29 mai 2018

Prends la valise, merde !

Ah les joies du tourisme, les bonheurs intimes de découvrir le monde et de poser ses valises ailleurs que chez soi. Qui n’a pas rêvé d’arpenter les plages vierges d’une île éloignée de tout, de voir un coucher de soleil sur l’Himalaya, ou encore de prendre un bain de minuit dans un océan à l’azur de carte postale ? Aujourd’hui, l’avion, le train, la voiture, tout nous permet d’aller plus loin et surtout plus vite. Fini ce temps « perdu » à se traîner dans une voiture à chevaux, fini le temps supposément honni des voyages maritimes dont le temps variait en fonction du sens du vent. Et pourtant, le touriste, lui, bien qu’il ait accès à plus de choses, qu’il puisse visiter son monde et découvrir, n’évolue pas, voire même régresse de la pire des manières Quoi de plus stupide que le beauf attablé dans un restaurant d’un pays tropical réclamant son steak frites beaujolais ? Quoi de plus désagréable que l’abruti qui soutient que la nourriture locale est dégueulasse, tandis que des gosses font la manche pour pouvoir avoir de quoi manger ?

Le tourisme, c’est comme se balader dans une bibliothèque. On peut s’arrêter au rayon des grands philosophes, ou bien faire le pied de grue dans le rayonnage des romans de gare. Celui qui arpente une ville à l’histoire chargée peut dès lors autant visiter un monument, découvrir une culture, que faire le sport des bars parallèles sans se préoccuper le moins du monde des beautés qui l’entoure. Quel drame que de constater qu’un touriste parvient à vous dire « ah bon, y avait tout ça à voir ? Moi j’ai vu que le bar de l’hôtel, la piscine de l’hôtel, la bouffe de l’hôtel… ». Si l’on y songe, ce pauvre type a donc économisé sur tout pendant un an, pour s’offrir des prestations qu’il aurait pu avoir à dix kilomètres de chez lui. Navrant et même insultant pour les populations locales. Mais, dans le fond, ça n’est que le reflet de celles et ceux qui voient le reste du monde non comme une source d’enrichissement, mais uniquement comme une source de loisirs et d’oisiveté. Le « boy » n’est théoriquement plus d’actualité, mais la femme de ménage de l’hôtel de Cancoon n’est finalement pas si éloignée que ça de la case de l’oncle Tom…

Alors quoi, je hais les touristes ? Non, ce n’est pas le touriste qui m’horripile, parce qu’il n’est jamais simple d’intégrer les us et coutumes du pays qu’on visite. Au demeurant, cela sous-entendrait de s’informer avant de voyager, ne serait-ce que pour ne pas faire d’impair dans le pays hôte. Qui dit s’informer dit s’intéresser, qui dit s’intéresser suppose une démarche intellectuelle préalable. Or, les voyages, on les consomme désormais comme on consomme un plat prétendument asiatique alors que l’usine qui le produit est à deux ou trois pâtés de maison du domicile du consommateur final. C’est l’ironie de la mondialisation : plus on a accès aux choses, moins en fait quelque-chose. Si ce n’était comique de voir un pigeon se trimballer avec son T-shirt « I love NY », cela aurait des aspects finalement tragiques. La comédie et le drame sont deux frères trop proches pour qu’on les dissocie, et quand on a fini de se moquer du comédien, on en vient à le plaindre tant le grotesque s’empare de son existence. Je ne hais donc pas le touriste pour ce qu’il est, car il dépense, finance des pays, maintient une activité économique. Non, celui que je hais, c’est l’imbécile, l’arriéré, le consommateur irrespectueux, celui dont la curiosité s’arrête au prospectus de l’agence de voyage.

Il y a un côté gâchis dans cette frénésie de déplacement. On a créé des compagnies « low cost » pour assouvir et asseoir ce droit à consommer du voyage à outrance. Les gens s’entassent comme du bétail dans des avions aux sièges trop serrés et trop petits, ils se jettent sur la première bonne affaire parce « ouais on veut voir du pays ». Dites, les pigeons, vous avez vu votre propre pays avant d’aller emmerder nos lointains voisins ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas voyager, je dis simplement que, comme pour la nourriture, il faut savoir savourer son voyage. Je trouve insultant de rester dans une ville sans en avoir humé l’air et goûté les saveurs ! Je dis qu’il est cruel de passer devant un musée et de revendiquer « m’en fous c’est pas mon style, je veux voir le stade de foot ». Crétins, abrutis, je n’ai pas d’épithète assez rude et méchant pour décrire mon aversion pour cette engeance prétentieuse.

