21 janvier 2010

Ange ou démon

Le jugement que l’on porte sur autrui est souvent tranché : bon, mauvais, brutal, doux, nous ne laissons guère de place à la demi-mesure. Pourquoi ? Peut-être parce qu’il est plus simple de se contenter d’un résultat définitif et radical, alors qu’une analyse plus en profondeur supposerait que nous nous intéressions à l’autre. Ainsi, c’est à travers le prisme déformant des médias que nous décrétons un tel comme étant un « monstre », et un autre que nous étiquetons « ange sauveur ». Certes, certaines choses peuvent nous amener à ne pas douter de ces jugements : situations inacceptables, actions bénéfiques, ce sont donc les actes que nous jugeons, et pas réellement la personne, ce qu’elle est, ce qu’elle aurait pu être.

Je ne m’exclue pas de ce comportement, bien au contraire ! C’est d’ailleurs une de mes pires tares (parmi tant d’autres), et un de mes pires travers intellectuels. Je n’hésite que rarement à vilipender ou à encenser, surtout quand j’estime que l’un ou l’autre s’avère nécessaire. Sur la forme, c’est utile, sur le fond, c’est source de désorientation. Tenez, par exemple, je n’éprouve aucune honte à estimer qu’un président comme Poutine est utile pour la Russie, alors que reporters sans frontières, comme bien des ONG, l’estiment comme étant un tyran qui ne clame pas son emprise sur sa nation. Je légitime bien entendu ces discours et analyses, mais pour autant j’aime à rappeler ce qu’il a fait, et ce qu’il faut être pour diriger un tel pays. De ce fait, je lui donne des ailes d’archange vengeur, un bourreau qui n’a pas encore été déchu pour avoir été trop loin dans ses décisions.

Au fond, l’homme n’est qu’un couard. Décider fermement n’a rien d’héroïque, je dirais même que c’est un acte authentiquement lâche et dénué de nécessité. Facile de dire que Pinochet était un salaud… à 10.000 kms de la région ! Evident de taxer tout Allemand de nazi pendant la seconde guerre mondiale, en oubliant bien entendu tous les résistants antinazis qui ont fini leur vie dans les camps, tout comme il est simple de dresser en gloire les résistants en France, en mettant au placard les squelettes de la collaboration active, en omettant d’aborder le vel d’hiv’, ou encore en parlant de Pierre Laval ! Binaires ? Tout n’est pas blanc ou noir, l’homme est un amateur averti de grisaille, tant pour sa vie que pour ses villes, et il est notoirement rare de voir des esprits éclairés y changer quoi que ce soit. L’homme de la rue n’est que trop rarement conscient, il ne se soucie pas de conséquences ou d’idées, il s’inquiète de sa situation, et il tirera partie de la vérité qui l’arrange, pas celle qui serait vital de connaître.

Nous sommes autant victimes que bourreaux, la seule chose qui nous distingue du barbare, c’est notre désir de laisser d’autres personnes prendre les décisions infâmantes. Prenons la politique : nous élisons, et souhaitons pouvoir participer aux élections, mais c’est majoritairement avec l’idée réconfortante qu’un autre se mouillera pour mettre les pieds dans le plat. Le vote extrémiste est un vote binaire, un vote fondé sur l’aberration du « si je suis tranché, un autre agira à ma place selon mes idées, ce qui mène immanquablement à la dictature et au non droit. Rien de paradoxal ici, l’homme se défausse sur les rares agissants, les rares à mettre en pratique ce qu’ils pensent, en anges avertis, ou en démons sans foi ni loi. Telle une meute, nous choisissons donc notre meneur, nos chefs de meute, et nous courbons d’autant plus facilement l’échine que cela nous déresponsabilise. Pourquoi croyez-vous qu’il existe des réfractaires à l’avancement ? Parce qu’ils ne seront jamais d’accord pour prendre des décisions lourdes de sens. Typiquement, si vous voulez tester si un ami est un ange ou un démon, demandez lui s’il accepterait un poste où la responsabilité est la clé. S’il accepte, mettez le face à des décisions difficiles mettant en jeu la vie de millions de personnes… et analysez, en votre âme et conscience, ce qu’il est réellement.

Et préparez vous à être terrifié.

La vraie problématique de l’âme humaine est cette question qu’il m’arrive de poser, ceci par pure provocation : « Vous êtes d’accord que créer est un bienfait, et détruire un méfait. Alors, que penser du créateur de la bombe atomique ? » Etes-vous le démon, le cavalier de l’apocalypse, ou le père fondateur du progrès ? Il n’y a rien de philosophique, c’est simplement le dilemme posé par la responsabilité individuelle.

Pour ma part, je présuppose que je suis un démon en tenue d’ange. J’ai, comme bien des hommes sur terre, la capacité de décider d’être un monstre, ceci avec la souplesse intellectuelle inhérente à toute personne un tant soit peu instruite. De plus, je ne repousse pas toute idée destructrice sous couvert d’une conscience de carnaval. Je ne me masque pas, je suis tel que la Vie s’est amusée à me faire… mais ça, ce sont les autres, ceux qui me connaissent, qui vous en parleront bien mieux que moi.

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