25 octobre 2011

En colère contre le virtuel

Je suis écoeuré, et le mot est passablement faible. Ces derniers temps, nous avons la fâcheuse tendance à glorifier les méthodes pour le moins douteuses de « vengeurs » virtuels qui, sous couvert d’une justice expéditive, se permettent de pirater, et alors dénoncer sauvagement tout un tas de personnes de par le monde. Le dernier cas en date connu est du fait des Anonymous, mettant en ligne pas moins de 1600 utilisateurs accusés de pédopornographie sur la toile. Sont-ils coupables ? Est-ce qu’ils méritent qu’on les traque de la sorte à travers des méthodes illégales ? Ces questions semblent élémentaires et les réponses tout autant. Oui, il faut absolument traquer, inculper, et condamner des criminels sexuels de ce genre, mais pas n’importe comment, car la justice ne se fait pas à n’importe quel prix.

Et pourtant…

A quoi ai-je eu le droit comme réponse en exprimant cette idée ? La première réponse fut « ils se substituent à la justice qui est défaillante ». NON ! Cent fois NON ! Les vigilantes ne doivent pas proliférer, car la loi est un fondamental de toute société civilisée. Qu’on soit en dictature ou en démocratie, c’est la loi qui fixe les frontières entre le bien et le mal, entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Or, s’octroyer le rôle de justicier, c’est outrepasser les lois, c’est prôner l’anarchie, et s’estimer suffisamment compétent pour prendre la place à la fois de la police pour l’enquête, du juge pour choisir la peine, et finalement du bourreau pour l’exécution de celle-ci. Je ne peux pas et ne pourrai jamais cautionner de telles actions, parce qu’elles ne mènent qu’à la loi du Talion, sans compter que tout groupe harcelé finit immanquablement par améliorer sa structure, et donc devenir toujours plus difficile à traquer. Estimer qu’une justice palliative menée par des vigilantes est légitime, c’est estimer que la violence peut contrer la violence. Qu’on ne s’étonne surtout pas si, un jour, il y ait des vengeances à coups de fusil dans les rues. Les règlements de compte ne peuvent décemment pas être acceptés, pas même si, fondamentalement, on serait tenté par la séduisante idée de dire « On traque des monstres, utilisons des méthodes monstrueuses ».

le vigilantisme, sur wikipedia

Le second argument est encore plus ignoble à mes yeux. « Que les pédophiles y perdent de leurs droits fondamentaux ne me dérange pas, ils méritent d’être chassés ». Remplacez pédophiles par juifs, noirs, ce que vous voulez, et vous aurez alors un discours fasciste. Pourquoi Israël a traqué Heichmann et lui a donné un procès retentissant à Jérusalem ? Parce que seule la loi, le droit de se défendre, le droit à la présomption d’innocence peut permettre d’éviter toute dérive totalitaire ! On ne peut pas accepter que la justice disparaisse au profit d’une vindicte populaire… Sauf à vouloir revenir à des périodes sombres où l’on pendait n’importe qui sans même le droit fondamental de se défendre. On m’a parlé d’Outreau comme étant une preuve d’une justice défaillante, et que les attaques telles que celles des Anonymous sont alors une solution acceptable… FAUX : Outreau démontre avant toute chose le rôle des médias, et le résultat d’une lapidation publique par les caméras, et les spectateurs derrière. Si l’on avait laissé accéder la foule à la salle d’audience, m’est avis que les faux accusés auraient risqués leur vie ! La présomption d’innocence, le droit à un procès équitable, ce sont des fondamentaux juridique et sociaux qui nous préservent de la dictature. Les mécanismes légaux sont là, justement, pour qu’on n’expédie pas un procès à coups de culpabilité supposée.

Le troisième argument porté est l’idée incongrue de comparer les piratages de ce genre avec la résistance Française. Vous insultez les résistants avec de tels amalgames. Comment comparer l’action armée contre un occupant (donc une dictature), et des types vivant en DEMOCRATIE s’octroyant le droit devenir des accusateurs/délateurs ? C’est quoi, ce raccourci débile ? La justice, nous en avons une, perfectible, parfois fragile, mais elle a le mérite d’exister. Nous ne sommes pas en zone occupée, nous ne devons pas lutter contre un oppresseur quelconque ! Le droit d’expression n’est pas réduit à néant, pas plus que les médias sont interdits de parole (même s’ils choisissent d’être trop dociles ou complaisants ces derniers temps). Je trouve révoltant qu’on puisse mettre en perspective des gens qui risquaient leur vie pour un idéal de liberté, et des types qui mettent la vie de leurs cibles en danger en les dénonçant au grand public. C’est absolument hors de propos, et même scandaleux.

Le dernier argument, et certainement le plus terrifiant, c’est la seule idée que la loi peut être infléchie pour une question de profit moral et/ou intellectuel. Oui, traquer et emprisonner les pédophiles, c’est une chose qui est « normale ». La loi existe, elle punit et permet l’incarcération de ces monstres. Mais NON, encore une fois, on ne peut pas faire que la loi soit mise en sommeil, sous prétexte que c’est moralement tolérable. JAMAIS, au grand JAMAIS je ne pourrai accepter qu’on puisse légitimer de telles actions. C’est en soi une horreur morale que de pouvoir envisager que les Anonymous agissent correctement. Pourquoi n’aident-ils pas les états, en leur donnant des méthodes, des moyens pour agir correctement, avec le cachet de la loi et donc d’un soutien « populaire ? » ? Parce qu’il est autrement plus confortable de se prendre pour Robin des bois, de cogner fort, d’être un hors la loi apparemment sympathique. Mais là-dedans, où sont prises en compte les erreurs d’analyse, les victimes ? Certains virus permettent de transformer des PC en zombies, en serveurs fantômes hébergeant, sans que l’utilisateur soit au courant, des fichiers douteux ? Alors, eux aussi, on les crucifie en place publique ? Et ceux qui se font squatter leur réseau Wifi sans le savoir ? On fait comme HADOPI ? On sanctionne aveuglément ? J’applaudis le niveau de bêtise atteint là !

Je suis vraiment furieux, hors de moi de pouvoir lire qu’il y a des gens prêts à cautionner la justice expéditive de la rue pour des idées « hautement morale ». Il me semble urgent de comprendre qu’il s’agit là d’une folie pure, qu’on n’obtient jamais autre chose que de la violence, et qu’on oublie alors pourquoi nous avons créé des lois : pour sanctionner les coupables, mais également pour protéger les innocents. Et ça, je ne peux pas admettre qu’on puisse l’oublier aussi facilement.

Les Anonymous et la pédophilie, sur presence-pc

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