11 avril 2011

Verser des larmes

Est-ce qu’il fait partie de notre devoir d’être humain de verser des larmes ? La question semble ridicule, parce qu’il est évident que les larmes représentent nos sentiments, qu’elles expriment tant la joie que la peine, et c’est en cela qu’elles sont essentielles à notre existence. Bien sûr, nous souhaiterions moins verser des larmes de tristesse que de joie, mais finalement, les unes et les autres sont indispensables, car sans drame, il n’y aurait finalement pas de joies. Nous savons tous à quel point il est douloureux d’être frappé par le destin, mais, concrètement, ce sont des épreuves que nous devons subir pour vraiment comprendre la valeur du bonheur.

On n’enterre pas aisément les souvenirs, qu’ils soient bons ou mauvais, et nous ne pouvons pas oublier, jusqu’au point où nous n’arrivons même plus à pardonner. Bien entendu, c’est parce que nous sommes des êtres souvent durs, voire même cruels, et qu’accepter de s’excuser est infernal pour soi-même. Notre orgueil, horreur morale par excellence, nous pousse tous à renier les autres, à dénigrer, à se montrer inflexibles, alors que le pardon devrait être une qualité humaine indispensable. Je ne peux pas reprocher à celles et ceux qui ne peuvent pas pardonner, parce que je peux les comprendre. Il n’est pas toujours possible d’accepter la rédemption, même si celle-ci se révèle être sincère. Nous avançons donc, avec nos errances, nos erreurs, et nous existons parce que nous le devons, tout simplement.

Quand on perd quelqu’un d’important dans notre vie, c’est un bout de soi-même que l’on perd. Pourtant, les larmes qui coulent, elles ne sont pas pour l’autre, elles sont pour soi, égocentriques quelque part, et elles finissent même par me sembler fausses et superflues. Quand on perd quelqu’un, c’est parce que le destin en a décidé ainsi, pas parce que nous le voulons, mais parce que la vie emmène tôt ou tard les gens qu’on aime. Alors, évidemment, nous subissons de plein fouet la douleur de ne plus jamais les voir physiquement, mais nous oublions alors qu’ils sont toujours présents, au fond de nous, au fond de nos cœurs. Nous devrions nous rappeler les bons instants, nous remémorer les joies et les peines que nous avons partagés, et pas simplement ruminer l’aigreur de notre solitude. On n’est pas seuls, on n’est jamais totalement seuls, nous sommes un tout, nous ne sommes rien que des instants de vie, puis, un jour, des souvenirs, des images mentales, et rien de plus.

La tristesse est légitime. On aime, on adore, on a de la tendresse pour autrui. On ne saurait être totalement insensibles, sauf à croire que nous avons perdu cette humanité qui, pourtant, reste toujours présente d’une manière ou d’une autre. Le problème est alors de savoir l’exprimer avec réserve et chaleur à la fois, parce qu’il faut savoir vivre, malgré tout, aller au-delà de la simple sensation de vide que peut nous laisser le départ de quelqu’un. Je me dis à chaque fois que celle qui part n’aurait pas voulu que nous nous apitoyions sur notre sort, je suis convaincu que le jour où je ne serai plus là, que les gens que j’ai aimé sauront honorer ma mémoire de manière simple, sans fard, sans équivoque. Vous boirez un verre à ma santé perdue, vous mangerez un morceau entre amis et proches, parce que je l’exige, parce que je ne veux pas que les gens soient tristes de me voir disparaître. Il faut vivre, et cela en vaut la peine.

On se dit, et ce sans véritable intelligence ni réflexion, que nous avons tous peur de partir. C’est vrai, cela fait peur, l’inconnu, l’impossible retour de l’autre monde. Mais pourquoi craindre ce qui est inéluctable ? Nous n’avons pas d’autre choix que de l’accepter, pour les autres, pour soi-même, et donc d’en absorber toute la portée. La vie se savoure parce qu’elle est courte, elle est magnifique parce qu’elle est éternelle à travers la mémoire. Nous n’aurions pas ce plaisir de vivre si, par malheur, celle-ci se révélait définitive et sans risque. Je sais bien qu’il faut aussi souffrir, qu’il faut alors être dans le doute et la douleur, et qu’en plus nous n’avons pas de moyen de dire qui sera béni de celui qui sera maudit… Mais, quelle importance après tout ? Nous existons, nous trouvons des solutions, des chemins détournés pour apprendre de nos erreurs, et de vivre enfin normalement, avec l’amour d’autrui, et avec l’amour que nous leur portons. L’existence, c’est donc subir et aimer à la fois. Vivre, c’est être soi.

