20 janvier 2011

Nos chers petits vieux

Oh, que c’est difficile de parler des ancêtres sans entrer dans une logique soit moqueuse, soit trop respectueuse ! En effet, soit l’on moque les tares que provoquent l’âge et la maladie, soit l’on encense leur savoir et l’histoire qu’ils portent en et sur eux. De là, culturellement, les sociétés sont très disparates dans le traitement de l’âge : en Europe, nous favorisons la « disparition » sociale de nos aînés, ceci par le truchement cynique des maisons de retraite, ou de l’hospitalisation à outrance. D’autres appliquent la démarche inverse, c'est-à-dire en estimant que ce sont les plus anciens du village qui servent de références pour leur société. D’un extrême à l’autre, il y a tout un paysage où se logent ce que nous appelons pudiquement le troisième âge.

Alors, qu’en dire ? Déjà, on peut réaliser un découpage lucide de nos anciens. Il y a les avenants, les aigris, les délabrés, et les nostalgiques. De ces quatre catégories dépendent totalement la perception que nous pouvons avoir d’eux. Les avenants sont les plus agréables, car ils représentent l’exemple type du « papi gâteau » : ouverts, prêts à parler du passé sans exagération, ouverts à l’innovation, compréhensifs et patients, ils sont ceux qu’on aimerait croiser à chaque coin de rue. En plus, ils offrent une expérience inégalée sur nos erreurs, et sont donc capables de conseiller sainement pour que nous autres, jeunes fougueux décérébrés, nous ne réitérions pas les mêmes conneries. Ce que j’adore au surplus, c’est qu’ils disposent d’un vocabulaire passablement daté, fleuri, et donc forcément agréable à mes oreilles. Dans tous les cas, ils sont géniaux, et l’on a du mal à envisager quoi que ce soit de méchant à leur dire. Et si tous nos ancêtres étaient ainsi, nous serions bien plus capables de progresser… Malheureusement, c’est une minorité, car les trois autres catégories dominent. Comme quoi, Darwin déconnait à plein tubes : ce n’est pas l’intelligence et l’adaptation qui permettent à l’homme d’avancer, mais au contraire les côtés cyniques et amers de la nature humaine.

Les aigris sont insupportables. Mordants, cruels, vengeurs, ils reprochent au monde entier leur vieillesse et leur isolement. Ils regrettent constamment quelque chose, pestant contre tout progrès, accusant pêle-mêle les médias, les politiques, les entreprises, les voisins d’être la cause de tous leurs malheurs. Généralement intolérants, ils font la joie des extrémistes politiques, à tel point qu’il serait préférable, pour les partis radicaux, d’aller ratisser en maison de retraite, plutôt que dans les cités ouvrières. J’adore les écouter : pour eux, tout allait mieux avant, les politiciens étaient honnêtes, les voitures plus jolies, les villes moins moches, les hommes plus honnêtes. Je me régale alors de leur rappeler quelques points d’histoire, comme ce politicien mort sur une prostituée, ce despote qui envoyait la jeunesse à la mort, cet ancien président qui s’est enrichi sur le dos des colonies, ou encore cette époque où le pays utilisait des tickets de rationnement. Au mieux, il sera rouge écrevisse de rage, au mieux, je lui aurai offert un aller-simple pour un ailleurs que je ne connais pas. Méchant ? Non ! Pragmatique !

Les délabrés sont particuliers, en ce sens que la nature ne les gâte pas : lessivés par l’âge, la fatigue, la maladie, ils en deviennent difficiles à gérer. On ne peut guère les blâmer, puisque, nous aussi, nous sommes potentiellement condamnés à subir le même sort. Ce n’est que justice d’ailleurs : après tout, nous les moquons pour les couches, puis un jour, c’est alors à nous de découvrir avec horreur que nous ne pouvons plus faire confiance à notre vessie. Un juste et légitime retour des choses en somme. De là, bien entendu, il faut accepter d’aider, de se porter au secours de celles et ceux qui, avant, jouaient le rôle d’éducateur, et il faut le dire aussi, de tampons pour gérer nos bêtises les plus grossières. Seulement, l’adulte est foncièrement stupide et égocentrique, ceci le poussant alors à pousser l’ancêtre au mieux dans les bras de la médecine gériatrique, au pire dans le trou le plus sordide. Heureusement que la génération suivante se charge alors de nous rendre la pareille. Une petite vengeance familiale, en somme !

Les derniers, les nostalgiques, sont très particuliers. D’un côté, ils sont particulièrement agréables, car ils ressassent tendrement des souvenirs que le vernis écaillé du temps rend plus doux. D’un autre, ils sont insupportables à tout comparer avec un avant devenu par trop idyllique. Musique, cinéma, journaux, ils font preuve d’une agaçante tendance à tout voir à travers le prisme déformant de la mémoire, à tel point que le nostalgique devienne un aigri. La frontière est par ailleurs mince, à tel point que les distinguer peut devenir très délicat. Somme toute, le nostalgique est majoritairement ravi, il ne vous tannera pas avec son amertume, tout au plus saura-t-il vous faire découvrir un chanteur mort, enterré, tombé dans l’oubli, ou encore vous dire que le journal télévisé n’a plus cette saveur agréable qu’avait les informations sur l’ORTF. Ok l’ancêtre, les jeux de 20h, c’est culte, mais de là à dire que c’est forcément mieux que les inepties présentées par Delarue, Dechavanne, ou encore Nagui, il y a quand même un peu de marge, non ?

Allez, les vieux, je vous aime, je vous adore : vous savez faire revivre un monde que je ne connais pas, j’aime vous écouter parler avec passion de cet hier qui a fait ce qu’est notre aujourd’hui, et je sais pertinemment que demain, je serai tout comme vous.. Un fervent emmerdeur, un passionné du cassage de pieds en boucle, le tout avec au fond du cœur une tendresse particulière pour mes souvenirs les plus chers. Comment ça, je suis déjà comme ça ? Hé ben, ça promet !

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