04 février 2010

Crucifixion d’un journaliste

Attention au titre, il ne s’agit pas de parler des crimes commis contre les journalistes dans les dictatures, mais plutôt d’un évènement somme toute anodin, mais qui est actuellement monté en mayonnaise par nombre de médias. En effet, durant une interview télévisée, Nicolas Totet, journaliste au Courrier Picard, s’est vu littéralement « crucifié » à la télévision par Xavier Bertrand. A lire nombre de réactions, il faudrait croire que le système de communication entre les médias et les élus se doit d’être à sens unique, c'est-à-dire que le politique peut être attaqué, vilipendé, critiqué, et que le gratte papier est intouchable, sain et honnête. Cela existe ? Cela a un sens de comprendre les choses de cette manière ?

Je suis particulièrement étonné que l’on puisse décréter qu’un journaliste soit un intouchable. Comme tout homme, il véhicule des opinions, rédige des analyses, et se heurte aux réalités, notamment lors d’une interview ou d’un débat. Comment peut-on décemment espérer que le dit « inquisiteur » soit protégé par sa carte professionnelle ? Celui qui est interrogé peut tout autant s’exprimer, défendre ses convictions, voire battre en brèche celui qui vient de le questionner. Et, pour moi, cela n’a rien d’illégitime. La critique se doit d’être réciproque, d’autant plus quand les médias ont un rôle tant informatif qu’idéologique, et ce second point est tout aussi important que le premier, au titre que ce sont les médias qui aident la population à se faire une idée ! Alors, pourquoi diable un journaliste serait-il en droit d’attaquer, sans craindre une riposte ?

Les plus anciens de mes lecteurs, ou les férus de politique, se souviennent du « Taisez vous Elkabbach ! » de George Marchais. Cela semble comique et caricatural, d’autant plus que l’élu en question n’était pas du genre à être modéré dans ses propos… Mais observons une autre perspective : si monsieur Elkabbach a obtenu une telle invective de la part de monsieur Marchais, n’était-ce pas mérité, à force de provocation et de propos insultants ? C’est un cliché des années 80, mais qui, aujourd’hui, semble terriblement d’actualité. Là, avec cette histoire de journaliste verbalement pris à parti par celui même qu’il était supposé interroger, on est en droit de penser que c’est un juste retour des choses.

Autant je suis contre la censure, l’autocratie, la répression, autant je suis tout aussi contre la presse poubelle, et surtout la presse auréolée du titre d’honnêteté absolue. Les élus, tout comme chacun de nous, a des comptes à rendre, mais ce n’est pas pour autant que cela doit autoriser toutes les dérives. Ces dernières années, la mise en avant des politiques sous la forme la plus basse, la forme « people » où l’on préoccupe plus du « qui couche avec qui », que du « qui décide quoi », a donné des pseudo scandales sans intérêt, ceci occultant totalement l’incompétence notoire de ces mêmes journalistes. Notez d’ailleurs le virage médiatique pris par le gouvernement, et notamment le président : jusqu’à la crise, on a reproché à N.Sarkozy d’être trop voyant, ostensiblement ami avec des puissants de l’industrie et de la finance, puis, après la crise, tout s’est étouffé, endormi, remis en place. Le changement ? Simplement une remise au pas des organes de presse avec pour consigne claire : « Le président doit être mis sur le devant de la scène que pour des actions politiques, pas pour des actions privées et personnelles ». A ce titre donc, cette attaque de Xavier Bertrand est une leçon de choses : l’impunité du journaliste n’existe pas, charge à lui d’être compétent et d’emmener, si nécessaire, le politique sur un terrain glissant… quitte à en subir le contrecoup médiatique.

Nombre d’articles parlent de la relative verdeur du journaliste, appuyant sur le fait qu’il n’accédait à un plateau télé que pour la deuxième fois… Et alors ? Se mettre face à la caméra, face à un politicien aguerri, et espérer avoir des réponses consensuelles à des questions potentiellement gênantes, c’est faire preuve au mieux d’inconscience candide, au pire, de la pire des bêtises. Il n’y a pas mille manières d’aborder un politique : soit on se met d’accord avec lui pour traiter des sujets consensuels (voir pour cela la pseudo interview de Jacques Chirac par Michel Drucker), soit l’on prépare ses notes, on se blinde, et l’on attaque de front l’homme d’état. Là, ni l’un ni l’autre, juste un journaliste peut-être très compétent, mais certainement pas pour ce genre d’exercice. Ce n’est pas la meilleure manière d’appréhender la télévision, encore moins d’en apprécier tout l’impact, mais, somme toute, le message est aussi adressé à la profession toute entière.

J’espère que ce désastre médiatique fera date, et sera utilisé pour donner une formation aux futurs journalistes : il faut savoir se défendre pour pouvoir attaquer. La leçon est douloureuse pour Nicolas Totet, j’espère qu’il ne s’en formalisera pas, et qu’il pourra progresser dans le métier. C’était maladroit, candide… mais pas nécessairement méchant. Il a juste payé pour une profession qui perd en qualité, en profondeur, et surtout en compétence. Alors, faites que cela stimule aussi ceux en poste pour qu’ils prennent la mesure du danger de s’exposer face à des gens rompus à de tels exercices.

Article et vidéo de Rue89.

2 commentaires:

Thoraval a dit…

Personnellement, je pense que c'est une façon de la part du monde journalistique, en prenant la défense du petit journaliste local, de se venger de l'attaque du Président sur le salaire de Laurence Ferrari. Lorsque cette dernière a attaqué les grands salaires des grands patrons et du scandale à ses yeux, que cela représentait, le Président n'a pas hésité à mettre également en avant le scandale que peut représenter le salaire d'une présentatrice de la Messe télévisée du 20 heures. L'argument est recevable, et je vois mal les médias sciaient la branche sur laquelle ils aimeraient se percher.
Et aucun média n'a relevé cette attaque et remise en question.
Alors, "défendre" un petit journaliste, c'est une façon de reprendre un peu de morale et de redevenir les pourfendeurs de l'injustice. Ce que le système médiatique aimerait, je crois, représenter. Mais qu'il n'est pas.
Bonne soirée à toi.

Merenawel a dit…

Coucou,

Je suis allée sur Rue89, j'ai vu la vidéo... faut quand même avouer que ce journaliste n'a pas l'air à l'aise sur le plateau, qu'il bafouille pas mal, manque cruellement d'assurance. Bref, qu'il n'a pas une attitude très professionnelle !

Je n'ai pas très très bien compris la question, j'essayerai de revoir la vidéo pour la comprendre, mais vu son attitude un peu frileuse, et sa gêne quasiment palpable, ce ne devait pas être très difficile de le remettre à sa place !

Je me sens presque mal à l'aise pour lui dis donc !

Jean-Michel Aphatie va tout de même beaucoup plus loin, et tape beaucoup plus fort quand il interview quelqu'un, mais comme il est vraiment à l'aise dans cet exercice...

Est ce que Nicolas Totet est un habitué de la télévision ? (j'espère pas pour lui)