05 novembre 2009

Rêve et tendresse

J’ai rêvé. Les yeux embrumés de sommeil, j’avais encore ces images délicates qui naviguaient en moi, hésitant entre l’évaporation et la persistance. Le plafond blanc s’étale alors, les murs ne sont que de vagues frontières, et le lit semble être une plage, ou une berge herbeuse d’un lac inconnu. La torpeur d’une chaleur dispensée par le chauffage est encore présente, si douce, si présente, que j’hésite à m’extirper de ce cocon paisible. Il fait bon, il fait encore nuit, la pluie tambourine doucement sur les volets, et je n’ai pas envie de me lever.

On rêve tous. Certains se souviennent de tout, d’autres perdent systématiquement ces moments au réveil, mais tous nous laissons notre esprit divaguer et s’emmêler avec l’imaginaire. Si pratiques, si pragmatiques au quotidien, nous vivons une seconde vie, inconsciente et étrange. Elle sourit quand elle dort, il se met en position fœtale quand il s’assoupit, et ils se rapprochent pour finir par s’éveiller intimement enlacés. Il fait bon vivre quand on est dans le monde des songes, quand les frontières se brisent et que la seule limite est notre imagination. Marcher sur les nuages, voler, être heureux, déambuler dans le monde paisible d’un printemps bariolé. On ressent, on vit nos sensations, la chaleur du soleil, l’humidité de l’océan, ou encore la saveur des lèvres de l’être qu’on enlace qu’en songes. Et pourtant, on est heureux.

Les rêves n’ont pas besoin d’être complexes ou prétentieux. Ils n’ont pas besoin d’être bâtis sur des fantasmes ou des désirs inassouvis. Le rêve, c’est juste une liberté intérieure, une porte ouverte vers un monde que l’on voudrait réel. Il rêve d’être libre, de dormir sur un matelas. Elle rêve que son fils ne sera pas soldat, elle rêve que son époux sera sincère et tendre, et pas une de ces brutes sans éducation qui traînent sur la place de son village. Ils rêvent de pouvoir voir Noël ailleurs que dans des ruines. Ecoutez cette respiration apaisée, ce souffle régulier qui va et qui vient, alimentant l’esprit fécond de l’être que vous aimez, et vous comprendrez alors tout le bonheur que c’est de rêver. Je rêve, j’imagine, je décris des choses qui n’existent pas. J’ai la plume qui danse, elle virevolte sans même se soucier des conventions ou des règles, et tout cela parce que je peux rêver, je peux voir intérieurement des mondes et des choses qui ne sont pas.

A quoi je pourrais rêver ? J’imagine la lancinante sensation des pieds mouillés au bord de ce lac que j’aimerais voir un jour en vrai, du pantalon remonté jusqu’aux chevilles, et puis la caresse de la brise d’une fin d’été cherchant à se poser sur ma chevelure courte et raide. Au loin, les arbres naviguent sur l’eau bleutée, toutes proches, ce sont les mélodies de la nature qui se font fanfare étrange. Le grillon, la cigale, les abeilles, le bruissement des feuillages, l’ondulation des hautes herbes, et les roseaux qui fléchissent sont des compagnons de bonheur. J’ai les mains posées sur le sol, je m’incline et réchauffe ma peau un peu tannée aux doux rayons du soleil. Nous sommes deux, tu as la tête sur mon épaule, et je soupire sans me soucier d’autre chose que d’être bien. N’est-ce pas là l’essence même du rêve ? Je n’ai pas besoin de trésor, je n’ai pas même besoin d’y croire, j’ai juste le désir de laisser le temps filer ensemble, juste parce qu’elle est là, avec moi.

Et puis le monde tourne. La lune se faufile, elle nous éclaire de son large sourire blafard, on s’enlace, se resserrent, on vit tranquillement notre passion réciproque. L’eau devient un peu plus fraîche, elle frémit à sa surface quand une libellule se perd dessus, et, dessous, des bulles inconnues remontent des lèvres d’un poisson joueur. Symphonie de couleurs simples, d’aplats ordinaires qui me rendent heureux. Au loin, la montagne, digne et solide, se dresse sans mot dire. Elle est, elle existe, tout simplement. Etres temporaires dans un monde éternel ou presque, on construit, pas à pas. Je n’ai pas besoin de parler, pas plus que tu ne prononces un mot. On marche, on quitte notre lac, puis l’on entre dans ce chalet, on ferme la lourde porte de bois, et, à la lueur des flammes qui dansent dans l’âtre, on s’embrasse et l’on ferme les yeux. Puis, le sommeil nous saisit, sans prévenir, juste léger et silencieux.

Et je me réveille en me disant qu’un tel rêve est autrement plus délicieux que tous les désirs humains, que toutes les envies de possession personnelle. Pas de haine ni de crainte, juste être soi, partager, vieillir ensemble, et s’aimer comme d’autres aimeraient le faire. Ce sont mes rêves, mes envies, je les lui offrirai quand elle voudra. Qu’importe si elle ne peut pas répondre à cette offre, je la ferai sans détour ni hésitation. Rêver, c’est aussi ça au fond : construire avec espoir même si cela s’avère vain.

Alors, si vous rêvez de dire « je t’aime », dites le sans trembler.

1 commentaire:

Shuriken a dit…

Curieusement j'ai l'impression qu'on en vient difficilement à parler du rêve. C'est un peu comme une exposition artistique, on en ressort avec une expérience unique si la chance nous est donnée de s'en souvenir. Me concernant il arrive très rarement que mon imagination n'y mette pas une touche de surréalisme ; des lieux inconnus que l'on retrouve parfois de temps à autre, le souci du détail. Sans oublier la force de de la perception des sens pour faire référence à un de vos précédents articles. Lorsque je le peux, je trouve intéressant de m'adonner furtivement à "l'onirologie" de mes propres rêves même si le pragmatisme prend toujours le dessus. Je crois qu'on a tous globalement notre part d'infographiste, peintre... Quand il nous est donné de faire de tels rêves.
D'autre part j'ai le vague souvenir d'avoir entendu d'une source plus ou moins fiable que nos rêves ne seraient qu'un enchaînement d'images et non une perception en temps réel discontinue.

Votre précédent article est superbe, merci de faire ce que vous faites.