05 juin 2007

Paix sans sens

Si d’un point de vue typiquement politique on m’estime comme étant tour à tour anarchiste, militariste, dictateur en puissance, libertaire voire même fasciste, il est surprenant de constater avec l’aigreur qui me caractérise qu’on me prenne pour un pacifiste. Paix ? Qu’est-ce donc qu’une paix si ce n’est une étape transitoire entre deux conflits où s’opposent selon le sens du vent des idéaux religieux, politiques ou même économiques ? La paix n’est qu’une construction intellectuelle qui a pour but de rassurer les masses lorsqu’elles peuvent temporairement s’épargner les bombardements et les tickets de rationnement.

Qu’on se le dise : la guerre est un moteur dont le carburant sont la chair humaine et la bêtise de ceux qui pensent que le voisin est un ennemi. Observez donc ce qu’est un conflit : en caricaturant toute prise de position militaire on ne peut que déplorer qu’il y a là un matraquage des esprits à l’aide d’une propagande fort bien rodée, et des troupes qui se demandent ce qu’elles font là ; car oui, le troufion n’a pas vocation à comprendre, il a vocation à abreuver les sillons de sa patrie ou de les arroser des tripes de l’autre en face. En tout état de cause, le soldat est l’unité primaire d’un combat, celui par qui l’on fait passer les munitions et éventuellement une haute idée du combat.

A la gloire des fantassins les chants s’accumulent comme les albums d’un Richard Clayderman excité sur son piano dans les bas fonds d’un supermarché de province, et le point commun entre toutes ces mélopées scandées à qui veut l’entendre, l’essence même du soldat doit être honorable, fort, fier et heureux de périr pour sa Patrie en danger. En danger… mais n’est-ce pas là un mensonge scandaleux ? Le Pays n’est en danger que parce qu’il a été dirigé soit par des mollassons se refusant à former une armée acceptable et apte à défendre le territoire, soit parce que le même gouvernement devenu arrogant s’est fait un malin plaisir de taper sur une autre nation. De fait l’Honneur mis en avant n’a de sens que pour les affiches et articles de presse car le premier devoir d’un soldat ce n’est pas de tuer mais de survivre. Ce constat semble idiot ? Et bien qu’est ce qu’une victoire si ce n’est avoir plus de survivants que l’adversaire ?

La mémoire fait souvent partie d’un devoir générationnel, mais uniquement si le souvenir est entretenu par une légende ou une victoire écrasante. De Napoléon le personnage emblématique d’un empire Français en passant par la deuxième DB « victorieuse » du général Leclerc, l’image est là, forte, enorgueillie de drapeaux tricolores brandis ou peints avec fierté. Derrière tout ça se cache le bidasse, le crapahutant qui râle son mal de pied, sa soif, sa faim, son ras le bol des rations immangeables et l’envie que tout ça se termine le plus vite possible. Pourquoi l’anonyme n’a-t-il pas le droit à sa glorification sans sa détermination ordinaire ?

En poussant l’observation la révélation se fait lentement mais sûrement, un peu comme une photographie qui se développe paisiblement dans son bain chimique. Peu à peu, les clairons s’estompent et ce sont les tranchées, les trous d’obus, la sueur et l’odeur de la trouille qui prennent le dessus. Dans les relents de poudre consumée et de bandages maculés de sang il y a l’aigreur des générations sacrifiées qui crient dans le silence de la gélatine un besoin pressant de repos. La paix, ils en ont tous rêvés, fantasmés la fin des combats alors que le froid prenait l’un après l’autre les civils tant que les militaires, et puis enfin l’annonce de la fin du conflit arrivait, morne, insipide avec un arrière-goût d’échec. A quoi a bien pu songer le soldat ayant bourlingué des années durant pour se voir un jour démobilisé ? Un vide immense je crois, non celui du manque de fierté de la victoire, mai surtout le néant de ceux tombés « pour rien ».

Qu’on ne se méprenne jamais sur les mobiles d’une guerre : le soldat se fout des raisons qu’on lui enfonce dans la tête, tôt ou tard cela deviendra l’obligation de venger le frère d’arme qui a péri à cause du « salaud d’en face ». Il n’y a pas d’honneur à tuer, il n’y a pas d’honneur à mourir, il n’y d’honneur que dans la survie pour pouvoir dire et raconter que « plus jamais ça » ne soit pas qu’un vague slogan des porteurs de mort.

On croit que la victoire exalte et la défaite achève. C’est une contre vérité : la défaite est parfois plus douce qu’une victoire sans intérêt. Qu’est-ce qu’une victoire finalement ? Dès le premier mort la victoire n’a plus de sens, car un mort c’est un mort de trop. Dommage que ces idéaux ne soient bons qu’à grossir le rang des utopies, la barbarie humaine se rappelant à chacun d’entre nous à longueur de journée : pays exsangues, peuples décimés, déplacés et maltraités, nations décharnées et drapeaux brûlés, où est le sens de cette brutalité typiquement humaine ?

J’avais pris le parti d’en sourire au départ, le sourire s’enfuit au fur et à mesure que les cimetières se remplissent. Combien faut-il de victimes pour que les états qui s’opposent comprennent que la guerre est un acte vain, imbécile et dénué d’une quelconque raison Morale ? L’arrivée des troupes « de libération » en Europe devait supposer la fin du nazisme, des dictatures. Elles ont apportés la fin du conflit, un respect pour la puissance étrangère, mais aussi Yalta et la guerre froide. Quel était le rêve d’avenir que pouvaient avoir les détenus de Mathausen ou de Bergen Belsen ? Quelles étaient les aspirations de peuples passés sous tutelle Soviétique ? Sûrement pas la construction du mur de Berlin, la création du rideau de fer et encore moins les goulags du cercle polaire, et encore moins l’escalade nucléaire, l’ère de terreur, de crainte de l’atome soi-disant libérateur.

J’ai rédigé cela non en regardant un calendrier mais en songeant à un écrivain : Alexandre Soljenitsyne, Russe, soldat et officier pendant la seconde guerre mondiale… mais emprisonné au goulag pour avoir été un « intellectuel » car il ne faisait pas bon d’être critique contre le parti et contre Staline. Les vainqueurs sont aussi des bourreaux, les bourreaux ne sont pas toujours les vaincus, et souvent les deux adversaires sont aussi sanglants l’un que l’autre.

Offre nous la paix, même si ce n’est qu’une période entre deux massacres…
Nota: j'ajoute dans la liste de livres la référence associée à un de ses romans de référence: Une journée d'Ivan Denissovitch. A lire et à méditer.

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