22 novembre 2010

Commissions et rétrocomissions

Une affaire vient d’apparaître sur le devant de la scène, empoisonnant clairement la vie politique française. En substance, la vindicte accuse les gouvernants d’avoir « provoqué » les terroristes ayant perpétré l’attentat de Karachi, en 2002. La supposition initiale est (toujours d’après les affirmations diverses et variées qui essaiment ce dossier) que la France « aurait cessée de verser des commissions suite à la vente d'un sous marin au Pakistan, en 1995, donnant probablement lieu à des rétrocommissions pour financer la campagne électorale de E.Balladur, ceci entraînant en mesure de rétorsion l’attentat contre des ressortissants Français ». Jusqu’ici, cela ressemble fortement à un mauvais film d’espionnage, où les trahisons, les magouilles dans le dos du présidentiable Chirac a forcé la décision de cesser le paiement des commissions, et où les seconds couteaux maltraités (De Villepin en tête) se vengent en lâchant le morceau aux chiens de la médiatisation. Cela rend la chose assez difficile à avaler, du moins à analyser correctement, mais cela incite aussi à se poser des questions plus en profondeur sur la façon dont se traitent les affaires en haut lieu.

Tout d’abord, n’oublions pas un fondamental en France : aucune campagne électorale ne peut être financée sous la forme de dons, car, à hauteur d’un certain pourcentage, la dite campagne est alors « remboursée » par l’état. En gros, si un parti fait 5% de votants, l’état estime donc que la nation est suffisamment proche du dit parti pour prendre en charge ses frais, ou du moins une bonne partie. C’est d’ailleurs ce qui a causé un grand désastre financier dans le parti de P.De Villiers lors des présidentielles, au titre qu’ayant fait un score insuffisant, c’est grâce à l’aide des militants que fut renfloué le navire électoral du candidat. Dans ces conditions, seuls les participations des militants sont supposées être exploitables pour gérer la grand messe des présidentielles. Dans le cas de fraude supposée ici, le candidat E.Balladur aurait été financé par un retour illégal de fonds dans les caisses du parti, par l’entremise de rétrocomissions sur des marchés d’armement. Rien que ce concept laisse perplexe, car cela sous-entendrait donc que tout marché public, ou du moins initié par l’état, pourrait donner lieu à de tels retours financiers. En effet, le procédé est terriblement simple : l’entreprise X vend un équipement cher, souvent inaccessible pour des questions technologiques, à un état quelconque. Pour obtenir le marché, il y a souvent mise en concurrence. On « graisse » donc la patte d’un personnage de pouvoir, afin de faciliter les négociations. Une fois le budget débloqué, le retour d’ascenseur est provoqué par des flux financiers directement destinés aux élus qui, bizarrement, ont appuyés la décision lors de la négociation du contrat. Pire encore : on peut même envisager que le personnage client ait eu des vues sur un équipement que seul la France pouvait fournir (admettons des navires de guerre spécifiques), et que pour « remercier » l’élu Français motivé, il aurait fait revenir un petit ascenseur lesté de quelques millions. Plutôt désagréable à apprendre, notamment quand l’état suggère fortement de jouer l’économie.

Ce premier point déjà inquiétant se voit encore un peu plus pétri dans l’angoisse des théories du complot, au titre qu’on parle d’une mesure de vengeance à travers un attentat meurtrier. Notons deux mots majeurs : attentat et vengeance. D’une part, cela sous-entendrait que soit l’état Français a traité avec des terroristes, ce qui est grave, soit c’est l’état client qui est terroriste (ou traite avec localement, ce qui reviendrait au même), ce qui est tout aussi grave. Dans toutes les combinaisons envisageables, nul doute que si les faits sont avérés, la France pourra alors être accusée à juste titre de financer le terrorisme d’une part, et de l’équiper d’autre part. Que l’état soit tenu d’aller à la négociation avec des pays douteux, c’est une évidence, car la notion même de diplomatie sous-entend naturellement de s’asseoir à la table des salauds, de boire le coup avec les exploiteurs, et de négocier des contrats juteux avec les despotes. Cela fait partie intégrante de ce métier qu’est la diplomatie. En revanche, user de ces mêmes outils pour l’enrichissement personnel (comprendre l’ambition politique et le financement occulte d’une campagne électorale) n’est plus du même niveau. Ce ne sont plus les intérêts de l’état, ni ceux des entreprises Françaises qui sont défendus, mais ceux d’oligarques cherchant l’argent partout où il se trouve… donc, concrètement, dans les caisses des terroristes. Terrifiant.

