03 janvier 2011

La lucidité

Je suis fou. C’est officiel, je le confirme, je l’affirme même, mes neurones battent de l’aile et j’aime ça. Pourtant, m’étant autosuggéré que j’étais une personne saine d’esprit, j’espérais maintenir ma place dans la société humaine, ne serait-ce que pour assouvir des besoins ordinaires tels que celui de communiquer socialement, ou plus prosaïquement d’aller faire des achats. Dans l’absolu donc, je me pensais tout à fait ordinaire, relativement intégré, et surtout suffisamment sain d’esprit pour ne pas finir en chambre capitonnée.

Mais hélas, trois fois hélas, le destin s’est engagé sur la voie de la dégénérescence ! Je me suis supposé ordinaire, alors que tout psychiatre m’aurait déjà alerté sur mes déviances intellectuelles. Ah ça, être critique, trop penser, trop réfléchir, c’étaient des indices fortement signifiants de ma folie latente, voire même des symptômes très inquiétants pouvant dire « Ca y est, je suis un dingue ». Et dire que je me targuais, à tort, de ne pas avoir les fils qui se touchent ! Quelle erreur, que de croire qu’on est sain quand, en fait, on est totalement atteint. La camisole m’attend, les murs molletonnés m’observent avec insistance. Encore un peu, et je serai jeté dans une cage, avec l’esprit déconnecté grâce aux bienfaits de la camisole chimique.

Peu à peu, j’avais tenté d’éviter le naufrage cérébral, ceci en me lançant, en vain bien entendu, dans la rédaction de ces chroniques. Indice à la Maupassant, j’espérais y lire ma déchéance, et donc y mettre un terme au bon moment. Malheureusement, comme tout cinglé qui se respecte, j’ai eu l’outrecuidance de ne pas accepter cet état de fait, de ne pas me rendre compte que oui, je suis barge, que ma cafetière est fêlée, et que je prends l’eau en permanence. De fait, quand on me disait « Tu es vraiment cinglé », avec le recul, s’avérait un diagnostic des plus exact. Je suis dingue, et j’en suis donc fier.

Maintenant, reste à valider cette situation. Je suis supposé rencontrer un psychologue pour le boulot, lui parler de notre situation professionnelle, et donc mettre sur la table tout ce qui est supposé provoquer du stress ou du mal-être. Rien que l’idée me fait frémir : moi qui me suis diagnostiqué une folie, que va dire cet analyste chevronné ? Va-t-il, comme moi, piquer un fou rire, ou au contraire tamponner mon dossier avec un joli label « A enfermer » ? Dans l’absolu, je laisse le doute se perpétuer. Quelque part, le dit toubib se moquera totalement de mon état cérébral, et favorisera probablement une analyse circonstanciée de tout ce qui pourrait être « nuisible » à mon entreprise. Sortie de cette logique, je devrais réussir à en réchapper sans un internement d’office. Quoique, avec ma chance, je pourrais très bien être invité à visiter des locaux dont je n’aurais le droit de sortir que sous bonne garde, et chargé en sédatifs.

Allez, de l’entrain ! Je suis un grand malade, un mégalomane doublé d’un mythomane à mes heures ! Laissons le destin entrer dans la danse : nombre de fous mégalos ont réussi à gravir les échelons du pouvoir. Donc, si je m’entête à être dingue, si je m’acharne à me convaincre que j’ai quelques cases en moins, je pourrais bel et bien briguer un poste d’autocrate ! Chouette ! J’ai donc un avenir, et ce malgré mes tares congénitales. Allez, on chante après moi : « Jefaispeuralafoule… président ! Jefaispeuralafoule… président »

Aucun commentaire: