26 novembre 2007

Dinosaures

Une fois de plus ce n’est pas l’aspect animalier qui est en cause, mais bien encore et toujours l’aspect humain que je mets en avant dans cette chronique. Dommage que je ne sois pas plus attiré par les fosses emplies d’ossements que par les méthodes débouchage d’un évier récalcitrant, cela aurait pu faire l’objet d’un sujet tout aussi passionnant. Là, non, j’aborde la question de l’âge de certaines de nos « élites » qui se meuvent et nous abreuvent de conseils avisés à longueur de journées et même de nuits.

Amusant comme l’avancement scientifique fait évoluer les mentalités : fut une époque un cinquantenaire était un vieillard et un préadolescent un petit homme, alors qu’aujourd’hui le sexagénaire retraité est dans la fleur de l’âge, et le jeune adulte un gosse… enfin amusant, tout dépend pour qui : rien ne m’est plus horripilant que de voir des personnages réputés compétents se trémousser à la télévision ou grogner à la radio des idées en vrac sur tous les sujets possibles et imaginables. Pourtant, le renouvellement des générations aidant, et l’absence de conflit global étant encore pour le moment une évidence, on pourrait supposer que des « jeunes » seraient en position de pousser à la fosse les ancêtres et parfois fossiles qui nous encombrent. Hélas non : serions-nous donc passéistes ?

Fidèles à nous-mêmes nous nous acharnons à revendiquer des passions pour ces icônes populaires, ces restes d’un passé « c’était mieux avant », le tout enrobé d’une mielleuse charité pour nos grabataires. Je ne puis me résoudre à comprendre qu’on estime comme normal que les choses soient réduites à une population datant du précambrien sous prétexte de l’expérience. M’est avis qu’un imbécile reste un imbécile, d’ailleurs le langage n’épargnant pas le « vieux con » qui est tout aussi pathétique et pénible que le « jeune con ». Heureusement que le service public de la Mort se charge d’écrémer le banc de nos prédécesseurs sinon il y aurait foule au guichet des ANPE ! Sabotons donc l’idée reçue que le vieux a l’ascendant sur le jeune sous le seul prétexte de ses compétences acquises avec l’âge. Confucius a bien dit que l’expérience ce n’est qu’une lanterne accrochée dans le dos éclairant le chemin parcouru, ce en quoi je suis tout à fait d’accord.

Rendons à César ce qui est à César : certains sont des experts et malheureusement les flambeaux sont difficiles à reprendre. Je songe à certaines véritables pointures comme typiquement M. Bouvard. Certes c’est une relique de l’ORTF et de RTL, certes il a plus d’amis au cimetière qu’un chien n’a de puces, mais tout de même un tel esprit se fait fort rare aujourd’hui. Défendant la belle lettre et le jeu de mots, le personnage me plait d’autant plus qu’il a le sens de la dérision. Ce qui est pathologique dans ce revers à mon envie de rajeunissement c’est que, lorsqu’il fut « gentiment » remercié pour être remplacé par un Dechavanne remuant, son émission phare fut au bord du naufrage. A la vindicte populaire contre le populiste spasmophile RTL reprit alors l’ancêtre pour virer le « gamin ». Ironique non ? Rien que cela me fait frémir d’effroi en me demandant alors légitimement s’il existe bien une relève à une certaine élite intellectuelle et culturelle.
Observez les librairies et demandons nous si l’on dispose réellement de nouveaux profils ou bien si c’est systématiquement sur le tard que le talent se révèle. L’art d’écrire dépendrait-il donc d’un vécu si long qu’il mérite l’éloge de l’édition ? A priori non, certains grands génies de la plume (et aujourd’hui du clavier) se sont révélés très jeunes, si jeunes même qu’on eut du mal à leur reconnaître la parenté de leurs ouvrages. Paradoxe quand tu nous tiens : le talent n’attend pas le nombre des années mais le nombre des années est apparemment une garantie de talent. Agaçant non ?

En réaction à cela je pourrais tout aussi bien prétendre avoir le double de mon âge, me grimer grassement pour apparaître vieux, flétri mais pas trop, un peu comme un acteur dont les cheveux virent au poivre et sel sans qu’aucune coquetterie malvenue soit intervenue pour teindre le tout en brun sombre et ténébreux. N’étant pas fanatique de la cosmétologie moderne, et ne cédant guère qu’à la tondeuse électrique ma tignasse, je suppose que je vais au surplus devoir me plier à la nuque en bataille de sorte à avoir l’air plus qu’à l’être. Illusion pour la couverture ? Pourquoi pas après tout, l’essentiel serait alors d’être lu… si seulement…
De toute manière la vérité est toujours ailleurs : l’expertise est question d’expérience et la jeunesse offre à contrario la fraîcheur d’un regard neuf. On maintient des élites dans les administrations et (moins heureusement) dans les ministères, car au fond un « vieux » c’est rassurant, ça a déjà un pied dans le caveau et au pire on peut le déboulonner en le déclarant « hors limite d’âge ».

Pour mémoire, certains réussissent très bien à s’accrocher aux branches de l’image ou du pouvoir : un Castro malade (qui a dit mort et enterré ?), un Zitrone maintenu jusqu’au bout de ses 81 années d’existence terrestre, il y a de quoi se demander si nous ne sommes pas un rien gérontophile sur les bords…

Aucun commentaire: