes, et, surtout, de millions de victimes.

Il n’est, à mon sens, pas nécessaire d’aller trier les niveaux de responsabilité, tout comme j’estime comme incongru de pointer du doigt telle ou telle organisation. D’un point de vue global, tout système tendant à massacrer des populations civiles pour des questions d’ordre idéologiques, raciales, ou religieuses se comportent strictement de la même manière, ceci en usant de trois mécanismes distincts : la revanche, la peur, et la propagande. Une fois les trois systèmes instaurés et appliqués, c’est alors l’endoctrinement qui permet d’obtenir des résultats dépassant l’imagination. Certes, individuellement, nous sommes nécessairement choqués par l’indescriptible horreur que nous inspirent le système concentrationnaire, les déportations, et les dévastations de masse qui eurent lieu pendant la seconde guerre. Pourtant, il faut regarder au-delà de la seule déontologie, et bien lire les cartes avec attention, car il serait alors que trop facile d’oublier toutes les particularités des régimes qui agirent à l’époque.

Tout d’abord, la revanche.
Instaurer un climat de confiance dans la population est nécessaire, car il faut forcément cibler un ennemi, qu’il soit intérieur ou extérieur. L’important, c’est de désigner un coupable, et de lui faire porter les maux de la société. Pauvreté, chômage, déliquescence du système en place, famine, anarchie, toutes ces situations conjoncturelles permettent à la rhétorique brutale et sécuritaire de s’installer facilement. Prenez un peuple qui vit au quotidien l’humiliation de ne pas avoir le droit de s’exprimer, à qui l’on a dit que toutes les horreurs sont de leur faute, que leur sort n’est qu’une conséquence de leur bêtise, et vous obtiendrez un creuset favorable aux dictatures. Tant Hitler que Mussolini se sont vus mettre au pouvoir de manière totalement légale. Comment ? En revendiquant la revanche contre des traités de paix iniques, en estimant que leur pays n’avait pas à subir une telle humiliation collective, et que le peuple se devait donc d’être fier… et se rebeller contre cet état de fait. L’Allemagne a donc été séduite par un régime autoritaire, voulant se débarrasser du Diktat (ce qu’il fut d’ailleurs dans les faits) de Versailles, et retrouver la gloire passée de la nation Allemande. En pointant ensuite les juifs du doigt pour la crise de 1929, le nazisme a donc cherché la revanche contre une situation devenue insupportable. Pire encore : le communisme faisait peur, il terrifiait la petite bourgeoisie par ses idées, surtout celles qui avaient pour essence la fin de la propriété privée. Le nazisme a donc été favorisé par le goût de la revanche dans les couches basses de la population, par l’envie d’ordre des anciens soldats non démobilisés, ainsi que par les petits bourgeois effrayés par l’anarchie ambiante menée par les pro communistes.

Ensuite, la peur
Avoir peur du régime, c’est en craindre les exactions, ainsi que le pouvoir représenté par son appareil répressif. Nombre d’Allemands se sont tus parce que le régime instaurait quoi penser, quoi dire, quoi faire, et que toute déviance était sévèrement réprimée. Dans une large mesure, tant que l’homme n’est pas lui-même ciblé, il estime qu’il n’a pas à se révolter contre la chasse aux sorcières. En effet, quand « l’ennemi » est clairement identifié, quand il subit les foudres du système, et qu’on n’est pas soi-même pris en chasse, on finit par admettre que cette terreur est nécessaire, voir souhaitable. Ainsi, faites peur à la population en général, ceci en matraquant l’ennemi réel ou supposé, et vous obtenez une population docile, qui, à terme, finit même par vous soutenir. Aussi fou que cela paraisse, nombre de personnes furent amenées à donner raison aux régimes totalitaires, au point d’idolâtrer les icônes représentant les dirigeants. Staline a été, à cette époque, l’expert de cette méthode : après les purges de 36, où les victimes se sont comptées par millions, l’homme a monté tout un principe où il était déclaré être le « petit père des peuples ». La peur intangible d’être arrêté a donc été transformée en « Ne crains le pouvoir que si tu t’opposes à lui ». La peur rend docile et malléable, et c’est là qu’opère le dernier mécanisme, le plus pervers, le plus insidieux qui soit : la propagande.

