09 avril 2009

Soupçons

Ah que c’est beau le soupçon... C’est la forme la plus pernicieuse d’analyse de situation car, sans fondement aucun l’on peut émettre des hypothèses diverses et variées. Tenez par exemple votre voisin peut tout à fait vous soupçonner d’être un fraudeur aux impôts sans que concrètement il ait quelque chose à vous reprocher. Certes, les signes extérieurs de richesse l’agacent quelque peu, et puis garer votre Bentley sur sa pelouse le rend peu aimable, mais pour autant rien, pas même votre tendre ami le percepteur n’aura de preuve de votre fraude.

Le soupçon, c’est le poison des sociétés, le vitriol des amitiés et même, si tant est qu’il soit possible de faire pire, l’inépuisable ressource en détenus des dictatures. Vous avez des amis ? Laissez donc planer le doute sur votre vie privée et vous serez soupçonné d’entretenir au mieux des relations avec des inconnu(e)s, au pire d’entretenir des relations avec l’épouse ou l’époux d’une personne du groupe. C’est très fort : moins vous abordez une question plus elle devient primordiale et urgente à connaître... Ceci expliquerait sûrement le comportement de nos politiques qui en font des caisses sur des choses importantes dont tout le monde finit par se moquer. Stratégie gagnante je dois dire : si l’on en parle c’est que c’est anodin, si l’on se tait c’est que c’est grave, et il faut alors enquêter !

Tout est affaire de point de vue : le basané du coin de la rue, l’ouvrier immigré qui rentre tard du boulot, ou même votre voisin « dont la trogne ne vous revient pas », peuvent être soupçonnés d’activités plus ou moins immorales, mais certainement illégales. Ah, les clichés ! Ils se marient fort bien en bouche avec le soupçon car, l’un comme l’autre, rajoutent à la crainte de cette différence d’obédience ou de teinte cutanée. Admettez tout de même que le bon vieux « arabe = voleur » est du genre tenace et que, par conséquent, le soupçonné deviendra bien plus aisément le suspect, celui que l’on traque, embastille, puis libère sans l’once d’une excuse acceptable.

N’hésitez pas à user et abuser du soupçon. Bien utilisé, le dit soupçon terrifiera votre entourage, très bien utilisé il deviendra même une arme de répression sans complaisance. « Tout le monde est suspect » aurait déclaré plus d’un chef de police politique. S’il en est ainsi, tout le monde doute de tout le monde, donc tous nous vivrions dans un climat détestable de suspicion et de méfiance réciproque. Bien souvent, les gouvernants désirant faire taire la population usent de lois d’exception avec la notion de « soupçonné ». Pratique, simple, ne cherchant pas à se justifier, en bref idéal pour mettre une muselière aux râleurs et autres rebelles au système. Pour ma part je soupçonne ... non, je vais attendre des preuves tangibles avant de l’ouvrir.

Une petite annotation s’impose sur le sujet. L’homme, dans sa grande bêtise, n’a jamais su se contenter de la confiance réciproque : contrats, paraphes, tampons, sceaux, scellés, tout un arsenal technique et juridique fut créé pour contenter tout le monde et faire en sorte que nul ne puisse (en principe) se dérober à ses devoirs. Dans les faits cela nous amène à : signer un contrat de mariage dans la perspective que le conjoint se barre avec la caisse du foyer, coller son doigt sur une carte d’identité afin de s’assurer « que le titulaire du document soit bien celui qu’il prétend être », et l’inusable mais fort pratique mise en détention de protection dont j’ai déjà parlé précédemment. Les lois se basent non sur la confiance, mais sur la mise en œuvre de sécurités pour contrarier celles et ceux qui, sous couvert d’honnêteté, se moqueraient des autres... mais n’est-ce pas là le précepte premier de la politique ? Vendre des lunettes de vue à un aveugle ?

Je sais que l’on peut me soupçonner de cynisme. Je vous arrête de suite : je le suis et le revendique, vous pourrez verser cette phrase à mon dossier de mise en accusation, si cela arrive un jour. Qui sait ?

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