30 décembre 2010

Anarchie

Je rebondis sur mon dernier texte pour aborder une question très délicate, car celle-ci renvoie vers une mouvance politique très complexe sur laquelle nous collons facilement l’étiquette « anarchie ». Sa complexité est si grande qu’elle a fait l’objet d’une quantité énorme d’ouvrages, à tel point qu’il me semble presque ridicule d’espérer résumer ces opinions extrêmes avec un seul mot. Le confort du résumé aidant, la foule admet donc un raccourci non seulement dangereux, mais surtout erroné. A mon sens, il faut donc pratiquer une analyse précise de chaque revendication, ceci afin d’en extraire la véritable source, et donc pouvoir identifier le socle identitaire et politique qui se cache derrière.

Tout d’abord, n’oublions pas que l’anarchie, sous sa forme revendicative et terroriste n’est pas nouvelle. Chaque période historique peut présenter un certain nombre de partis, de mouvements d’opinions tendant vers l’anarchie au sens étymologique du terme. Toutefois, si l’on veut effectuer une simplification, l’immense majorité des partis anarchistes actuels trouvent leurs racines dans l’anarchisme de la fin du XIXème siècle, début XXème, avec des personnages forts comme Ravachol. Dans l’absolu, l’idée est de combattre l’état, son emprise politique et son formatage social, ceci afin de rendre une forme de liberté aux individus. Il faut se souvenir que l’époque était plus à des dictatures qu’à des démocraties, et malgré la notion de république, la plupart des gouvernements appliquaient des politiques très strictes, pour ne pas dire dictatoriales. De plus, la notion de classes sociales avait une forme de sens, étant donné que les sociétés étaient très hiérarchisées. C’est donc contre un système que luttaient les anarchistes, ceci en employant des méthodes toujours d’actualité : braquages de banque pour le financement, assassinats de personnes symboliques (ou estimées comme telles), attentats à la bombe. La notion de terreur était déjà mise en œuvre pour secouer l’opinion publique, les journaux (média principal de l’époque) ne se privant alors pas de s’en faire l’écho. Cependant, à force de dériver et de pratiquer la violence, tous ces mouvements furent réduits au silence, tant par la perte de confiance de la part de la population, que par la mise en place de gros moyens pour arrêter les membres de ces groupes anarchistes.

Par la suite, nombre de groupuscules revendiquèrent leur anarchisme : groupes terroristes en Italie, en Allemagne, et en France, partis divers et variés souvent interdits dans la plupart des pays d’Europe, le « A » stylisé fut donc employé pour servir de base de revendication, et de symbolique compréhensible par les masses. Cependant, furent-ils tous réellement anarchistes ? Toute la difficulté est de justement faire le tri entre ceux qui, sous couvert d’action militante, se révèlent être néo communistes, et ceux qui, réellement, désiraient pratiquer l’anarchisme utopique. Cette classification, je ne me permettrai pas de la faire, d’autant plus qu’il y a souvent des écarts entre la doctrine initiale, et celle présentée par chaque groupe. C’est d’ailleurs l’écueil principal rencontré par les partis anarchistes : comment se fédérer, donc se gérer, quand la doctrine revendique justement de se débarrasser des lois et des chefs ? Le plus gros problème est donc celui qui serait normalement sa plus grande force, c'est-à-dire une mutation d’une unité d’idées en une unité dogmatique. Communautarisme idéologique et anarchie font donc, hélas, bon ménage. A terme, la plupart des mouvements (pour ne pas dire tous) finissent par se déliter, soit faute de membres actifs, soit suite à une radicalisation du mouvement. La perte de crédibilité, l’usage d’attentats aveugles sapent systématiquement le soutien populaire, si tant est qu’il y en ait eu un.

Ces dernières semaines signent le retour d’actions militantes et trop aisément étiquetées « anarchistes », notamment en Italie et en Grèce où des attentats ont été perpétrés soit contre des symboles de l’état, soit contre des symboles du capitalisme. Qu’en penser ? Tout d’abord, sans vouloir m’avancer, il est évident que capitalisme et anarchisme ne sauraient coexister. Le capitalisme nécessite évidemment une structuration sociale et économique complexe, où les entreprises et l’état s’accordent sur la manière d’organiser la société, tandis que l’anarchisme, s’il est dans sa forme la plus exacte, milite lui pour faire voler en éclats ces maillons et ces articulations riches/pauvres. Plus de riches ni de pauvres, n’est-ce pas un des fondements du « vrai » communisme ? Que l’on s’entende bien : je ne dirai pas que le communisme et l’anarchisme sont associés, je dis simplement qu’ils partagent un certain nombre d’idées communes qui, bien que légitimes et moralement séduisantes, s’avèrent généralement problématiques, pour ne pas dire dangereuses à mettre en place. D’autre part, je ne peux évidemment pas les rapprocher au-delà de ces quelques ramifications idéologiques, car le collectivisme appliqué par les gouvernants communistes s’oppose totalement au principe de liberté totale, sans loi, que prône le véritable anarchiste.

