08 novembre 2011

Fenêtre ouverte sur le monde

Plus les gens ont de moyens différents pour communiquer, plus ils s’invectivent pour le plaisir de se donner une prestance. Aussi ridicule que soit ce constat, il est impressionnant de voir à quel point le droit à la parole se révèle être un véritable poison à tous les niveaux. Pourtant, on aurait pu espérer que, grâce aux avancées technologiques, que chacun se rende responsable de ce qu’il dit et fait, et qu’on puisse ainsi faire progresser la société dans le bon sens. Malheureusement, j’ai souvent l’impression qu’il n’en est rien, voire pire encore, que la facilité avec laquelle on peut laisser un commentaire dans le monde virtuel offre une tribune aux plus imbéciles… ou aux plus dangereux.

Je ne saurais dire si c’est un sentiment d’impunité (pseudonymes, anonymat) ou bien la possibilité d’être vu par le plus grand nombre qui tente les plus virulents. Derrière le phénomène du troll (c'est-à-dire « Je vais volontairement provoquer une situation intenable dans une discussion, ceci dans le seul but de la faire mourir faute de débat construit ») se cache souvent des comportements irresponsables. On pourrait supposer, à tort, qu’il y a dans ces discussions sabotées l’opportunité de stimuler la discussion, d’amener les propos sur un terrain différent, mais force est de constater que ce n’est rien d’autre que le plaisir de détruire (ou insulter autrui) qui guide la majorité des intervenants. Pire encore : « n’est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre » s’applique fort bien à ce terrain fertile aux débordements et autres dérives. Dans ces conditions, la seule attitude hélas efficace est finalement la censure, ce qui revient à dire « Plus on a le droit de s’exprimer, plus il faut avoir la capacité de censurer ». Le paradoxe est quand même désagréable à admettre.

Concrètement, les diverses opportunités d’expression sont diversement appréciables. Si l’on prend le côté média, on peut dorénavant réagir aux articles d’un journal, ou sur un reportage télévisé, ceci grâce à l’Internet. C’est louable, cela peut devenir passionnant grâce à des intervenants qui réagissent avec à propos et précision, mais cela offre également la malchance de devoir survoler des dizaines de messages haineux, racistes, sectaires, ou simplement hors contexte. Là, c’est devoir se poser la question sur la capacité de chacun à parler des choses nécessaires, utiles, ou tout du moins propices à faire avancer le débat. Hélas, trois fois hélas, l’acharnement qu’on peut avoir à défendre ses opinions ne mène finalement qu’à un dialogue de sourd, où chacun invective l’autre en l’accusant d’être sectaire et obtus. Tiens, ça fait presque « C’est celui qui le dit qui y est ! » de ma bonne vieille cour d’école, non ? De fait, les journaux en viennent alors à censurer les discussions houleuses, à supprimer sans avertissement les propos, ce qui revient alors, encore une fois, à de la prise de décision sans véritable contrôle. Peut-on leur reprocher ? Pas plus que cela… Sauf qu’il y a, comme toujours, un « mais » plutôt dérangeant.

Raisonnons un peu : peut-on laisser quelqu’un dire (et le démontrer) que le boulot qu’on fait est mauvais, inexact, ou même partisan ? Certes, le bon sens voudrait que la critique soit prise avec intelligence, à savoir avec l’idée initiale d’apprendre de ses erreurs. Or, chaque média a une ligne éditoriale, un fond de commerce à défendre. L’orientation politique, si simple et calme qu’elle fût, est un fondement qu’on se doit de défendre. Alors, force est de constater que toute contradiction, même étayée, est souvent menacée de censure, de rejet forcené tant des gestionnaires de commentaires, que du lectorat engagé qui viendrait à lire le dit commentaire. Résultat des courses : censure, voire même bannissement du site (comprendre une interdiction de poster quelque message que ce soit, ou, dans le pire des cas, impossibilité temporaire/définitive de se connecter au site en question). Comment est-ce qu’on appelle une telle attitude ? Du fascisme. La censure pour délit d’opinion n’est rien d’autre qu’un fascisme qui se refuse à l’admettre. Et n’allez pas croire que le phénomène soit présent que sur les pages des feuilles de choux alimentées par la xénophobie, tous les organes médiatiques sont plus ou moins touchés par ce principe.

J’ignore s’il existe une bonne façon de gérer la liberté d’expression. Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas un soutien idéologique pour Charlie hebdo, mais je soutiens leur droit à s’exprimer (dans un cadre légal et raisonné, de sorte à ce que chaque rédacteur soit susceptible d’être pénalement condamné pour ses propos). En conséquence, censurer, c’est mettre un terme au droit de s’exprimer, si mauvaise que soit l’idéologie qui est véhiculée. Le net, fournisseur démesuré d’informations tronquées, erronées, manipulées à loisir, est donc la première victime de la part de ceux mêmes qui rêvent de liberté. Loin de moi l’acceptation de voir des gens bâillonnés parce qu’ils pensent différemment, mais je m’interroge sur les procédés pour empêcher les dérives les plus dangereuses. On parle souvent de la protection de l’enfance, de la censure face à l’antisémitisme, ou encore face aux idées raciales les plus sordides. Fort bien, j’en comprends le sens, mais où est donc l’idée de justice là-dedans ? La loi, c’est le meilleur et le pire en une seule phrase : « Censurer ce qui n’est pas tolérable ». Petit exemple concret… L’homosexualité était un crime il n’y a pas si longtemps que cela, donc tous les sites parlant de l’homosexualité auraient été censurés, et leurs auteurs mis en prison ? Cela paraît fou aujourd’hui, mais l’exemple est chronique. On ne peut que très difficilement se comporter en censeur sans prendre le risque de devenir un despote.

Et finalement, il y a cette masse gigantesque de personnes sans activité, sans idée, qui se foutent royalement des droits qu’ils ont. S’exprimer ? Aucun intérêt pour eux. Avoir une opinion ? Pas concerné, donc pas d’opinion. Et ainsi de suite. Cette majorité, ces inactifs de la réflexion, c’est par eux que passent les lois de censure sans jugement, c’est par eux que se légitiment les méthodes de surveillance les plus inquiétantes. Et c’est par eux, hélas, que le choix de nos gouvernants doit se faire. On va me parler de l’abstention… Petit rappel : s’abstenir, c’est modifier les résultats des votes, et augmenter la force non pas des gros, mais au contraire des petits partis. Je ne vais pas faire des chiffres pour éviter les maux de tête, mais schématiquement, moins il y a de votants, plus une voix pèse dans les pourcentages. Logique, non ? Alors, soyons actifs, ne laissons pas les fenêtres ouvertes sur le monde que sont nos écrans devenir des endroits glauques où seuls les plus acharnés diront ce qu’ils pensent. Penser, c’est un devoir, tout comme comprendre son monde, l’aimer, l’apprécier, et le préserver. Le premier devoir du citoyen devrait être de penser, et non pas de laisser les autres penser pour lui.

A bon entendeur…

1 commentaire:

Thoraval a dit…

"Du pain et des Jeux". Des millénaires de politique résumés en une expression. Pas besoin de pondre un Traité sur la chose, tout est là.