18 janvier 2011

Le cynisme stratégique

Appliquons nous à réfléchir un instant sur le cynisme comme arme stratégique. Bien souvent, nous estimons à raison que le cynisme est quelque chose de désagréable, à la seule exception près quand il est utilisé pour faire de l’humour. Dans tous les autres cas, être cynique, c’est utiliser à son avantage des situations difficiles, tristes, voire atroces, et la politique tant que l’armée doivent faire usage de cette réflexion pour pouvoir avancer. Nous le savons, mais nous avons énormément de mal à l’admettre tant cela peut paraître cruel. Le sacrifice des uns peut finalement devenir le bénéfice des autres, à tel point qu’un massacre peut se révéler être un « bénéfice » pour quiconque sait en tirer profit.

Depuis que la notion de blocs s’est délitée, nous subissons une nouvelle forme de terreur, celle d’un terrorisme basé sur des idéologies religieuses. Quel qu’en soient les fondements, ces actions exploitent au final la terreur à des fins politiques. La stratégie fondamentale du terrorisme est d’amener les peuples à craindre des actions aveugles, des représailles, et c’est dans un climat de méfiance généralisé qu’évoluent dorénavant tous les états riches. Pourtant, force est de constater que ce ne sont pas ces groupes qui profitent des retombées médiatiques des attentats, mais au contraire les états ciblés qui n’attendent finalement qu’une opportunité soit pour changer de politique, soit pour au contraire durcir celle déjà établie. Deux exemples sont flagrants, et mettent bel et bien en scène la problématique : l’Espagne et les USA. Prenons tout d’abord l’Espagne : suite à l’attentat de Madrid, l’état Espagnol s’est retrouvé face à l’obligation d’une gestion de crise, et de prendre en compte le fait que le pays pouvait devenir une cible, surtout eu égard à sa présence militaire aux côtés des USA. Résultat des courses : modération, changement de cap politique, et finalement retrait progressif d’une grande partie de ses troupes. En face, les USA ont pratiquées tout le contraire, les attentats du 11 Septembre, ainsi que les crises successives au moyen orient ont légitimées un durcissement drastique du contrôle des masses. Patriot act 1 et 2, justice d’exception, camp de détention comme Guantanamo, on peut donc constater que pour une même cause, deux conséquences totalement opposées. Dans les deux cas, il s’agit de cynisme : d’un côté les Espagnols qui cherchaient probablement une sortie honorable, et de l’autre les USA qui n’attendaient que la bonne occasion pour se forger un nouvel « ennemi ». Il faut bien se souvenir qu’en l’absence du bloc Soviétique, les USA n’avaient concrètement plus d’ennemi à l’extérieur. Comme je l’avais déjà expliqué dans un autre article, tout état voulant un pouvoir et un contrôle total doit se trouver un ennemi, qu’il soit intérieur ou extérieur.

