23 octobre 2012

Bonne parole

"Tiens, encore un messie!" s'écrie le passant blasé en scrutant d'un regard nonchalant l'homme qui lui fait face. Le pauvre type l'est par bien des côtés: en guenilles, l'aspect sale, il porte les stigmates non d'une crucifixion, mais d'une certaine affection pour le cruchon. Dans ces conditions, l'écouter vociférer "C'est la fin du monde! Repentez vous!" ajoute du comique triste à son aspect repoussant. Riez, bonnes dames et bonnes gens, moquez vous donc ce ces hères qui n'ont plus d'esprit, enfin, selon nos critères bien établis de santé mentale. On va s'amuser à dire que cet inconnu est ramolli du bulbe, au mieux on lui offrira un gîte temporaire, au pire une camisole et quelques pilules. Mais, pourtant, aussi curieux que cela puisse paraître, ne prie-t-on pas des êtres comme lui, des illuminés, des passionnés par "Dieu", ou toute autre forme de lien religieux?

Ben quoi? Un type qui demande aux humains de se repentir, de s'aimer les uns les autres, ça ne vous cause pas? Prenons donc Jésus. Fils de Dieu, il a offert son corps et son sang pour que notre humanité s'améliore. Loin d'en tenir compte, les Romains, eux, ont préféré vérifier la qualité de leurs fabricants de clous et autres accessoires de bricolage. Si cela se passait aujourd'hui, nul doute que Brico bidule collerait sa pancarte sous les pieds ensanglantés du supplicié. Alors donc, deux poids deux mesures? Le prophète qu'on vénère diffère-t-il tant du prophète qu'on taxe de folie? Enfin bref, je me marre en écoutant les bavardages verbeux et inutiles des écoeurés, des fuyards, des lâches de la conversation, tandis que je ris en voyant le "dingue" s'amuser de la peur qu'il génère chez les autres. Continue mon pote, tu agites ces flemmards de la gamberge en leur promettant l'enfer sous peu!

J'ai dans le nez celles et ceux qui oublient que la "bonne parole" c'est avant tout la mettre en pratique, et pas uniquement l'entendre. On peut tenter de faire avaler des préceptes à une foule, mais à condition qu'elle soit réceptive. Or, avec l'égoïsme permanent de notre société, nul doute que Jésus aurait fait franchement la gueule, et que les apôtres auraient décrété "Bande d'irrécupérables!", au lieu de se pencher sur notre âme. Pire encore, les saints, morts au nom de leur foi, auraient-ils été jusqu'à cet ultime sacrifice? Permettez moi de dire ouvertement que j'en doute, tant ils n'auraient pas toléré notre franche haine pour la solidarité. Donc, fondamentalement, la chance aura voulu que nos ancêtres étaient soit bien plus dévots, soit tout simplement bien plus crédules et moins cyniques.

Et quoi? Donnez moi donc un bâton de pèlerin, un discours à distribuer aux ouailles du monde en perdition, histoire que je puisse, moi aussi, me faire une conscience bien propre, lessivée à grands coups d'idéaux nauséabonds. Je doute que j'aurais du succès, d'autant plus qu'il me manque le physique d'une star, le charisme d'un despote, et surtout le discours d'un escroc. L'illuminé est celui qui est touché par la lumière... Personnellement, aucune envie que ma tête devienne une ampoule pour éclairer le chemin de quelques milliards de paumés dans l'existence. Je crois plus au principe de choisir sa voie soi-même, sans compter sur quelque messie que ce soit pour me guider. Loin de moi l'idée de décrier ou critiquer celles et ceux qui prêtent foi aux évangiles et autres écrits sacrés, mais dites vous bien que, de nos jours, un bon messie est un messie embastillé sous Xanax.

Au final, c'est encore mon cynisme qui remonte. Le "fou" de la station de métro se marre encore plus franchement. On le paye pour qu'il arrête de râler, on lui propose d'aller voir ailleurs s'il y a du monde à informer, et il embarque, dignement, en rigolant, son barda de sacrifié de la société. Comme quoi, les vrais crucifiés sont celles et ceux qui subissent notre égocentrisme, ces SDF qui finissent par se faire passer pour fous pour obtenir une pitance. Interrogeons nous: qui sont les fous dans cette petite histoire, ceux qui vouent un culte à un type cloué à une croix il y a plus de deux milles années, ou bien celui qui se fait passer pour un illuminé pour la raison très pragmatique que la peur de l'illuminé rapporte plus que la main tendue?

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