Propagande et exercice de la barbarie
Il est indispensable que l’appareil de propagande soit très au point, et que des idéologues convaincus se soient chargés de sa mise en place. Sans propagande, pas d’obéissance, surtout concernant les masses politiquement peu éduquées. Il est indispensable d’inculquer nombre de dogmes politiques, notamment le culte de la personnalité du chef, la foi absolue dans le système, ainsi qu’une ventilation de la responsabilité. Dans un système efficace, il faut que chacun ait sa part de responsabilité dans le fonctionnement global, au point où chacun se sent finalement investi d’une mission unique et nécessaire. On ne peut pas compter sur un nombre restreint, il faut compter sur l’approbation collective. Et cette approbation tacite ou ouverte ne s’obtient que par un matraquage médiatique bien construit. L’idéologie s’inscrit dans la durée, pas dans l’instant. Il ne faut surtout pas perdre de vue que tant le fascisme que le nazisme sont arrivés au pouvoir bien avant la seconde guerre mondiale, et que plus d’une décennie s’est écoulée entre l’accession au pouvoir et l’effondrement de ces deux systèmes. Plus affolant encore : le communisme Stalinien a résisté à la fin de la guerre, ceci grâce à la victoire de l’URSS face au Reich Allemand. Quoi de plus efficace qu’une victoire pour asseoir son pouvoir ? Un état qui gagne, c’est un état en lequel les gens ont confiance. C’est en cela que le communisme a su résister à la fin du conflit. Une fois la doctrine belle et bien insérée dans les esprits, une fois que la jeunesse a été formatée par l’éducation, le concept même de bien et de mal est révisé et altéré par la doctrine. Le fanatisme est relativement aisé à obtenir, d’autant plus s’il est inculqué dès le plus jeune âge. En conséquence, il devient alors difficile de croire qu’on puisse résister à de telles pressions, tant de l’entourage que du système lui-même.

L’analyse de la responsabilité personnelle et collective doit être effectuée au cas par cas. Il ne faut certainement pas pratique l’amalgame, d’autant plus si le système politique s’est échinée à mettre sur un même niveau les responsabilités de chacun. Cibler, c’est alors refuser de voir autour, le contexte, la manière d’être arrivé à une telle crise. Le carnage ignoble des camps n’a pas été le fait de quelques hommes. Il a été organisé de sorte à déliter les actes : un tel fait circuler les trains. Un autre a aidé à faire entrer les déportés. Un troisième s’est chargé du comptage. Qui, parmi eux, peut être accusé d’avoir été l’exécuteur final de la sentence de mort ? Concrètement, on ne saurait dire aucun, ni tous. Le poids de l’endoctrinement a mené à ce que chacun participe, à son niveau, de manière efficace et structurée. L’anarchie n’est pas tolérable en dictature, et c’est la rigueur de la fonction, ainsi que l’exigence de résultats qui mènent à l’obéissance. Ne l’oublions jamais : chacun peut céder aux chimères du totalitarisme, notamment quand on estime que le système en place est soit faible, soit inadapté. Ce n’est pas pour rien que les thèses fascistes récoltent encore nombre d’adhérents. Ce n’est pas pour rien que nombre de thèses insistent sur des faux (protocole des sages de Sion en tête), sur des complots supposés (complot judéo bolchevique, cher à la doctrine nazie), que certains vont même jusqu’à nier l’existence des crimes de guerre. Il ne faut pas croire que l’abomination des camps ne peut se reproduire. C’est en refusant de constater les dérives communautaristes, xénophobes ou racistes des états qu’on légitime les mouvements radicaux aux idéologies dangereuses. Tout a déjà été écrit, et les livres politiques sont en soi de véritables mode d’emploi : le mein kampf d’Hitler, tout comme le petit livre rouge sont autant d’ouvrages susceptibles d’ouvrir de nouvelles voies dans la dictature.

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