Alors oui, j’admets volontiers qu’il y a des lieux où c’est la beauté des paysages qui attire, ceci faute d’autre chose. On ne va pas dans certains coins du monde pour y découvrir des livres où des lieux culturels, mais pour autant goûter à la cuisine locale, faire marcher le commerce des petits artisans, ce sont des actes simples, parce que la cuisine est autant culturelle que peut l’être une cathédrale ! C’est quoi cette vision étriquée des choses ? En quoi la bouffe de tel pays est infecte ? Parce qu’elle n’est pas ressemblante à la nôtre ? En ce cas, cessez de trouver avenante une femme au physique d’un autre continent, arrêtez de dire qu’un gosse métisse est vraiment la preuve que le monde se doit d’être un mélange, parce que c’est faux-cul d’une part, et parce que vous êtes dès lors en contradiction avec vous-même. Sous vous êtes ouvert, soit vous êtes fermé (ou bleu comme le dirait… et voilà, je radote !). La curiosité et la tolérance ne sont pas à géométrie variable…

J’ai failli oublier les faux touristes. Par « faux », j’entends ceux qui profitent d’autrui pour voyager, qui se servent des ficelles du système pour vadrouiller à l’œil ou presque. Parmi les « faux » touristes, il y a cet emmerdeur qui pense que voir le monde c’est lever le pouce et compter sur la générosité d’autrui. Le hippie m’emmerde, il me gonfle profondément, parce qu’il dissimule derrière sa fausse pauvreté sa vraie volonté de ne surtout pas faire fondre ses capitaux. Ce petit con (car majoritairement on parle de jeunes adultes rompus à l’art de se faire plaindre et donc assister) aime qu’on le prenne en charge, à la limite qu’on lui offre des clopes voire un café à la prochaine station-service. J’appelle ce gus la tique du routard, l’inutile qui vous squatte la banquette arrière comme le personnage de Coluche qui se plaindra du carrosse qui a pourtant la générosité de le prendre en charge. En un mot : un pourri.
Ce squatter de bagnole a un frère siamois tout particulier, à savoir le voyageur qui vient vous tenir la jambe, parce qu’il profite de l’avion/train/bus pour trouver un psychothérapeute à vil prix. Ce sale con, ce chieur, cet empêcheur de roupiller en rond, je le maudis, je le hais ! Il est là, prétendant s’ennuyer, sans vous demander si lui ne vous ennuie pas naturellement, et vient dès lors chercher une pseudo conversation. Tôt ou tard, la discussion -quand il y en a une- glissera vers son ex qui l’emmerde encore et encore, ses gosses qui sont assis au bout du wagon, le temps qu’il fait, le prix du baril auquel il ne comprend rien, la santé du pape, ou la politique internationale de X ou Y dont il ne parvient même pas à bredouiller correctement le nom. Ceux-là méritent le bâillon, le scotch salvateur sous les naseaux. J’en viendrais même à lui grogner « ta gueule », bien que la bienséance en communauté me l’interdise formellement. Et pire que tout, si j’en arrivais à lui jeter cette demande de silence, on me taxerait d’égoïste, d’asocial aigri, de mauvais voyageurs… Mais vos gueules merde, je prenais le train, pas un billet pour devenir le confesseur d’un imbécile en manque d’oreille à gaver !

Suis-je un mauvais touriste ? Assurément. Je n’ai aucune envie de voyage organisé, de bétaillères à crétins arpentant des chemins touristiques déjà vus mille fois, pas plus que je ne désire me taper un ersatz de repas local revu et corrigé par tricatel ou toute autre chaîne d’hôtellerie spécialisée en escroquerie culinaire. Laissez-moi mon temps de vivre, de me faire une grillade dans un stand, de sentir l’odeur du marché du coin, d’être un passant, un quidam à qui on n’ira pas dire « t’es un gros con de touriste toi ». La carte postale ne vaut rien, rien ne vaut le souvenir, l’image intérieure, le moment partagé… D’ailleurs, cette ère technologique du mitraillage photographique a un côté ironique : plus le touriste voit du pays, moins il voit les pays puisqu’il ne le voit plus qu’à travers l’écran de son téléphone/appareil photo. Douce ironie ! Comme quoi, il y a une justice…

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