04 novembre 2009

Automne

Il ne fait pas si gris finalement. Il a plu, le ciel s’est légèrement ouvert, et les nuages qui défilent paisiblement se teintent d’un rose pâle peu coutumier de l’automne. La fraîcheur et l’humidité se font plus pressantes, et pourtant, assis au bord d’un de ces lacs urbains qu’on voudrait voir plus « naturels », je ne peux m’empêcher de sourire et soupirer d’aise. Emmitouflé dans un blouson de cuir, le mégot au lèvres, l’air se condense en buée quand j’expire, et les volutes bleutées viennent disputer aux odeurs de la cité le droit de faire palpiter mes sens. Pourquoi poser le regard sur le béton amer et sur les gens fuyant le vent et les perles de pluie ? Parce qu’ils sont ce que je ne suis pas, pressé ou oppressé, tendus, comme s’ils avaient l’avenir d’un monde dont je me moque chaque jour un peu plus.

Et pourtant, ce n’est guère le soleil déclinant vite, ou encore les bourrasques levant les feuilles de bouleaux qui se font accueillantes, c’est peut-être justement parce que l’automne n’est pas chaleureux qu’il n’en est que plus beau. La Vie décline, l’été se meurt, et la neige naît de l’alchimie du froid et des grands vents. Pour le moment, seules les flaques éclaboussent sous mes semelles, pour l’instant, seules les migrations tardives embellissent l’espace aérien. Et bientôt l’on n’entendra que peu le chants des oiseaux, les derniers entêtés cherchant plutôt à se réchauffer loin du gel et de la neige cotonneuse. L’automne est-il laid ? Il est rougeoyant, peignant les branches de taches pastel et sombres, il se fait aussi bleu terne sur les rivières et les fleuves, et il enflamme les joues des femmes qu’on aime quand la bise vient caresser leur peau. Les écharpes ressortent des placards, les parapluies poussent tels des nénuphars synthétiques.

Mélancolique, l’automne se fait ami des souvenirs devenus moins douloureux avec le temps. On pardonne, on se pardonne, et l’on écoute le cœur qui se souvient paisiblement d’avant-hier, d’il y a une éternité. On se plait à rêver que l’être aimé est assis près de soi, se blottissant pour ne pas avoir froid, et riant de concert pour se moquer de la pluie qui nous accompagne. La pluie n’est pas faite que de larmes de tristesse, elles sont aussi larmes de joie, de rire quand elles clapotent dans les mares temporaires sur le bitume. Qu’importe le pourquoi et le comment, mais on laisse l’enchantement des senteurs de bois humide nous saisir, on se saoule les sens alors que d’autres se ferment aux sensations. Quelle tristesse ils portent en eux, alors que la tristesse peut devenir tendre mélancolie. Oui, on peut encore regretter, hésiter à rappeler la personne avec qui l’on s’est disputé, mais l’essentiel est de savoir ce que l’on est, ce que l’on aime, et qui l’on aime vraiment.

La nuit extirpe la lumière du monde, et les forêts de lampadaires s’illuminent. On se dépêche, on s’éclaire, et individuellement on rentre chez soi. Les balais d’essuie glace tanguent langoureusement sur le pare brise, et l’on est comme empêtré dans la torpeur du chauffage qu’on a mal réglé. La radio peut alors crachoter n’importe quoi, un tube ridicule et sans devenir, ou bien encore un classique élimé, mais l’on se sent bien, juste apaisé et calmé de la frénésie du quotidien. Les murs et les façades se font fantomatiques, les pas des passants pressants et saccadés, et aux carrefours s’amoncellent ces êtres qui ne se connaissent pas, et qui rêvent pourtant que d’une simple rencontre décisive. Je ne porte pas de portrait contre mon cœur, je ne porte pas de prénom gravé sur ma peau, mais de l’intérieur je suis tatoué à jamais des visages des gens que j’aime. La toussaint passée, on songe à celles et ceux qui sont partis trop tôt, et l’on pense à ceux qui ont failli partir. On les aime, même si l’on ne peut plus leur parler, et c’est sans tristesse ni apitoiement qu’on songe à eux.

L’automne refroidit le monde, mais il réchauffe les sentiments. Autant les épaisseurs de vêtements augmentent, autant la distance entre les amoureux diminue. On s’enlace, on s’embrasse, on pense à Noël qui arrive vite, et parfois aux layettes qu’on envisage d’acheter pour la première née. Tel un lutin facétieux, je compte les disputes vaines et amusantes de ces jeunes couples qui se découvrent, de ces deux amoureux qui ne savent pas encore comment fonctionne l’autre. Ils se rabibocheront vite, se pardonneront les mots qu’on ne pense jamais, et s’offriront l’un à l’autre en gage de paix. Le vent souffle, je n’ai plus vraiment froid. Je sais bien qu’il y a quelqu’un qui préserve ce que je ressens en m’enlaçant de ses mots et des envies, et même si, parfois, je suis frustré de ne pouvoir la saisir, j’accepte cette existence.

Certains se résignent, d’autres luttent. Moi ? Je vis, et c’est déjà pas si mal. Douce mélancolie d’une nuit qui tombe sur mon automne intérieur, j’écoute mes arbres souvenirs frémir au vent des évènements du passé. Vivre sans regret, c’est déjà vivre un peu mieux qu’en se détruisant avec du remord inutile. Alors demain, si je pouvais changer le passé, je ne sais plus vraiment si j’irais le modifier pour le rendre moins douloureux. Parce que si j’ai vécu des douleurs intenses d’avoir eu des sentiments, j’ai néanmoins, en échange, pu ressentir la renaissance de l’âme et du cœur. L’homme change, il progresse chaque jour, reste à lui trouver une route qui se finit sur une note de douceur et d’amour.

J’ai changé, enfin… je l’espère.

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