Le dernier aspect, et non des moindres, est que la dénonciation des faits est soutenue par une tête de liste crucifiée sur l’autel de la carrière du président de la république, c'est-à-dire D.De Villepin. Vindicatif, revanchard, ses propos commencent sérieusement à le desservir tant ils ressemblent à de la vengeance mesquine, plus qu’à la potentielle dénonciation d’exactions politiques et financières. Qu’il ait été pris pour cible, c’est une évidence depuis bien longtemps. Clearstream sentait clairement la magouille, puait littéralement l’escroquerie organisée, le tout pour enfoncer De Villepin. Aujourd’hui, l’homme n’hésite pas à lâcher des bombes verbales, à dénoncer. Certes, c’est une manière compréhensible de retourner la politesse à N.Sarkozy, mais ce n’est pas la bonne méthode à mon sens. Pourquoi ? Tout comme l’enfant qui criait au loup, ses esclandres répétés font penser (moi le premier) qu’il instrumentalise l’actualité, quitte à risquer le ridicule. Je ne prétendrai pas que l’affaire est fausse, et encore moins qu’il s’agit là d’une manœuvre minable pour plomber le nouveau gouvernement. Toutefois, j’estime qu’il faut faire preuve de prudence : ce qui n’est pas prouvé ne doit pas être agité comme une vérité. Seule la vérité doit être affichée, car celle-ci est un dû pour les familles des victimes de l’attentat de Karachi. On ne parle pas d’une destruction de biens, mais de morts, de blessés, d’un traumatisme ineffaçable pour des innocents. La dignité sera donc de ne pas freiner l’enquête (s’il n’y a rien à cacher), ou de saquer ceux qui ont profités du système (s’il y a vérité derrière les propos lapidaires dans les médias).

Je ne doute pas qu’on tentera d’étouffer l’affaire dans l’œuf, qu’on incitera au silence tous les participants. Concrètement, quelque soit le rôle réel ou supposé des acteurs du dossier, il sera impossible à l’Elysée de dire toute la vérité. S’il n’y a rien à déclarer, la rumeur dira que l’état étouffe des magouilles. Si les magouilles (supposées) sortent, la même rumeur déclarera qu’il y a plus, ou que l’état en profite pour piétiner ses propres personnages gênants, comme à l’époque de Clearstream justement. Que croira la rumeur ? Rien. Elle n’avalera aucune vérité, car ces mêmes vérités seront toutes tachées de la salissure du doute. Fondé ? Infondé ? Difficile d’en juger. On continue bien à fantasmer sur des complots du nouvel ordre mondial, sur l’existence des extraterrestres, ou encore sur le fait qu’Elvis soit encore en vie. Moi ? Je ne saurais donner un avis concret sur la question, mais j’ai une certitude : la politique ne se pratique pas les mains propres, et le pouvoir ne s’exerce jamais sans mener des actions des plus détestables. De là à cautionner, je ne ferai jamais le pas. Par contre, je fais un pas en avant : méfiez vous, méfiez vous énormément de ce qui va se dire d’ici peu. Ceux qui paieront potentiellement les pots cassés, seront probablement ceux qui encombrent le plus les présidentiables. Je ne doute pas un instant que parmi les brisés, il y aura au mieux des lampistes, au pire des innocents, le tout affichés par les médias complaisants et avides d’affaires secrètes.

Affaire à suivre, donc.
Les revirements de De Villepin, sur rue89.com
Paris/Karachi sur yahoo.fr
L'attentat de Karachi sur wikipedia.fr

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