13 août 2010

Je pensais grogner

Et dire que je pensais avoir envie d’une diatribe, d’un cri de colère récurrent sur l’attitude des internautes, sur l’exacerbation de leurs réactions... Puis je suis tombé sur ça.

Comment décrire ce que j’ai ressenti à son écoute ? Y a-t-il des mots suffisamment appropriés pour décrire ce que ce morceau a réveillé en moi ? Je me voyais déjà pourfendre les fascistes, les xénophobes, le con qui se croit plus malin que la moyenne, l’ordure qui ne respecte rien d’autre que lui-même, et là, Paul Personne joue, et j’oublie toutes mes colères. J’ai remisé mon flingue, il est là, dans sa boîte, bien loin de mes doigts. