27 novembre 2009

Univers

Je trouve dommage que trop de films et d’écrivains dépeignent l’espace et les mondes lointains comme des endroits hostiles, peuplés de monstres agressifs, et qui plus est nécessitant (soi-disant, ceci pour ajouter du piment et de l’action) de se battre pour y survivre. Pourquoi ne pas rêver de mondes oniriques, magiques, où notre réalité faite de grisaille serait oubliée au profit du progrès, d’une nature intacte et respectée, et de peuples ayant appris à vivre en osmose ? Nombre d’espèces animales vivent en symbiose, chacune profitant de l’autre : requin et poisson pilote, oiseaux et hippopotames, et j’en passe. Alors, laissons nous aller à voir un monde de songes, si différent du nôtre, tellement plus proche de ce que nous voudrions connaître.

Lorsque les premières sondes d’exploration parvinrent à la planète 14, celles-ci prirent des clichés plutôt flous d’une atmosphère assez limpide, et nous fournirent des vues surprenantes d’un patchwork de couleurs au sol. De loin, on pouvait voir de grandes lignes semblant avoir été tracées au sol pour dessiner un réseau assez proche d’un schéma de racines d’un arbre. Pourtant, avec le scepticisme inhérent aux scientifiques, l’analyse qui en fut tirée décréta qu’il s’agissait là de concrétions générées par des mouvements d’anciennes rivières aujourd’hui disparues, et que les grandes taches de couleurs n’étaient que la sédimentation de matériaux probablement aussi classiques que des métaux tels que le cuivre, ou d’amoncellements de roches comme le basalte. Cependant, pour que les certitudes remplacent les hypothèses, il fut décidé d’envoyer d’autres sondes, plus modernes, et comportant des moyens de se poser à la surface de la planète. Avec les 14 ans de voyage prévus pour le voyage, la communauté internationale décida de nommer la planète « 14 », ceci afin d’éviter de heurter qui que ce soit avec une dénomination teintée de culture ou de foi. Ce fut l’objet de débats sans fin, de discussions ridicules où chaque pays alla de sa proposition, critiquant les autres pour leur ethnocentrisme, arguant qu’il n’y avait pas de langue unique sur terre, et ainsi de suite. 14 devint donc le nom de la planète cible.

Les analyses préliminaires étaient en tout cas formelles : la radiographie mentionnait une densité atmosphérique relativement similaire à la Terre, la spectrographie identifiait que le tout était potentiellement respirable, et qui plus est que la température relevée par mesure des infrarouges correspondaient plus ou moins à quelque chose de tolérable pour l’être humain. Alors, on barda la sonde de nouveaux appareils, de divers forets pour réaliser des carottages du sol, de caméras très sensibles pour prendre les plus belles photographies possibles. Tous espéraient sans le dire que 14 serait peut-être un endroit susceptible d’accueillir une mission au long cours, une opération digne du départ des caravelles de Colomb. Lorsque la navette décolla, ce fut un évènement tout à fait anodin, une mission parmi tant d’autres, alors que les plus grandes agences spatiales s’étaient fédérées pour obtenir un résultat. Les barrières politiques de l’ancien temps ayant été bannies par l’histoire, c’est une mission internationale qui mena Voyager III (en mémoire des deux missions précédentes) à son terme.

Les jours passèrent, puis les mois, et enfin les années. L’immense majorité des terriens avaient déjà oubliés Voyager, et n’en entendaient parler qu’à intervalles irréguliers, notamment quand la sonde envoyait un cliché très précis de l’univers. Ces photos firent le tour du monde, s’affichant en pleines pages sur Internet et dans la presse traditionnelle. On fit grand cas d’images disputant à Hubble le titre de « plus jolie photo de l’univers ». Cependant, l’attention retombait dans les jours qui suivaient. Qui se souciait d’un minuscule engin parti depuis des années vers une planète si éloignée qu’aucune mission habitée ne pouvait être envisagée ? Un soir d’automne, les oreilles de la Terre se firent plus attentives. Depuis de nombreux jours, Voyager était resté silencieux, comme probablement perdu corps et biens. Mais le message d’arrivée en orbite parvint aux scientifiques. La sonde prit son orbite, cartographia grossièrement la planète, et transmit le tout à la Terre. Les allers retours durant des semaines entières, ce n’est qu’un an plus tard que Voyager reçut ses ordres finaux de trajectoire et de poussée pour effectuer son entrée dans l’atmosphère de 14. Lentement, l’engin se réorienta, et les ingénieurs et scientifiques en charge du projet se mirent à prier les dieux qu’ils défiaient pourtant par leur science et leur quête de connaissance.

Voyager se posa sans encombre dans une sorte de champ violacé, où les « plantes » étaient d’une forme et d’un développement inconnu sur Terre. Ondulant au gré d’une douce brise, l’appareil mesura les caractéristiques l’entourant. Habitable, présence d’eau dans l’atmosphère, pas de gaz toxique ou d’organismes inconnus. Patiemment, méticuleusement même, Voyager se mit à bouger de ses huit roues, et entreprit le long chemin d’exploration de son environnement sur un kilomètre de rayon. Mètre après mètre, le sol fut examiné, des échantillons furent entreposés dans des caissons étanches cachés dans ses flancs. Les caméras de l’engin saisirent des formes de vies, de tailles, de formes et couleurs diverses et variées. Des « oiseaux » dans le ciel, des « insectes » vivant près du sol… ce fut la stupéfaction sur Terre. 14 était donc vivante, et ces auréoles de couleurs étaient donc des formes de vies complexes, avec une véritable hiérarchie comparable à celle sur la planète bleue. L’excitation fut énorme, à tel point que le seul fait de demander des changements de mission à la machine devint une véritable bataille d’experts : les biologistes voulaient des échantillons, les géologues leur part de cailloux, et l’on voulut entendre les enregistrements sonores provenant de la planète 14. Et là, ce fut magique… Tout d’abord, des crépitements sourds, comme sortis d’un antédiluvien gramophone, puis, en fond, ce fut comme des chants d’oiseaux exotiques. Des piaillements, la brise d’un été, on aurait crû que le tout avait été enregistré dans une forêt d’Europe, ou encore sous les cerisiers en fleurs du Japon.

On ne tarda pas à mettre en œuvre l’idée d’une mission habitée. 14 années de voyage, qui accepterait de voyager aussi longtemps ? L’apesanteur, les dangers multiples, le stock de nourriture, la promiscuité des membres d’équipage, tout fut passé en revue pour savoir s’il était faisable, ou même moralement acceptable de leur faire prendre un tel risque. Ce fut une équipe Russe qui lança une idée de prime abord saugrenue : bâtir un vaisseau d’une taille inconnue jusqu’alors, et d’y intégrer des jardins et des réserves d’eau pour y recréer une véritable oasis spatiale. Délirant, gigantesque, les superlatifs ne manquèrent pas, d’autant plus qu’une énième crise financière mondiale avait ébranlée la confiance des investisseurs. Ce fut alors la Chine et l’Inde qui se proposèrent pour offrir leur compétence technologique et un complément de capitaux pour faire apparaître Voyager 4, la première mission habitée hors du système solaire. Le monde s’était décidé : on enverrait une équipe vers planète 14, en espérant que cette aventure soit une réussite. L’équipage fut construit avec soin, ceci afin d’offrir une grande diversité ethnique et religieuse, on les fit cohabiter un an durant en autarcie pour valider qu’ils pouvaient se supporter, le tout en effectuant des milliers de missions d’entraînement, afin de tester la cohésion et la fraternité des différents voyageurs.

