24 juillet 2008

Pour répondre à Thoraval dans son commentaire

Je ne pouvais pas me permettre de me contenter de quelques lignes réductrices face à une analyse et une dissection bienvenue de mes propos (voir le message d’hier et surtout le commentaire de Thoraval associé). A ce titre je l’en remercie et m’incline bien bas, son expérience militaire m’aidant à avoir une analyse plus complète et surtout moins théorique.

S’il est vrai que les tenants et aboutissants de la politique mondiale ont changés depuis la chute du mur de Berlin, puis par la suite la disparition de l’étoile rouge sur le Kremlin, force est de constater que la mutation des guerres s’est orientée vers une utilisation minutieuse de troupes d’élite, troupes dont le coût humain et matériel est bien supérieur à celui du « troufion ». Il est dramatique, dans cette logique, de constater que les soldats restent des outils et non des personnes, jetables, utilisable à l’envi et surtout dénués d’identités. Si l’aspect « grande guerre » avec ses divisions de soldats en armes est aujourd’hui dépassé, force est de constater que malgré tout une présence militaire ne saurait se faire par le truchement de petites unités bien formées, et qu’il reste tout de même indispensable d’être capable d’occuper le terrain. Ceci dit, il est également vrai comme le souligne Thoraval que le soldat d’antan, « fanatisé » politiquement et capable d’endurer des souffrances pour une haute idée de la patrie n’est plus d’actualité. L’apolitisme et le désintérêt croissant pour le fonctionnement de la nation de la part de ses concitoyens pose effectivement le problème d’identifier une volonté combattante au milieu d’un marasme moral terriblement pénalisant en cas de conflit.

L’idéologie et la foi dans un système politique est malheureusement nécessaire pour obtenir des résultats avec des troupes formées de manière plus légère que celles dont l’expertise n’est plus à prouver. En cela je soutiens pleinement les idées de mon contradicteur qui analyse avec pertinence la problématique, mais à cela je pense qu’il faut ajouter une nuance de taille qui est que le rôle principal de la conscription était justement d’offrir un premier vernis non pas idéologique mais technique et moral aux soldats. Je distingue l’idéologie et la morale pour deux raisons : la première est que l’idéologie est une politique, c'est-à-dire un choix de soutien au système en place alors que la morale est l’identification personnelle du soldat par l’esprit de corps. En offrant à chaque homme et femme la possibilité d’être d’une grande famille, cela peut nous donner des troupes non pas rompues à la théorie politique mais avant toute chose convaincue de la nécessité de protéger son frère d’arme. Le second point qui me fait faire une dichotomie entre idéologie et morale c’est que l’idéologie peut se permettre de faire des entorses aux règles élémentaires de moralité alors que la morale impose malgré tout une forme de respect envers l’ennemi quel qu’il soit. Prenons deux exemples très distincts mais finalement très proches dans leurs conséquences. A l’heure actuelle c’est la fanatisation des troupes (régulières ou non) qui mènent à des massacres dans les pays du tiers monde au titre que le porteur du fusil déshumanise son ennemi par idéologie. Efficace, brutal, mais impardonnable envers les civils. Mettons en parallèle l’efficacité des Waffen SS (et non les TotenKopf, hommes gérant les camps qui n’ont rien à voir avec les soldats) qui furent une des plus redoutables organisation militaire de la seconde guerre mondiale. Formée politiquement, fanatisée, elle fut d’un côté reconnue et saluée pour son courage et sa combativité même par les troupes alliées, mais elle perdit son lustre militaire par des exactions honteuses même pour le régime nazi. Résultat des courses : c’est avant tout l’esprit de corps qui fut mis en avant dans ces troupes de choc, ce qui en fit des soldats de la « régulière » de la plus haute qualité. Dans cette optique j’estime donc qu’en adaptant la formation non sur la technicité mais sur la camaraderie il est plus que probable que nous pourrons alors avoir des forces armées fières d’elles et surtout capables de se défendre sans jouer la carte du défaitisme par manque de confiance en ses décisionnaires.

