22 septembre 2011

La barbe

Encore une fois, j’ai le sentiment qu’il y a eu quelques erreurs de sélection lors du choix des expressions ordinaires. Tenez, par exemple, ce titre vous a sûrement amené à songer à une pilosité masculine, au symbole même de l’existence des nains dans le médiéval fantastique, ou encore à celle blanche et encombrante de l’ancien représentant de commerce de Coca-Cola. Et là, je dis non : je songeais bel et bien à l’antique expression populaire supposée signifier, avec une forme surannée de politesse : « Tu vas la fermer ta grande gueule, oui !? ». Hé oui, la langue française est un florilège d’usage à contre-emploi de mots, de choses, car l’on aime jouer avec les conventions, et l’on va jusqu’à trouver trois voire quatre sens pour un seul et même terme ! On est bons, non ?

Sortons du crin de bouc qui tient lieu de ramasse miettes de table, et songeons donc à toutes ces petites expressions aussi mignonnes que souvent ridicule : « C’est la porte ouverte », ou encore « Il n’y a pas le feu », ou bien l’inusable « On n’est pas aux pièces ». Tiens donc, mais d’où diable ces expressions peuvent-elles provenir ? L’imbécile qui a balancé « y a pas le feu » oublie probablement qu’il y a une sorte de graduation dans le désastre, et qu’il y a plein de subtiles marches à gravir entre le « tout va bien », et le « Foutons le camp, l’immeuble est en flammes ». Mais évidemment, quoi qu’on compare à un incendie, tout de suite, cela semble bien moins dramatique…
« Le on n’est pas aux pièces », on peut le supposer venir d’une chaîne de fabrication, où les ouvriers, robots humains tenus par les cadences du fordisme, pouvaient déclarer sans surprise « Hé, on n’est pas au nombre de pièces faites à l’heure ! ». Avec la sempiternelle flemme de tout conserver, nous avons donc, à mon avis, résumé le tout par cette phrase « on n’est pas aux pièces ». Les Soviétiques, eux, plus imaginatifs, instauraient le « temps pour cent » dans les goulags, à savoir « Combien de temps pour produire cent pièces ». Jusqu’ici, on peut songer à de la rentabilité, mais c’était plutôt « Produis en deux fois le quota, comme ça, si tu claques, j’aurai de la réserver à caser en attendant que ton remplaçant tienne la route ». Cynique, efficace, il ne faut donc pas plaisanter avec les quotas de production !

J’adore écouter ces expressions qui se renouvellent sans cesse. Entre les auteurs, les chanteurs, les acteurs, il y a de quoi pêcher une quantité invraisemblable de petits dictons, d’expressions prêtes à l’emploi, et le net, grand fournisseur de choses aussi inutiles qu’indispensables, ne se prive pas non plus pour présenter des sites dédiés à la gloire du bon mot. Par décence et charité tant pour mes lecteurs, que pour les auteurs de ces « choses », je me contenterai de dire qu’il y a le littré qui se révèle être d’une aide incomparable. Nul besoin de s’arracher le cœur et la rétine en scrutant des sites bariolés, un bon bouquin physique, et en voiture pour la culture !

Et merde, voilà que je case, moi aussi, une de ces expressions qu’il m’arrive d’honnir sans limite ceux qui s’expriment ainsi. Pourquoi ? Parce que la plupart le font dans un français approximatif, intolérablement malade de la vérole des « oublis et autres omissions que l’on tolère à l’oral ». Beurk ! Par pitié, achevez les, piquez les, faites quelque chose pour ces pauvres hères qui ne savent plus à quel dictionnaire se vouer ! Heureusement que la peine de mort ne s’applique pas aux crimes contre la langue, sinon je crains que nous serions privés des deux tiers de notre population. Ceci dit, cela aurait alors réglé bien des problèmes de surpopulation carcérale, de chômage, enfin bref, de bien des soucis de notre société actuelle… De là à coller la peine de mort pour les assassins de la langue dans un programme politique… Quoique : cela aurait bien fait rire Monsieur Desproges, pouffé Coluche, et grogné le reste de la classe politique et analphabète qui nous dirige.

Mais là, c’est un autre débat !

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