Maintenant, regardons de l’autre côté de la méditerranée : la Tunisie vient d’opérer un virage spectaculaire avec la fin du régime de Ben Ali. Qu’on le dise dictatorial, antidémocratique, c’est un euphémisme, mais comme toujours dans ce genre de système, les gens ne se sont plaints de la dictature que quand celle-ci n’a plus été capable de tenir en laisse l’économie. Comme il a été rarement relevé dans les médias, les critiques provenaient surtout des véritables libéraux qui, eux, ne voulaient pas se contenter de la croissance économique, tandis que la majorité de la population voulait bien accepter des contraintes en l’échange d’une vie relativement confortable. Cependant, ce confort s’est vu peu à peu détruit par la crainte engendrée par un régime resserrant l’oppression, instaurant la paranoïa collective, menant même les gens à devoir s’exiler pour pouvoir « penser » librement. Le peuple est souvent cynique : tant que l’on peut manger et dormir en paix, nul besoin de trop se préoccuper d’autre chose que de soi. Ce n’est pas un reproche fait aux Tunisiens, d’autant plus que celles et ceux qui, au départ, ont tentés de faire opposition à ce type de réaction se sont souvent vus montrés du doigt. Il est difficile de vouloir la liberté dans un pays où tout le monde a peur des gardiens du système. De là, c’est un cynisme généralisé qui me fait craindre pour le futur : cynisme du pouvoir qui, mine de rien, reste plus ou moins affilié à Ben Ali, des élections trop proches qui vont donc rendre difficile l’émergence d’une véritable pluralité des candidats, et donc du choix, et surtout la potentielle récupération des évènements par un islamisme radical qui revendiquera une stabilité par la foi. Il est hélas difficile de prédire qui prendra les rênes du pays, surtout quand on a un choix très restreint de possibilité. Les dictatures oppriment les opposants, et donc réduisent à néant l’espoir de voir des personnages forts émerger de la masse contestataire. Ironiquement, les pays voulant s’affranchir d’un despote ont d’énormes chances de basculer dans un système tout aussi totalitaire, si ce n’est pire encore. L’Iran, l’Irak, la Chine, La Russie, l’histoire démontre qu’une révolution peut aisément amener à la terreur. Reste à voir qui saura modérer les comportements extrémistes, et donc amener la Tunisie à une démocratie digne de porter cette étiquette. Cependant, cyniquement, je me dois de rappeler qu’une dictature comme celle de Ben Ali avait pour seul véritable avantage de museler les extrémismes religieux, et notamment d’éviter que la Tunisie puisse devenir une base arrière pour des groupuscules terroristes. Quelle politique appliquera alors le prochain gouvernement ? Négociation, tergiversations, et donc, à terme, un gouvernement devant tenir compte des aspirations despotiques des extrêmes ? Ou, au contraire, une fermeté renouvelée contre ces groupes voulant s’approprier les fruits de la révolte ? Entre les deux, difficile de choisir, car, dans un cas comme dans l’autre, la situation pourrait devenir vite détestable. Dans le premier cas, la montée en puissance des radicaux religieux peut potentiellement tirer la Tunisie vers une nouvelle dictature digne de l’Iran, et dans l’autre cas, cela peut potentiellement tirer la Tunisie vers une dictature revenant à celle de Ben Ali.

Dans ces conditions, quelle est la véritable arme efficace ? Le cynisme est indispensable en politique et en stratégie : il permet d’agir en se défaisant des obligations morales et culturelles, d’autant plus quand il s’agit d’affronter un ennemi, réel ou avéré, et de déterminer la bonne politique à appliquer. Nombre de morts sont faits parce qu’un assassinat peut faciliter la tâche aux gouvernements. Par démonstration, songeons à Sarajevo et aux conséquences de cet attentat. Il est très clair que la mort d’un homme n’a servi que de prétexte à une guerre mondiale aussi inutile que folle, d’autant qu’elle a, par la suite, permis l’émergence de plusieurs monstres. Les communistes Russes sont apparus à cause de l’effondrement de l’autorité du tsar, et de l’usure du peuple. Les nazis, les fascistes ont pu prendre le pouvoir par les urnes en revanche contre le résultat de la fin de la première guerre. Le cynisme a prévalu chez nombre d’acteurs Européens, comme en France où les regards se sont bien gardés d’aller voir au-delà du Rhin pour s’inquiéter du devenir du voisin redevenu belliqueux. L’Espagne, elle aussi, est entrée en révolution dans les années 30, tant par fatigue du pouvoir que par la séduction des régimes totalitaires qui vivaient une embellie économique. Et là, la boucle est bouclée : cyniquement, le peuple a été attiré par l’économie florissante, la promesse du plein emploi, et l’idée qu’une nation soudée derrière un despote a plus de chance d’avancer, qu’une nation éclatée à cause d’une cartographie politique totalement illisible. Notez enfin qu’en France, Marine Le Pen vient de prendre le pouvoir au FN. Elle est créditée de 16 à 18% d’intentions de vote pour les élections de 2012. Il est fort à parier que ce chiffre ne va pas aller en s’infléchissant, et pour peu que le parti d’extrême droite puisse récupérer quelques affaires médiatiques d’ici le premier tour, nous pouvons craindre un second tour avec le FN aussi présent qu’en 2002. Là, cyniquement, nous serons alors tenus de faire un choix atroce : un candidat dont on aura pas forcément voulu, contre un candidat dont on a surtout jamais voulu à ce niveau des élections.

Et moi, cyniquement, je compterai les points face à celles et ceux qui pensent encore que s’occuper de politique est inutile et inefficace.

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