Si le rôle d’une armée peut être soit de se préparer à l’agression soit à la défense non de la patrie mais de son peuple (aussi bigarré soit-il), c’est avant toute chose aux politiques de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires à faire valider l’idée que la dite armée est indispensable à la nation. Je m’explique : si l’on se contente de dire que l’armée a un coût déterminé et que son efficacité opérationnelle semble douteuse à la population, aucune chance que celle-ci soit prête à soutenir quelque effort de guerre que ce soit. Observons par exemple la seconde guerre mondiale en France : nombre de politiciens furent taxés de faiblesse pour avoir tergiversé avant l’attaque éclair allemande. Il ne faut pas oublier que les dits politiques n’ont fait que suivre l’opinion publique qui se refusait à remettre le couvert après les souffrances de 14-18. Malgré tout, une fois l’occupation en place nombre de personnes choisirent l’exil pour entrer dans les forces françaises libres, soit de « prendre le maquis », démonstration flagrante d’un choix personnel et non politique. Dans la même veine les russes ayant pourtant haïs Staline furent parmi les meilleures troupes de partisans durant le conflit. Est-ce par idéologie ou nationalisme ? Probablement plus par amour du pays que par amour du communisme ou d’une quelconque passion idolâtre du petit père des peuples. A l’heure actuelle être antimilitariste fait bon chic bon genre, contester l’autorité est un automatisme ancré dès le plus jeune âge dans l’éducation. Sans trop dériver force est de déplorer que les professeurs montrent une ferme volonté de mettre en doute la nécessité des forces armées et de colporter un 1968 déjà mort et enterré depuis longtemps. Résultat des courses, une absence de foi en quoi que ce soit d’autre que l’individualisme, ce qui est en contradiction avec l’esprit de corps qui est l’essence même d’une armée.

Ce qui m’incite le plus à croire que la mutation de l’armée est indispensable c’est avant toute chose mes doutes sur l’illusoire stabilité européenne. Depuis la fin de la guerre et surtout depuis la chute du rideau de fer il est notoire de devoir s’affoler concernant le contrepoids aujourd’hui disparu que constituaient les deux blocs. Sans présence soviétique nombre de républiques « fraîchement » réapparues sont devenues des dictatures potentiellement armées des restes de l’armée rouge, tout comme l’on a vu éclater le conflit Yougoslave, s’exacerber les problèmes entre minorités nationales, la montée d’un nouveau fascisme populaire dans des états qui se croyaient à l’abri de telles mouvances politiques. L’extrême droite sort régulièrement son spectre dictatorial car l’ordre est séduisant quand un pays s’effondre économiquement et socialement. Notons d’ailleurs que le FN s’écroule peu à peu tant parce que la situation n’est pas si dramatique qu’on le laisse souvent entendre que parce que la réaction à la présidentielle de 2002 fut somme toute insuffisante. A trop vouloir craindre le bruit des bottes et à en agiter le spectre pour tout et n’importe quoi la population française s’est vue devenir placide face aux entorses à leurs libertés. Le président Nicolas Sarkozy est fondamentalement un nationaliste, pas aussi extrême qu’on veut bien le présenter, mais il est tout de même inquiétant d’observer une totale impunité dans ses décisions liberticides. Tout juste une opposition de principe lui est mise en travers et qui est piétinée avec le sourire indispensable aux médias. Dans cette voie l’armée ne pourrait-elle pas se faire garante de nos libertés ? La Turquie, malgré son totalitarisme a réussi tant bien que mal à s’éviter les travers de l’islam radicalisé par le truchement d’un maintien tant d’un état laïc que par la puissance avérée d’une armée prête à déboulonner ses pairs en cas de débordements. Mais là, cela voudrait alors dire que le soldat se doit d’être finalement « politisé » et donc de repartir vers une formation trop proches de systèmes de sinistre mémoire.

Enfin, le côté formateur de l’armée a quelque chose non de séduisant mais de réellement socialisant. Alphabétisation, formation technique à tous les corps de métier, ceci allant de la boulangerie jusqu’à la mécanique de précision, obtention de diplômes gratifiants, tout ceci était l’essence même du service obligatoire. Nombre de jeunes furent heureux d’accéder au permis de conduire gratuitement, nombre de jeunes purent s’instruire pour rattraper une éducation ratée (sans débat sur la question je vous prie) et ainsi revenir dans le civil avec un bagage plus lourd qu’en la quittant. Mais cela sous-entend alors des choix clairs de nos politiques, une « propagande » affinée pour que le peuple puisse se convaincre et admettre que l’armée ce n’est pas seulement aller tirer quelques cartouches pour jouer les gros bras, c’est aussi et avant tout une école de la vie basée sur la discipline tant de groupe que personnelle.

Pour conclure, merci à Thoraval pour la pertinence de son propos, je vous invite, chers lecteurs non à le lire mais à en étudier précisément la teneur. Ils sont à mes yeux une véritable synthèse d’une analyse contradictoire bienvenue dans ce monde d’uniformisation des opinions.

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