09 septembre 2010

La pudeur

« La pudeur est l’apanage des pauvres ». Cette idée m’est venue en observant à quel point ce sont les frasques des gens célèbres qui tiennent le haut du pavé médiatique. Entre un joueur de football soupçonné de coucher avec des prostituées (mineures pardessus le marché), d’une starlette ivre expulsée d’un casino, ou encore des propos incohérents d’un acteur sous l’influence de stupéfiants, ce qu’on appelle la pudeur semble réservée aux gens ordinaires, à ceux qui n’ont pas les moyens de leurs travers. Le quotidien est d’ailleurs le maître incontesté des frustrations et autres contraintes morales qui nous interdissent clairement de sortir de la norme. Chaque endroit, chaque situation révèle cette camisole, à tel point qu’on peut supposer, si ce n’est déjà constaté de manière douloureuse, que nous nous imposons des règles, juste parce que nous estimons qu’une contrainte vaut mieux que la honte.

Prenons un cas simple, que chacun a pu tôt ou tard expérimenter dans son existence : les toilettes publiques. Haut lieu symbolique de l’absence chronique d’hygiène, ainsi que d’une forte propension à véhiculer des messages abscons comme « 93 rulez », ces endroits impersonnels sont des hauts lieux de la pudeur excessive. Regardez donc ! Vous êtes pressé par un terrible mal au ventre, vous vous enfermez, et là, horreur, vous vous rendez compte que votre présence va cumuler bruit et odeur. Horreur ! Que va penser celui ou celle qui, désespérément, attend que vous quittiez les lieux ? Que vous manquez chroniquement d’hygiène ? S’il a deux sous de jugeote, il pourra penser que lui-même est incapable de maîtriser ces aspects... Mais nous, engoncés dans notre paraître poli et policé, nous serons là à nous tortiller, en priant que notre urgence ne se transforme pas en concert pour trompettes et cornes de brume. Ridicule, non ?

Un autre cas tout aussi évident, et pourtant classique. Tous, nous avons fait un jour ou l’autre la fête avec excès. Pourtant, nous nous sommes tous mis plus ou moins des barrières, comme ne pas danser nu sur les tables, embrasser le tout venant, ou se jeter tout habillé dans la piscine. Seul l’alcool, grand désinhibant social, pourra éventuellement nous donner une excuse pour aller jusque là. Or, les riches, les stars, les visibles s’offrent ce genre de luxe sans pour autant s’être laissé tenter par la dive bouteille ! En quoi seraient-ils plus prompts à faire n’importe quoi, si ce n’est parce que leur notoriété ou leur argent (ou les deux) leur permettent d’imposer leurs folies aux autres ? On se frustre alors, on se dit « ce n’est pas pour moi », et l’on se tait, tout en les enviant quelque peur. Notez d’ailleurs que les magazines qui vivent de ces errances nous vendent le voyeurisme, mais aussi la tentation. Ceux qui se brident sont ceux qui rêvent d’en faire autant...

Mais là n’est pas tout pardessus le marché ! Moralement, nous excluons certaines choses, psychologiquement, nous estimons qu’il est « mal » d’aller au-delà de certaines limites, parce que la société refuserait de nous admettre. Le rejet fait encore plus peur que la honte d’agir différemment, pour peu qu’il y ait une quelconque honte à penser autrement. Ceux qui vont à l’encontre des codes classiques, comme par exemple les artistes, les doux-dingues, les rêveurs, tous sont traités en parias parce qu’ils bousculent les règles établies. En quoi est-il mieux d’avoir les cheveux courts que les cheveux longs ? Ou le contraire ? En quoi n’aurait-on pas toute autorité à être tatoué, vêtu comme on l’entend ? Le code vestimentaire, la soi-disant hygiène du rasage sont risible. Rien ne m’empêche d’être vêtu d’un t-shirt propre, d’avoir une barbe, tout en étant sorti de la douche deux heures avant ! Ce n’est qu’image et clichés, mais cela suffit à faire de vous le représentant involontaire de ce que la société déteste : le désordre.

Et puis finalement, il y a les acharnés, les fouteurs de merde, ceux qu’on n’arrivera pas à coller dans une case. Les punks (en tout cas ceux qui s’en réclament encore), les bordéliques aux tenues improbables, les jeunes de cité, tous cherchent à se réapproprier leur image à travers le désordre vestimentaire ou linguistique. Le parlé cité n’est absolument pas autre chose qu’un reflet d’une envie d’identité. La survivance de patois régionaux pourraient, quelque part, être traités sur le même pied d’égalité, même si j’admets avoir autrement plus de mal à supporter l’impolitesse et l’inculture des jeunes...

Enfin bref : se redonner une image différente, c’est une façon de se sentir exister, ou du moins de se rassurer. Une preuve ? Il m’arrive souvent de porter un t-shirt tout noir. Il semble ordinaire, classique, et personne ou presque ne remarque qu’il est estampillé « Staff – RICARD ». Oui je sais, je suis un emmerdeur...

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