Alors, que sont ces nouveaux anarchistes ? Pour une part, je crains qu’ils soient de la même veine que ceux qui se retrouvent embrigadés dans les partis fascistes et assimilés. En effet, mêmes causes, mêmes effets. La crise économique majeure que nous traversons a eu pour effet principal d’anéantir des pans entiers de certitudes sociales. Faire travailler l’argent s’avère plus rentable que de faire travailler l’homme. L’homme qui n’est pas assez riche pour se le permettre est donc tributaire de ceux qui jouent avec ses biens. En cas d’instabilité économique, c’est donc celui qui n’a pas grand-chose qui est le plus touché. Les déçus de l’économie de marché, les naufragés du chômage représentent donc un excellent terreau pour la revanche radicale. Les partis fascistes, et plus particulièrement les partis néonazis s’appuient sur l’usage du discours sécuritaire, et ciblent l’étranger et la différence comme des causes de l’échec social. Donnez des thèses faciles à assimiler, ciblant un ennemi facile à identifier, et vous aurez des endoctrinés malléables. A l’autre bout du scope politique, les radicaux anarchistes ciblent l’état et le système capitaliste comme seuls responsables du naufrage. A leurs yeux, pour des mêmes effets, la cause majeure provient donc de l’absence de « moralité » en politique et en économie. Sans morale, pas d’humanité, donc un système inhumain doit absolument disparaître. Coûte que coûte.

Je ne crois pas que les anarchistes se trompent de cible. Il est effectivement évident que l’absence totale de contrôle des financiers par les états ne peut qu’amener à de nouvelles crises cycliques. La seconde guerre est une conséquence indirecte de la crise mondiale de 1929. L’usage de la force dans nombre de pays n’est qu’une conséquence directe du pouvoir que représente les matières premières sur le marché mondial. La manipulation des gouvernements, ainsi que le chantage au travail sont en droite ligne de cette omnipotence des finances sur la politique. Dans ces conditions, difficile de dire que les anarchistes se trompent de cible. Par contre, je suis fermement convaincu qu’ils se trompent lourdement de méthode et de solution. En effet, anéantir sans rebâtir, rêver d’une utopie égalitaire dépourvue de lois, c’est croire que l’homme n’a pas d’ambition. Les fondamentaux de l’anarchisme sont donc séduisants, faciles à transmettre et à expliquer, mais impossibles, en l’espèce, à mettre en place.

Existe-t-il une troisième voie, entre économie libre et instable, et la voie du radicalisme ? Entre ces deux bouts du spectre, il y a énormément de mouvances. Depuis le parti communiste qui, malheureusement, n’a pas assez de crédibilité pour peser dans la politique française, jusqu’à l’extrême droite qui pèse par la volubilité de ses chefs, chaque parti a des idées à offrir sur le « comment mettre un terme à la gabegie ». Où se positionner ? Ce n’est pas vers un choix unique qu’on doit forcément se tourner, car choisir un seul chemin, c’est, en politique du moins, se fermer trop de portes et d’idées novatrices. Les dissensions internes du PS réduisent à néant les discours idéologiques au profit des discours de personnes. L’excès d’influence des entreprises dans les cercles amicaux des dirigeants de droite musèlent trop les suggestions qui vont à l’encontre de leurs intérêts. L’absence de charisme des leaders de la gauche « dure » (PC et NPA) réduit son poids dans les élections. Les excès médiatiques des dirigeants du FN se font au détriment des idées de fond, rendant le parti séduisant qu’aux yeux des votes dits « de réaction ». Pourquoi ne pas les voir s’asseoir autour de la même table ?

Je suis tout particulièrement inquiet concernant l’émergence forte de ces nouveaux groupes anarchistes et terroristes. En effet, pour l’heure, ces actions sont ciblées, et d’une efficacité relative. Il n’y a pas encore de psychose, comme à l’époque sombre des années de plomb en Italie. Mais, de là, rien n’empêcherait que d’autres suivent le mouvement, s’associant à ces actes à travers l’Europe. On peut donc légitimement craindre la réapparition de l’anarchisme terroriste en France, le retour des tags « A » sur les murs, ainsi que le retour en grâce d’une idéologie anarchiste dans les mouvements souterrains. Soyons prudents tout de même. Je me demande également ce qui peut pousser les états, et donc les médias serviles, à associer des attentats à l’étiquette anarchiste. Jusqu’à présent, c’était l’islam radical qui était l’étendard terroriste, à tel point que le nom Ben Laden était une véritable marque de fabrique. Cependant, peut-on parler de terrorisme quand celui-ci ne frappe pas votre état ? La Grèce et l’Italie ont ce problème fondamental à régler, d’autant plus que l’Italie a déjà pratiqué une politique obscure d’attentats (loges P2 en tête) pour faire accuser des groupuscules ciblés. Je me demande donc si, pour l’heure, ce qu’ils appellent « anarchistes » existent réellement, et si ce n’est pas des justifications pour pratiquer des politiques sécuritaires accrues. La crise sociale majeure que traversent ces deux nations peut aisément faire dériver l’état vers une radicalisation politique…. C’est ce qui a mené l’Italie à se donner aux fascistes. C’est ce qui a amené la France à accepter sans broncher des politiques sécuritaires et liberticides. C’est ce qui pourrait donc être une conséquence du prétexte anarchiste.

Une conclusion ? Attendons de voir s’il y a réellement une renaissance de l’anarchisme militant avant de lui jeter la pierre. L’anarchisme n’est pas une mauvaise opinion, pas plus mauvaise qu’un communisme radical ou un capitalisme à outrance. Les voies intermédiaires sont à explorer, mais reste à voir si les dirigeants et idéologues de chaque parti seront capables, un jour, de s’asseoir ensemble pour discuter et trouver une façon de faire concertée. L’absence d’échange et de réflexion nous mène à des élections où un parti d’opposition, supposé faible, est capable de faire pencher la balance. L’absence de concertation et de tolérance idéologique nous jette dans les bras de la dictature tacitement acceptée par les masses. Les médias, pour l’heure, se font plus l’écho des attentats « anarchistes », que des prises de position de notre gouvernement qui, actuellement, réduit nos libertés, crée des lois autorisant que l’on nous épie en permanence, sous couvert de protection de l’économie (HADOPI), et de protection des personnes (LOPPSI).

Soyez à l’écoute, et osez la réflexion, la contre analyse.

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