13 septembre 2010

La logique du paradoxe

Bien que notre construction intellectuelle soit, en principe, prévue pour nous permettre les raisonnements les plus rationnels et rigoureux, nous pratiquons sans hésitation la « logique du paradoxe ». Je désigne sous cette définition notre capacité à justifier la décision imbécile, le geste inutile, mais qui s’appuie sur une démarche intellectuelle supposée méthodique et analytique. Ainsi, je suis profondément convaincu que la bêtise humaine est essentiellement le résultat d’une tendance à synthétiser outre mesure, au point de rendre absurde la synthèse elle-même. Pourtant, nous revendiquons la science et la technologie comme nouvelles déités de notre monde « moderne », ceci pour occulter à quel point nous pouvons parler et agir en dépit du simple bon sens.

Les exemples sont légions, certains menant au rire, d’autres au désastre. Tout d’abord, plantons le décor d’une situation inhabituelle : forte inondation, un barrage, et là, dans l’eau, un poulet (oui, le volatile qui pond des œufs, et dont le cerveau n’atteint pas la taille d’une cacahuète) est en train de se noyer. Les gens, avec le cœur qu’on leur connaît, envisagent alors de sauver le pauvre volatile apparemment condamné à finir englouti par les flots déchaînés. Croyez-vous que notre bande d’intellectuels ait concocté ? Plonger pour sauver la bestiole pardi ! Et hop... trois noyés. Magnifique résultat, même si l’on pondère ce drame avec le fait que le poulet a, par la suite, trouvé refuge tout seul sur une berge. L’histoire ne dit pas si les familles des noyés ont mangé le volatile en mesure de rétorsion... Ah, l’intelligence mise au service des idées les plus saugrenues !

Quand on y pense bien, l’Histoire fourmille d’exemples autrement moins drôles, voire même terrifiants. Suite à la deuxième guerre mondiale, les deux blocs (pour les plus jeunes, ou les plus ignorants, je songe à l’URSS et les USA) se reprochèrent mutuellement de s’armer en prévention de ce que ferait l’autre. La guerre froide était née. « Construisons des bombes pour écraser l’autre, parce que sinon l’autre nous écrasera avant ». Dissuasion ? Méthode Coué plutôt, car, au fond, l’idée même d’attaquer l’adversaire, alors que celui-ci disposait du même arsenal pour répondre, c’était garantir l’anéantissement réciproque. Jusqu’à preuve du contraire, une victoire, c’est quand il reste quelque chose à revendiquer, non ? Il est quand même invraisemblable que tant les cerveaux à la bannière étoilée, que ceux au marteau et à la faucille, l’idée même de réduire à néant l’ennemi, sans retour de manivelle, ait existé. Belle réflexion, surtout si l’on pousse la compréhension de la démarche : si j’attaque le premier, j’aurai un temps d’avance. En plus, si je suis suffisamment prompt à agir, l’autre n’aura pas le temps de répliquer. En plus, si j’ai l’arme qui n’est pas détectable, quand ils comprendront, nous aurons déjà gagné ! Si ça, ce n’est pas partir d’une réflexion poussée, pour pondre une connerie...

Une anecdote sur la guerre froide me vient, et elle est totalement symptomatique de la paranoïa qui régnait alors. L’URSS avait, au début des années 80, tissée un réseau complexe de satellites de surveillance. Les yeux électroniques devaient identifier sur le sol Américain les tirs de missiles, et donc s’offrir le temps de réaction nécessaire pour fomenter une riposte équivalente. Maintenant, imaginez la scène : bunker sécurisé à grande profondeur, des soldats chargés de surveiller attentivement les écrans de contrôle. Tout à coup, alerte ! Le satellite, asservi par un logiciel, annonce un tir de missile depuis les USA. L’opérateur, inquiet, informe immédiatement ses supérieurs qui s’apprêtent à réagir sur le champ. Mais l’opérateur, allez savoir pourquoi, se méfie, et relance la vérification : le système lui remonte alors une fausse alerte. Quelques instants plus tard : rebelote ! Une fois, ça passe, deux fois, il y a une véritable alerte quand même ! Aussi bizarre que cela puisse paraître, notre opérateur, probablement par peur panique de lancer l’holocauste par erreur, vérifie à nouveau : rien ; pas de missiles. Pas de détection. Il s’est avéré que la lumière du soleil s’est reflétée sur un nuage de haute altitude, reflet passant alors pour le panache de flammes d’un tir de missile balistique ! Si l’on y songe donc, le monde a frôlé le chaos à cause : d’un satellite à la vue plus que douteuse, une nation convaincue qu’il fallait surveiller ceux en face, et qu’on ne doit notre paix qu’à un type un peu moins obéissant que la moyenne. Pour information : ce qu’il a fait fut classé comme refus d’obéissance, ce pour qui il fut radié de l’armée ! Grandiose, non ?

Et enfin, il y a nous, les âmes ordinaires, ceux qui « pensent », enfin ceux qui tentent de le faire. Au quotidien, nous réfléchissons, planifions pour finalement craquer sur un coup de cœur ou un coup de sang. « Tiens, si j’achète ça ou ça, cela sera plus rentable… Ah y a le truc trois fois plus cher mais plus à la mode ! Je le prends ! ». Moqueur ? Dites vous bien que nous sommes tous susceptibles de faire taire notre petite voix intérieure qui, lasse de se voir bâillonnée par nos réactions excessive, doit disparaître dans un soupir en déclarant « Mais bordel, que tu es con ! ».

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