04 juin 2018

Y a comme un bruit de guimbarde

Boing, boing… Curieux ce son qui vient de la cuisine… Ce serait la cafetière qui rend l’âme ? Le four serait-il en train de devenir dingue ? Aurais-je oublié d’éteindre un autre appareil ? Ou bien… ou bien ce lieu de préparation culinaire serait-il hanté par une âme damnée, errant en quête d’un objet usuel pour provoquer peur et terreur chez son détenteur ? Allons, un peu de sérieux, un peu de contenance ! Tu es un adulte, tu es du style pragmatique, à appliquer une analyse scientifique en toute chose, à raisonner au point d’en agacer ton entourage. Alors, ce n’est pas un bruit semblant être tiré d’un instrument improbable qui va te faire peur !

Et là évidemment, en pénétrant dans la pièce aménagée et garnie de meubles, rien. Le silence, absolu, glaçant même. La cafetière ne goutte pas, le four est dans son sommeil tel un démon cracheur de feu attendant son heure, et même le minuteur à œuf dur est bel et bien assoupi dans son tiroir. Alors quoi ? Aurais-je l’esprit troublé comme un Maupassant devenant dingue dans le Horla ? Suis-je pris d’une frayeur qu’un psychiatre s’empresserait de soigner à coup de camisole chimique ? Point de crise d’angoisse ou de panique, tout ceci n’est qu’un effet auditif, une hallucination totalement hors de … BOING. Comment ça, BOING ?! C’est une mauvaise blague, l’esprit frappeur a envie de m’agacer les neurones ! Tu vas goûter des sciences modernes, cochonnerie de frayeur instinctive ! Ma nature animale va la fermer et plier, parce que ma détermination est sans faille, et puis parce que je n’ai pas à être gosse un gosse hein…

Et encore ce boing, boing qui se remet à me chanter de sa nature provocatrice. Soyons méthodique. Les meubles sont tous fermés, ils sont là, arrogants dans leur netteté, alignés sur les murs et au sol comme à la parade, n’attendant qu’un geste pour s’ouvrir ou se fermer. Point de trace de porte mal fermée, point de tiroir branlant qui se paie ma tête. Alors, on fait le tour, on vérifie, on localise… et boing ! Espèce de… et un juron qui sort entre les dents, parque d’impatience légitime face au mystère qui s’épaissit à vue d’œil. Et l’évier ?! Allez, le robinet qui goutte, la perle dans l’inox, ça fait… ben ça fait plic ploc, pas boing bon sang !

Comme un traqueur de fantômes, je tire chaque tiroir et en vérifie le contenu. Rien qui puisse bouger, rien qui puisse me mettre la puce (ou la guimbarde) à l’oreille. Passons de ces contenants aux placards. Un à un, les portes s’ouvrent dans un mouvement souple à peine contenu par le ressort automatique. Et là, rien, encore et toujours ces empilements de plats, d’assiettes, de machines stockées à jamais ici en désespoir d’un usage vraiment utile, mais rien pour faire de maudit bruit. Je pousse, repousse, sors et remets la camelote, et toujours ce boing qui vient se trémousser dans mes oreilles. Se moque-t-on de moi ? Est-ce une caméra cachée ? Niche après niche, placard après placard, étagère après étagère, j’explore le joyeux désordre des casseroles et autres plats en céramique, je retrouve même des objets que j’avais supposés perdus. Ici, un couvercle, là un lot d’assiettes en carton, des bougies dans un sachet… et un confiturier ? Un confiturier… on en apprend tous les jours sur ses propres placards apparemment.

Et boing boing, arythmie d’un cœur mobilier en crise spasmophile, battement d’une aorte en cuivre d’un évier pourtant silencieux, corps d’une maison déterminée à me départir de mes restes de raison. Je suis sensé, être pensif et penseur, enquêteur méthodique qui repousse les limites de sa propre patience en furetant sans limite, vidant les derniers refuges de leurs contenus, entassant là des produits d’entretien, de l’autre côté un stock de conserves, pour finir par avoir tout le contenu sur le sol et non plus dans des loges réservées pour lui. Cri de douleur, cri de désespoir, boing, boing, cela recommence, impassible, moqueur, ironisant sur ma détresse ! Il y a forcément une raison, une cause !

Et puis soudain, sans y prêter attention, je me retourne et vois le dernier des placards. Il fait l’angle haut de la cuisine, celui qui, enserré entre ses camarades, contient un carrousel pour en faciliter le remplissage. Je me saisis de la porte et là, le spectacle d’un tourniquet ivre me saute aux yeux. Cochonnerie : le ressort, un rien trop tendu, n’appréciait pas une position intermédiaire entre « je suis à ma place » et « je cherche à revenir à ma place ». Rebondissant d’un coin sur la porte, le boing boing entêtant était le temps mis par ledit ressort à forcer le passage du carrousel, pour guetter la position idéale qu’il ne pouvait pas reprendre. Foutus ingénieurs IKEA : ça marche toujours dans le magasin, ça présente bien dans votre satané catalogue… mais là, non, comme par hasard, pas chez moi !

Fort de l’expérience, me voilà remettant la chose en place, fermant la porte et guettant le bruit m’ayant mené à ce grand chambardement. Tout semble en ordre. Pourtant, j’ai comme une colère noire qui me saisit. Me voilà repartir pour tout remettre en place, ranger, trier et amonceler ce fourbi indescriptible qui gît désormais sur mon carrelage. Et là, les imprécations fusent. « Abrutis d’ingénieurs, matériel à la con, je t’en foutrais de l’automatique moi… » et j’en passe des pires sous silence.

Et merde, on me demande d’aller accompagner des amis pour acheter du mobilier de cuisine. Nous voilà face à l’enseigne si caractéristique. Ils veulent bien voir les panneaux au nom imprononçable, se renseignent avec un vendeur qui, aimablement, leur propose un plan sur mesure et idéal avec tout ce qu’il faut. ATTENTION ! Pas le tourniquet ! Pas le carrousel de Satan ! C’est un piège ! Fuyez, sauvez votre santé mentale !

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