11 juin 2009

Un piaf à la fenêtre

Depuis deux jours le ciel s’essore inlassablement, et ses épanchements se gorgent de la crasse urbaine pour finir en flaques huileuses sur le bitume sombre. Là, le soleil semble s’être éveillé, chassant moutons gris et fraîcheur à coups de rayons. Douce sensation d’une brise presque d’été à l’ouverture de ma fenêtre, parfum impur mais si familier de la banlieue, il serait presque agréable d’y vivre s’il ne manquait pas tant de nature par ici…

Mais un son étrange, inhabituel résonne entre les façades de verre et de béton. Est-ce une clameur, des cris d’hommes systématiquement furieux pour un feu trop rouge, une place de stationnement trop petite, ou un bus jamais à l’heure ? Non, c’est trop clair, trop étincelant pour que cela soit les chordes vocales d’un stentor mal luné. Alors quoi ? Une jeune femme piaillant sa joie de vivre, virevoltant d’une vitrine à une autre ? Encore moins, tous, en contrebas, semblent n’avoir pas remarqués l’apparition de l’astre dans les cieux ; ils sont emprisonnés de pulls et de blousons, tous sont aussi gris que l’étaient ces nuages de printemps. J’ai beau chercher du regard, je ne comprends pas, je ne vois pas, ce n’est ni un grincement, ni un chuintement, une sorte de gazouillis…

Un oiseau ? Mais où diable se cache-t-il pour que le son porte à ce point ? Du regard je balaye les façades, scrute le moindre recoin, rien ne dépasse, rien ne vient troubler l’environnement figé des immeubles. Pourtant, ce son vient bien de quelque part ! A moins que ce soit encore une de ces ruses d’architecte stupide qui irait balancer par des haut-parleurs des sons de nature, comme dans ces magasins vous vendant à prix d’or des articles supposés « écolos » et « commerce équitable ». Non. Pas de machinerie, c’est trop clair, distinct et pointu pour que cela soit un enregistrement. Où ce piaf s’ébroue-t-il pour être aussi présent dans un espace aussi grand ?

Quelques pas à l’air libre, petite brise encore plus agréable quand elle me saisit entièrement, observation lente et méthodique des murs et recoins. Rien, encore rien… toujours rien ! A se demander si je ne suis pas à en train de rêver. Pourtant, je ne suis pas le seul à chercher, et je ne suis pas le seul à avoir un sourire large et sincère. Tout autour de moi, ils sont plusieurs à chercher cet insaisissable oiseau chanteur à tue-tête, ce clairon naturel qui babille quelque chose d’inconnu et scintillant à la fois. Je m’assois, m’allume une cigarette, et savoure ce moment étrange, cette magie du son qui vient de partout et nulle part à la fois. Où es-tu, sorcier des sons, roi des réverbérations, seigneur des échos ? Où caches-tu ton plumage ?

Enfin un doigt se pointe, il est juché sur une terrasse, il se dandine et piaille à s’en époumoner. Le diablotin à plumage est un moineau, un braillard qui chasse les pigeons, qui s’est approprié les lieux pour son usage personnel. Sa tête dodeline, il chante des mélopées, improvise, module, collant tierces et octaves à sa grande joie personnelle. Ce corps chétif, pas plus gros qu’un poing d’enfant, a découvert que l’endroit permettait d’avoir une voix digne d’un orchestre philharmonique. Depuis mon bureau jusqu’à cette façade, c’est une rue, deux enfilades de bâtiments et un porche qu’il faut traverser… Mais le tour pendable est bien là : j’aurais pu le chercher sans le trouver, observer vainement ces fenêtres borgnes sans jamais découvrir sa cachette. Monsieur ou Madame Moineau, vous m’avez fait sourire…

Alors finalement, bien que ce cri puisse incommoder ou intimider, moi il m’amuse, il me fait dire que la nature ne manque pas d’humour et qu’elle se moque bien de notre modernité. Allez, chante, braille, tonitrue dans l’environnement, offre ta cantate aux passants pour que, eux aussi, puissent avoir un petit sourire détendu, un instant de paix au milieu du tohu-bohu du quotidien !

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