07 novembre 2013

Quand la plume brûle

On ne peut pas prendre les choses à la légère, d'autant plus quand on parle de la liberté de la presse. Tous les jours, des plumes sont brisées, enfermées, voire même brûlées parce qu'on cherche à faire taire les esprits libres. Quoi de plus honteux qu'un régime qui veut censurer la vérité, qui veut enterrer l'information, parce que celle-ci reflète non pas un monde idyllique de carte postale, mais bel et bien un monde de prison à ciel ouvert, où chacun épie l'autre avec une paranoïa élevée en règle de vie? On a beau croire être rêveurs, pacifistes, ou encore carrément utopistes, nous sommes tous face à une réalité bien plus cruelle: nous sommes chanceux, libres que nous sommes de nous informer, d'apprendre, de comparer et de mettre en cause le système. Seulement, nous sommes l'exception, le royaume qui brille dans les yeux des migrants s'échouant par dizaines sur les plages de l'Europe, nous avons des états qui, bien que souvent critiquables, nous laissent encore l'espoir de pouvoir faire mieux. Or, le seul témoin de tout ceci, c'est la plume, c'est le vrai journaliste, celui qui s'engage... pas celui qui n'est qu'un instrument de plus dans l'arsenal de la propagande.

Regardez ce monde, mais faites le non par à travers une lucarne qui cache les bords et la souillure, mais bel et bien à travers les panoramas de ceux qui se battent pour que "ça se sache". Au quotidien, nous faisons mine de ne pas voir les horreurs causées par les guerres, les atrocités commises au nom d'une politique ou d'une foi, et pardessus le marché, dès que l'information réapparaît, nous nous offusquons entre la poire et le digestif. Ce n'est pas ainsi que doit aller le monde, et encore moins être accepté ni toléré. Se révolter? Manifester? Hurler notre rage contre ces gouvernements dont nous devenons complices par confort ou par cynisme? Chaque jour, nous leur offrons notre soutien par trois armes essentielles: par les urnes, le portefeuille, et l'indifférence. Nous choisissons des gouvernants qui refusent de froisser ces alliés économiques et/ou militaires, nous consommons leurs produits (manufacturés, matières premières...), et nous participons à ceci par notre indifférence crasse. Où est la conscience collective? Dans notre téléphone dernier cri, dans notre voiture diesel, dans nos fringues en coton, ou encore dans nos godasses haut de gamme produites à bas coût. Nous sommes criminels, et les journalistes qui s'engagent veulent être des témoins, parce que voir nous poussent à réagir, à agir dans le bon sens, à se mobiliser, si petite que soit celle-ci.

L'individu seul peut envisager de changer le monde. Le monde change quand l'individu a fait changer les gens. L'information, telle qu'elle nous est présentée, est le reflet de notre société: voyeuse des crimes les plus sordides, observatrice glacée des monstruosités humaines, tronquée et censurée par confort intellectuel, bref, brutale et dépourvue de conscience. Nous appliquons le "Si je ne le vois pas, ça n'existe pas". Si, cela existe, si, cela se produit à chaque instant! Nous n'avons pas le droit de croire que nous vivons tous dans les mêmes conditions, et il est criminel de se dire que la seule gentillesse parviendra à faire bouger les choses. L'urne est une arme, tout comme la plume en est une. En laissant nos urnes se vider de nos désirs, nous autorisons que les plumes puissent être brûlées. Depuis quand le refus de voir efface l'existence d'une chose? Combien de journalistes, de témoins de notre temps laisseront nous périr, être emprisonnés et torturés? Combien de noms oubliés, de gens mis au cachot pour avoir eu le malheur de vouloir "voir" et surtout "témoigner"?

Il n'est pas tolérable de partir du principe qu'il s'agit d'un risque du métier que de craindre pour sa vie. Le journaliste de guerre, celui qui se démène pour nous montrer à tous ce que nous laissons faire, il est présent parce que nous ne sommes pas capables d'accepter que cela existe. A chaque instant, il court le risque d'être tué, mais ce n'est pas inhérent à son métier, c'est totalement lié à notre désir farouches de voir avant même d'admettre. La Vérité, c'est une chose essentielle, vitale pour la presse. Trop de porteurs de la carte de presse ne sont que des vendeurs de papier, des pourvoyeurs d'inexactitudes, voire de contrevérités. Charge à nous de légitimer ceux qui se démènent et risquent leur vie pour nous, pour que nous sachions, et que nous agissions en conséquence. Non, le risque de mourir n'est pas une chose qu'on peut compenser avec une prime Non, oublier ces victimes n'est pas acceptable, surtout sous le prétexte immonde que "ils savaient où ils allaient". Quand on tue un journaliste, on tue la liberté d'information, on assassine notre droit de savoir, et on les tue une seconde foi en jouant l'indifférence.

Dans ce spectacle inique, ce théâtre des horreurs où chaque jour se jouent des pièces immondes, nous ne sommes pas des spectateurs. Ne pas agir, c'est déjà agir en soi. Ne pas faire en sorte d'être moteur de notre société, c'est tout aussi criminel que de détourner le regard. Des journalistes sont morts, abattus pour délit d'opinion, pour délit d'information, pour avoir fait un métier fantastique et difficile, celui de nous relater avec exactitude et sans voile pudique ce qu'est notre monde. Notre monde est malade de notre propre incurie, de notre propre cruauté envers nos congénères. On se moque de tout, et surtout des autres, parce qu'on ne se sent concernés que quand nous sommes directement impliqués. Honte à ceux qui s'en moquent!

Maintenant, beaucoup de "penseurs" vont reprocher aux gouvernants d'être présents aux obsèques, de commenter ce qu'il s'est passé, et même de simplement prendre la parole. Interrogez-vous, réfléchissez un instant à l'infamie de vos propos. Tant que nos dirigeants seront inquiets pour la liberté de la presse et pour la sécurité de nos journalistes, nous pourrons alors espérer que ce droit élémentaire à l'expression écrite sera quand même préservé. J'estime que le journaliste doit avoir une place prépondérante dans notre société de l'information, parce qu'il est, à mon sens, celui se fera l'écho du temps qui passe. J'entends déjà ceux qui "pensent" qu'ils sont corrompus, vendus à des idées, minables, sans compétence... parce que vous vous prétendez capables de réfléchir et vous exprimer sans y mettre vos opinions? Avez-vous cette âme suffisamment froide pour avoir la plume claire sans la voir teintée? Etrangement, pas plus que ça. Ce que je reproche à nombre de journaleux, c'est non pas d'avoir des idées, mais de transformer leurs papiers en tribunes personnelles. Le chroniqueur dit ce qu'il pense, le journaliste relate des faits. Faites cette distinction, et vous aurez alors une vue plus précise sur nos médias. Malheureusement, une majorité de gens dotés du sésame "presse" sont des chroniqueurs, ou pire encore des scribouillards qui croient pouvoir dire des choses, alors qu'ils ne font que dire ce qu'ils veulent qu'on admette.

Enfin, je rends hommage à ces femmes, ces hommes, ces gens qui ont la foi dans leur métier, à ces plumes indépendantes qui veulent qu'on comprenne le monde qui nous entoure. Ils prennent des risques monstrueux pour que nous autres, confortablement enfoncés dans nos canapés, nous puissions avoir le droit d'exercer cette liberté fondamentale qui est de savoir.

"Le savoir est une arme, il faut toujours sortir armé".

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