Quand, après quatre longues années de travail, tout fut prêt pour la construction de Voyager 4, la Terre se mit au travail. Chaque nation apporta sa petite pierre, ceci en marquant les pièces de l’immense assemblage du sceau de leur pays. Bengladesh, France, USA, Russie, Géorgie, Chili, tous eurent le droit d’apposer leur drapeau quelque part dans le gigantesque appareil. Fierté universelle, Voyager 4 fut donc le premier et seul fruit d’une collaboration à l’échelle de l’humanité. 14 portait tellement d’espoirs et de rêves qu’il devint impossible d’exclure quelque nation que ce soit. Les plus petites îles donnèrent de l’argent et du temps, et l’on créa même une sorte d’annuaire universel. On fit sceller dans une superstructure de Voyager un caisson contenant tous les noms et prénoms des habitants de la Terre. Bouteille à la mer, ce geste symbolisait une union jamais connue, et même les gouvernements les plus durs se plièrent à cette volonté de représenter l’humanité comme une seule nation par-delà les nations.

Trois longues années de plus furent nécessaires à l’assemblage et au lancement de Voyager 4. Après diverses hésitations, plusieurs accidents, le navire s’éloigna de la planète bleue avec ses 100 membres d’équipages. Le départ eut lieu pour le cinquantenaire du premier pas de l’homme sur Mars.

Pendant le voyage, après six années, Voyager 3 remonta une image incroyable. Non content d’être une planète vivante, 14 abritait une forme de vie intelligente ! La stupéfaction laisse rapidement la place à la peur. Ces êtres étranges, bipèdes à la peau semblant être vaguement inspirée de celle d’un reptilien, s’approchèrent de la sonde et tentèrent de prendre contact avec. Vêtus, équipés de machines inconnues, les premiers sons émis parurent incompréhensibles. Seulement, au lieu de fuir ou détruire la machine, ils se mirent à présenter à celle-ci des panneaux gravés avec des schémas, des symboles bizarres. Perplexes, la communauté scientifique se mit à plancher sur ces images vieilles de plusieurs semaines, avec l’espoir infime d’avoir en face une véritable intelligence. En réponse, Voyager fut programmé pour qu’il restitue au sol à l’aide de ses outils primitifs des schémas de l’espace, des coordonnées de la Terre, de dessins décrivant l’homme ainsi que son monde. L’équipage de Voyager 4 fut informé de la situation, et ce fut tant la liesse que la terreur. Et s’ils étaient hostiles ? On envisagea de faire revenir le navire, mais le capitaine de la mission décréta que fuir n’était pas la bonne option.

Cinq ans furent nécessaires pour que la Terre et les habitants de 14 puissent enfin se comprendre. Patiemment, Voyager 3 continua son travail de dessinateur, et tout aussi patiemment, le peuple de la planète continua à présenter des images toujours plus complexes et précises de leur monde. La technologie présente sur place épata l’humanité : projection d’images sans écran, véhicules avec une source d’énergie visiblement abondante et renouvelable, pollution atmosphérique inexistante, et vie en symbiose avec la nature autant aimée que respectée. Ce fut tout à coup le déclic : tant sur place que sur Terre, les alphabets et langues finirent par se recouper, et se traduire mutuellement. Les discussions s’accélérèrent, le petit engin expliqua qu’un vaisseau bien plus gros allait arriver d’ici quelques années, et qu’il amenait des humains à son bord. Ils répondirent que la sonde serait alors comme un téléphone à retardement, et que tout serait prêt pour l’arrivée des visiteurs du lointain. Ils bâtirent un village adapté aux besoins des terriens, réceptionnèrent les schémas de type ADN permettant la compréhension de notre système immunitaire, et en tirèrent les analyses nécessaires pour préserver de toute contamination de ces organismes venus d’ailleurs.

Pendant ce temps les échanges diplomatiques se multiplièrent. Certains envisagèrent de leur demander des renseignements technologiques propres à améliorer l’armement, ce à quoi les habitants de 14 répondirent avec un sourire significatif « nous avons passé le cap de la violence et de la différence ». Nul n’osa s’opposer à ce refus, de peur d’éventuelles représailles contre l’équipage de Voyager 4. Pas à pas, les deux peuples prirent le temps de se comprendre, d’échanger par l’entremise de la machine archaïque des données propres à partager. Le peuple 14 décortiqua le fonctionnement de Voyager 3, et produisit un communicateur pour transmettre le son à la Terre. Ce fut le premier contact audio entre des humains et un peuple extraterrestre. L’accélération des échanges fut phénoménale. Par la voix, on put préciser des normes de transferts de données, décider de méthodes standard d’échange de l’information, et créer le premier réseau informatique interstellaire.

