10 novembre 2010

40 ans

Personne n’a pu passer à côté du fait que l’on parle du quarantième anniversaire du décès du président-général De Gaulle, et que nombre de documentaires, livres, interviews et autres reportages fleurissent un peu partout. Est-ce une mauvaise chose ? Etait-ce un personnage douteux, attachant, dur, démocrate, despote dans l’âme ? Je crois qu’il est bon de se souvenir de lui, non pas pour l’image d’Epinal qui colle à l’appel du 18 juin, mais avant tout pour sa présence à travers l’histoire moderne de la France. Qu’on soit admiratif ou très critique, son rôle n’est pas du tout négligeable, loin s’en faut. Personnellement, je ne vais pas critiquer ou encenser, mais plutôt réagir selon mes convictions, parce que d’une part je ne m’estime pas suffisamment compétent pour chroniquer une telle carrière, et d’autre part parce qu’il y a bien assez de documentation pour se faire une idée objective par soi-même. Aujourd’hui donc, je ne serai pas l’étendard de la critique, mais avant tout le porte drapeau de mes opinions.

Par quoi commencer avec le général ? De par sa stature, son ton, sa compétence de plume acide et efficace, il est bien difficile de chroniquer un tel bonhomme. Depuis son rôle de militaire engagé dans la défense d’une certaine idée de la France (j’y reviendrai ensuite plus longuement), jusqu’à celui de président de la République, il a présenté un visage d’homme ferme, de politicien efficace, tout comme d’un réformateur visionnaire et mal compris. Malgré des décisions lourdes de conséquences, malgré des incompréhensions avec le peuple Français, De Gaulle a eu une influence prépondérante sur la France d’hier, et un impact encore notable sur la France d’aujourd’hui. Oubliez le cliché de l’appel à Londres, songez plus à son refus d’être un vassal des USA et donc participer à l’OTAN, à sa réconciliation patiente avec l’Allemagne, ou encore à l’obligation de devoir gérer des crises telles que la décolonisation ou Mai 68. Il a traversé 30 ans de politique agitée, faites de révolutions, de réformes lourdes, de dislocation d’une France qui se croyait capable de perpétuer le modèle colonialiste, d’une société dont les mutations sont aujourd’hui des crises majeures (immigration, intégration et assimilation des populations issues des anciennes colonies, gestion des banlieues...).

A-t-il un bon bilan à présenter à l’Histoire ? L’idée qu’avait, à mon sens, le général De Gaulle de la France allait bien au-delà du pseudo cliché chauvin qu’on veut parfois lui coller. Lucide sur les Français : « Tout français désire bénéficier d'un ou plusieurs privilèges. C'est sa façon d'affirmer sa passion pour l'égalité », il avait déjà compris que nous sommes incapables de faire des choix douloureux, de peur de toucher à de petits intérêts personnels. Réformateur, critique vis-à-vis des accords politiques, l’homme a donc été un militaire strict au milieu de requins de la politique des dessous de table. Ayant à faire face à une opposition tant d’appareil que de culture, on ne peut alors que mieux comprendre cette phrase très lourde de sens « L'administration, c'est mesquin, petit, tracassier. Le gouvernement, c'est pénible, difficile, délicat. La guerre, voyez-vous, c'est horrible, mais la paix, la paix, il faut bien le dire, c'est assommant ». Héros de la France pendant l’occupation, ennemi juré de Churchill et de Roosevelt pendant la guerre, bourreau des résistants communistes qui pensaient pouvoir prendre le pouvoir à la libération, son rôle aura autant été celui d’un libérateur médiatique, que celui d’un despote prenant par la vitesse et presque la force le pouvoir sur le territoire. Le blâmer ? Trouver la décision illégitime et mégalomane ? L’histoire retiendra tout de même qu’il aura évité à la nation d’être mise sous tutelle Américaine, tout comme qu’il aura épargné à la France la peur d’être une cible des Soviétiques.

