08 janvier 2009

Passé

Il est notoirement plus difficile de parler de son propre passé que de comprendre celui des autres, d’autant que l’on a la terrible tendance à enterrer au fond de soi toutes les douleurs et les peines qui émaillent le quotidien. Sans que cela soit un manque de courage nous censurons nos remords et nos regrets de manière à assumer, la tête apparemment haute, tout ce bagage que l’on traîne avec peine telle une entrave fixée à nos chevilles. Alors qu’il se devrait d’être moteur de réflexion pour nous éviter de réitérer les mêmes erreurs nous nous enlisons, remémorons tant avec mélancolie que dépit chaque situation où nous aurions pu peut-être faire autre chose si ce n’est mieux. Ressasser est-il notre lot à tous ?

L’amour est volatile, il se pose sur un cœur et l’emporte au loin alors qu’on le voudrait proche de soi. On aime, on chérit l’être aimé puis un jour il s’en va, s’évanouit de notre paysage pour ne jamais y revenir. Pourtant, amers et entêtés nous répétons inlassablement des dates de naissance, des anniversaires de rencontre et nous revoyons des lieux chéris à deux comme s’ils étaient de véritables pèlerinages. Quelle folie que de se laisser piéger de la sorte alors que l’autre souvent vit cette séparation avec intelligence ! Que l’on soit ou non responsable de cette fin douloureuse, que l’on ait à se haïr pour avoir mal agi ou non notre âme continue alors à se tourner vers le passé et à s’inciter à croire que « c’était mieux avant ». Mieux ? Qui sait si l’on ne vivait pas dans le mensonge, si l’on ne se voilait pas la face en se refusant de voir les signes alertant nos sens mais pas nos sentiments ? Et puis, n’est-ce pas par pur orgueil que nous nous entêtons ? Après tout, c’est souvent plus la vexation que le véritable sentiment initial qui finit par nous motiver et c’est avec une amertume à peine voilée que l’on devient cynique et même cruel. Dans ces conditions, cet amour n’est-il pas totalement vicié et corrompu ?

La mort elle n’est-elle pas une servante idéale de la vie, fidèle et toujours prompte à agir ? Elle frappe, aveugle, sourde à nos suppliques, elle emporte sans jamais rendre les êtres qui nous sont chers. Tant par pensées que par gestes on se lamente alors de cette irremplaçable perte d’un proche voire même d’un amour pourtant si beau et si tendre, et puis l’on reproche au monde entier cette disparition, et enfin l’on se reproche énormément de choses. Fierté, orgueil, méchanceté gratuite et vaine, bref toutes les erreurs du quotidien qui réapparaissent alors qu’on les croyaient évanouies dans les limbes du temps qui passe. Quelle imbécillité que la vie qui s’envole aussi vivement qu’elle se pose au sein du monde, quelle bêtise d’avoir la foi dans la vie alors qu’on nous l’ôte sans jamais nous la rendre ! On se hait, on hait les autres, on cherche les causes, les responsables sans vraiment en trouver un qui serait le coupable idéal. A quoi bon frapper l’assassin car la vengeance ne restitue pas les morts, tout comme à quoi bon se lamenter puisque aucune larme ne saurait remplir le Styx pour ramener la barque du disparu. Vivre et mourir sont deux chose que l’on se doit d’accepter, de pardonner et être pardonné, de subir sans haine ni contrainte, et surtout d’avoir des souvenirs autres qu’une marche funèbre. L’être qui fut si important le sera à jamais car il sera un souvenir qui ne doit pas s’effacer. Et puis ces gens qui s’en vont dans un souffle, ne sont-ils pas ceux qui nous demandent de ne pas se lamenter justement ? N’ont-ils pas vécu la fierté de nous aimer autant que nous les aimions ? Offrons leur un visage humain et heureux, remboursons notre dette éternelle en les aimant de tout notre cœur et chérissons leur mémoire.

Et puis il y a toutes ces erreurs, ces violences, ces errements, ces démences qui nous rongent, tous ces instants gâchés par le geste ou la parole de trop, par la prétention de tout contrôler alors que justement le propre de la vie est d’exploser sans maîtrise. On aime, on déteste, on en vient même à tuer pour l’une ou l’autre de ces raisons, et tout cela en pure perte. S’enrichir ? Quelle vacuité de la vie ! La richesse est temporelle, la possession tout aussi temporaire et puis l’on s’en va en se persuadant d’avoir bien agis. Quels mensonges que ces obsessions humaines alors qu’il nous serait tellement plus profitables de se pardonner et de savoir pardonner ! L’ennemi c’est énormément nous-même, l’ennemi c’est rarement celui en face. Nous borner à croire que l’autre est parfait c’est prendre sur soi ses erreurs et puis un jour s’éveiller en se rendant compte que le temps a passé et qu’on a été oublié. Suis-je un souvenir perdu dans certaines mémoires ? Suis-je de ceux qu’on laisse sur le bas côté ? Toute cette fierté accumulée, cette prétention d’être important n’est qu’inutile mais rassurante hypothèse qui se dément hélas bien souvent. L’essentiel ce n’est pas qu’on se souvienne de vous mais que vous, en revanche, vous vous souveniez de l’autre. Je n’ai qu’à fermer les yeux pour revoir certains visages disparus de mon existence : amis perdus de vue, amour aujourd’hui lointains, proches et amis morts toujours trop tôt, ces photographies qui n’auront un jour plus de sens pour qui que ce soit en ce monde ne doivent pas nous réduire en esclavage, elles doivent au contraire être libératrices, elles se doivent d’être des bons moments que l’on se remémore avec plaisir et contentement, pas des poignards affûtés au fusil des regrets et polis à la pierre des remords. Vivre et mourir heureux, c’est déjà pas si mal vous ne pensez pas ?

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