J’ai vu la mort un peu trop souvent à mon goût. J’ai vu beaucoup de gens qui ne sont pas passé de l’autre côté, mais qui aurait peut-être désiré ne pas être resté parmi les vivants. Ils furent là, exemples de vie au-delà du désespoir, avec le cœur et l’âme souillés par la haine et la violence. On ne sait pas ce qu’il se passe dans une âme qui a été torturée par le devoir de survivre, on ne peut pas vraiment l’admettre sans l’avoir vécu. Nous sommes tous trop faibles, trop pétris de certitudes pour saisir l’ampleur de l’horreur que représente de survivre aux gens qu’on aime. Pourtant, nous portons alors ce fardeau quand il vient à peser sur nos épaules, et nous avançons, nous ravalons notre fierté, et, un pas après l’autre, nous continuons notre route. Parfois, nous laissons des gens sur le bord du chemin, et des années après, nous en venons à regretter notre attitude. Regretter, c’est le propre de l’homme, parce que nous avons cette capacité à comprendre notre bêtise. Quoi qu’il puisse arriver, nul n’arrive à éviter toutes les folies, nul ne peut prétendre à la perfection, et c’est probablement mieux ainsi. Etre un saint, c’est vivre dans la torture de la clairvoyance. Celui qui « sait », c’est souvent celui qui pâtira le plus de la vérité. Nous autres, les gens ordinaires, nous devons donc découvrir, passer, marcher, apprendre, regretter, se détester, puis, un jour, réussir à se pardonner.

Les gens meurent. Nous les pleurons. Nous pleurons notre solitude, nous pleurons notre incapacité à changer les choses. Le propre de la vie, c’est finalement l’impuissance à faire toujours mieux. Un geste, si anodin soit-il, offre parfois un peu de soulagement, parce que nous avons alors démontré que de rares qualités humaines peuvent prendre le pas sur nos frustrations. Je préfère me dire que je n’ai rien à regretter, que le destin s’est chargé de me mettre face à des choix sans savoir les conséquences, et qu’au quotidien la vie sera toujours faite de joies et de peines. Je peux verser des larmes, j’en ai encore un peu à faire couler, peut-être parce que quelqu’un sa su me rendre mes yeux et mon cœur. C’est stupide, mais c’est comme ça. J’ai souvent marché avec l’ai renfrogné, droit devant, parce qu’il fallait vivre, parce qu’il était de mon devoir de ne pas m’arrêter. D’autres ont choisi de céder à la facilité, et je ne leur reprocherai jamais. Chacun vit sa vie comme il le peut. Chacun avance là où il parvient à aller.

Quelqu’un que j’aime beaucoup est parti. Son sommeil est dorénavant éternel. Il est apaisé, soulagé du poids des ans, de la pesante responsabilité d’être, et d’un quotidien devenu torture. Oui, c’est triste. Oui, des gens vont pleurer à ses funérailles. Je l’admets, je le comprends, je compatis, mais je ne veux pas me souvenir de cette personne qu’à travers une stèle de marbre qu’on referme. Je veux en garder le meilleur des souvenirs, celui d’un rire, d’un bonjour évident et banal, celui d’un noël où l’on partage un dessert, celui d’un printemps où l’on est dans le jardin, à s’amuser du chant des oiseaux. Elle est partie, pour toujours, elle n’est plus parmi les vivants… Mais elle est en vie différemment, dans nos mémoires, dans nos souvenirs, dans nos attitudes. Chacun change l’existence des autres par sa seule présence. Nous nous influençons réciproquement, nous donnons autant que nous recevons. Certains pensent, à tort, que certains donnent moins qu’ils ne reçoivent, mais c’est une erreur. Tout est interaction, depuis le refus d’aider, jusqu’à la colère qu’on a parfois contre quelqu’un. Même l’indifférence est un échange. Nous avons échangés, nous avons été des proches, et cela me rend le sourire. Il n’est ni amer ni forcé, il est simplement humain. Je serai un jour à sa place, comme tout le monde. Finalement, la vie est comme les larmes, nous naissons dans des larmes de souffrances et de joies mêlées, puis nous mourons dans les larmes de nos proches. Entre les deux, nous avons à verser quantité de larmes différentes, et toutes finissent par sécher. Nous disparaissons, nous apparaissons, et le monde continue sa route malgré notre départ. Vivons, existons, parce que les autres ont besoin de nous, autant que nous avons besoin d’eux. Ne regrettons pas le départ de ceux qu’on aime, savourons plutôt leur passage.

Et que vive la vie, qu’importe comment et pourquoi.

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