Démocrate ? Certainement pas. De Gaulle était républicain, estimant que le rôle d’un président n’était pas de faire les inaugurations de crèches, pas plus que de se plier à un chef du gouvernement changeant aussi vite qu’un homme change de chaussettes. Il n’était pas l’homme des médias, la télévision et les journalistes l’insupportant au plus haut point. Dur, voire même cruel avec eux, De Gaulle n’a pas hésité à créer des instances de contrôle et de censure pour les museler. Et pourtant, paradoxalement, il est l’instigateur de lois imposant qu’un quotidien national doit être disponible au même moment partout sur le territoire métropolitain, mettant même la SNCF à contribution (à travers des trains spéciaux) pour y parvenir. Paradoxe de l’homme croyant à la voix des urnes, tout en étant l’homme affirmant clairement « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ? ».

Visionnaire ? Si l’on prend simplement deux aspects majeurs que sont la technologie de l’information et le nucléaire, on peut affirmer que oui. Moteur sur le projet de soutien à Bull, il a permis à l’informatique d’être une ressource nationale, d’être un métier concret sur un marché qui, historiquement, était détenu par les Américains. Malheureusement, confiez du commerce à des fonctionnaires, et vous aurez immanquablement un désastre. Pour le nucléaire, son indépendantisme presque cocardier l’a mené à décider de la création de la bombe atomique, tout comme à créer nos propres centrales, qui sont aujourd’hui montrées en exemple pour leur sécurité et leur gestion irréprochable. De Gaulle voulait un pays indépendant, n’étant pas tributaire du bon vouloir des USA ou de l’URSS, et pouvoir ainsi continuer à avoir une voix forte et perceptible à l’ONU, donc dans le monde moderne.

Irréfléchi ? Des erreurs ? La fuite à Baden-Baden, incompréhensible aujourd’hui encore, ou encore ses propos volontairement provocateurs mais totalement creux comme le trop fameux « Je vous ai compris », tout ceci peut aussi faire dire que De Gaulle était capable de se tromper. Le blâmer ? L’encenser, je n’en sais rien. A la lumière de cette vie d’homme d’état, qui n’a jamais profité des avantages de sa position, je crois qu’il fut un homme au service de la nation, quitte à aller à l’encontre des intérêts démocratiques. A sa retraite, De Gaulle a refusé de prendre les deniers de la retraite d’ancien président, déclarant que celle de général d’armée était plus appropriée. Très proche des dépenses, refusant toute aide ou toute façon détournée de s’engraisser, il fut certainement le président le plus économe pour lui-même. Rares sont les dirigeants qui dissocient le profit de la fonction, plus rares encore sont ceux qui se mettent totalement au service d’une cause. De Gaulle s’est mis au service de la nation, d’abord comme militaire, puis ensuite comme politicien, ce qui en soi est admirable de dévotion.

Ces propos semblent être flatteurs pour l’homme qu’était De Gaulle. Ne vous trompez pas sur ce texte. Apprécier ou détester des décisions prises ne fait pas l’opinion sur un homme. Je le vois souvent comme un monolithe qui n’a pas su voir la mutation sociale après la fin du conflit en Algérie, je crois qu’il était encore trop attachée à une France datée et dépassée, celle des campagnes, alors que les banlieues poussaient alors comme des champignons. Il m’arrive d’avoir des points de convergence avec ses opinions, mais non, je ne suis pas forcément d’accord avec lui. En revanche, j’admire sa ligne de conduite qui, visiblement, n’a jamais été infléchie que ce soit par le pouvoir ou par la corruption qui, immanquablement, vient avec lui.

Enfin, je suis convaincu que son héritage est aujourd’hui taillé en morceaux par des gens qui se réclament de lui, tout en réfutant ses préceptes. Le libéralisme prôné par l’actuelle droite « gaulliste » n’a absolument rien à voir avec les idées dont elles prétendent être issues. Je trouve même illégitime et insultant que certains néo conservateurs soutiennent qu’ils ont des idées proches de cet homme, notamment quand ils veulent se donner un vernis moral pour flatter l’église, ou quand ils jouent la carte du prosélytisme. De Gaulle était entier, ne démolissez pas son image de la sorte. La démolir par la critique objective par contre, c’est la seule méthode que je saurais tolérer. Malheureusement, si peu osent le faire...

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