18 mars 2009

Et l'on pense parfois à la mort

Je ne suis pas d’une humeur agréable ce soir, des soucis personnels font que j’ai du mal à pondre un sujet souriant, ou même à prendre la plume sans une pointe de tristesse au bout des doigts. Tous nous le savons, la Vie sait se faire dégueulasse et cruelle. On vient, puis l’on repart comme l’on est venus, en laissant parfois une petite trace sur terre. Certains écrivent, d’autres dessinent, des mères enfantent mais au bout du compte nous partons tous sur la même voie, celle qui va d’une naissance aussi brutale que belle, jusqu’à la mort, inéluctable fin de voyage que chacun ou presque craint pardessus tout.

Pourquoi parler de la mort si l’on a peur d’elle ? Peut-être parce qu’il est plus simple de mettre des mots sur une terreur que de la laisser rester ainsi, suspendue au-dessus de nous, frayeur absolue du néant et de l’absence d’existence. Après tout, on a moins peur de quelque chose que l’on voit, non ? Prenez le cinéma d’épouvante : tant que le tueur est discret et juste suggéré, celui-ci suggère alors la crainte impalpable d’un destin morbide. Faites le apparaître clairement et la moitié de l’effet sera déjà évanoui. On fait alors de même avec dame la Mort en la dotant d’un corps squelettique, l’affublant d’une toge sombre à capuche et en l’armant d’une faux pour couper les âmes dépassant de la masse.

« La regarder en face » qu’ils disent. Déjà que l’Homme n’est pas capable de se regarder lui-même alors pourquoi tenter d’affronter quelque chose qui nous est clairement supérieur ? Notre orgueil sort par tous nos pores, nous voulons lutter pour allonger une vie qui nous semble déjà trop courte. Personne ne croit au concept d’accomplissement total car dans l’absolu nul n’est totalement accompli où que ce soit : le navigateur voudra traverser une nouvelle mer inconnue, le scientifique finir les travaux qu’il a entrepris et qui s’avèrent être sans fin, et puis nous autres, ordinaires habitants d’un monde extraordinaire, nous regrettons inlassablement le voyage qu’on a pas fait, la femme qu’on a pas embrassé, ou bien encore la voiture qu’on a pas conduit.

Au demeurant fuit-on la Mort ou bien court-on vers elle ? A mon sens la fuir n’a pas de sens car le temps passe sans aucune possibilité d’interférence ; « tu vieillis quoi qu’il arrive » dit le pragmatique à son ami le rêveur… Et le rêveur de rétorquer en benêt qu’il est qu’il croit à l’immortalité. Ah ça, quel fantasme : survivre à sa mort à travers une œuvre et la mémoire des autres. Fantasme de prétentieux qui espère, non sans une sorte d’autosatisfaction crasse, que son nom sera encore prononcé dans quelques décades. Et dire qu’il suffit déjà de deux générations pour ne pas être réel dans les souvenirs ? Un arrière grand père inconnu peut être aimé à travers ses photographies ou la mémoire des grands parents… mais l’enfant à naître, lui qu’en saura-t-il vraiment ? Des « on dit », des ragots familiaux propres à souiller ou idolâtrer l’aïeul défunt depuis des décennies. Notre prétention à perdurer nous incite donc à jouer avec la mémoire… qui est aussi temporelle que temporaire, autant que nous en tout cas.

Et demain, de quoi va-t-il être fait ? D’une autre journée plus ou moins ensoleillée, d’une soirée plus ou moins nuageuse, d’un monde qui ne change pas autant qu’il change sans cesse (tout dépend sous quel point de vue) , et puis nous autres nous reproduisons, naissons, et mourons chaque jour, chacun à notre rythme et à notre manière.

Toi mon oncle qui a déjà vu la mort au front, toi es revenu entier physiquement et blessé moralement, toi qui en ce moment même est cloué au lit par un AVC (Accident Vasculaire Cérébral), attends nous. Tu es là, je ne veux pas que tu partes, et c’est en égoïste que je t’écris. J’ai encore énormément de choses à te demander, tu as tant d’histoires aussi tragiques que comiques à nous raconter. Tel un gosse j’aime à t’écouter quand enfin l’ours cède sa place au conteur. Ne pars pas maintenant, il y a encore énormément de gosses qui veulent être émerveillés par ton aspect d’ours de la campagne et ton cœur d’enfant peu éduqué mais pétri par l’amour de ses proches et la générosité naturelle des gens authentiques.

Joseph, accroche toi.

Ton neveu.

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