Voyager 3 et 4 provoquèrent donc d’immenses révolutions. Les habitants de 14 (ayant accepté cette dénomination à cause de l’impossibilité des humains de parler leur langue, et donc de prononcer leur nom) transmirent des avancées majeures dans la quête de matériaux dans l’espace proche, des technologies de propulsion pour faciliter le voyage de missions ultérieures, et décrétèrent que seuls les humains feraient le voyage. Pour eux, 14 leur suffisait, et aucune soif de conquête ne saurait justifier quelque voyage que ce soit. Leur société avait déjà navigué dans l’univers, bien au-delà de ce que l’homme pouvait envisager. La seule chose que ce peuple avait gagnée fut la guerre fratricide pour le contrôle de l’univers connu. Dans ces conditions, pour éviter la disparition pure et simple de leur peuple, il fut décidé de ne plus partir dans les étoiles, et de préserver la science du voyage spatial uniquement pour un cas de nécessité absolue. Que les humains progressent, qu’ils apprennent !

Voyager 4 se posa enfin sur 14, sur une piste spécialement prévue pour leur vaisseau. Une foule dense et joyeuse accueillit les visiteurs, ceci de vive voix. Les écoles enseignaient déjà plusieurs langues, et les facultés intellectuelles des habitants leur permettaient d’apprendre environ une langue tous les trois mois terrestres. Les discussions furent riches d’enseignements. L’équipage fut subjugué non pas par les mégapoles auxquelles ils s’attendaient, mais au contraire par cette nature si différente et si préservée. Les habitants de 14 vivaient dans des habitats « naturels », basés sur l’usage réciproque des plantes locales. La météo, clémente, offrait donc un havre de paix et de méditation. Tout d’abord prévue pour être une mission d’exploration, Voyager 4 devint donc une mission d’échange culturel et scientifique, de communication. Le racisme, la xénophobie n’apparut dans aucun des deux peuples, comme si tout allait de soi. L’intelligence fut donc le maître mot.

Quand, au bout des deux ans prévus initialement pour préparer leur retour sur Terre, l’équipage déclara à la Terre « Venez, et apprenez. Nous ne partons plus ».

C’est ainsi que naquit la nouvelle civilisation de l’homme, celle rebâtie sur la culture d’un peuple ayant déjà connu les travers que notre monde auraient connus s’il avait progressé seul Le monde fut bouleversé à tout jamais : nombre de conflits s’interrompirent à la lumière des enseignements du monde lointain, nombre de peuples se retrouvèrent et abolirent enfin des frontières séculaires. Plusieurs dictatures s’effondrèrent lors de révolutions pacifiques, et l’ONU, organisation périmée, fut remplacée par une entité indépendante des états et des influences, fondé sur la communauté des gens se connectant par le réseau. Chacun apporta ses idées, son vote à l’échelle mondiale. On put ainsi décider de produire en masse des navires d’échange avec 14, et offrir de grands territoires pour que des habitants de 14 viennent visiter la Terre. Le voyage fut réduit à quatre ans grâce à la technologie lointaine.

Tout ceci est arrivé il y a plus d’un siècle. Nous voyageons couramment entre 14, la Terre, et une centaine de planètes d’autres systèmes solaires. Le tout en paix… en bonne entente. Nous partageons, nous échangeons enfin sans intérêt ou politique autre que le progrès pour soi et pour les autres.

1 commentaire:

Voluta a dit…

Quel beau rêve... Mais je crois que si les hommes se représentent les extra-terrestres comme agressifs, c'est parce qu'ils se les représentent à leur image... Il n'y a eu aucun échange lors de la découverte des Amériques, ce qui, à l'époque, devait être équivalent à la découverte de 14. C'est événement est d'ailleurs mieux connu sous le nom de "conquête de l'ouest", sans égard pour ce qui y existait déjà ! Et l'on parle pareillement de "conquête de l'espace" non ? Ta fable est bien jolie mais tellement peu probable...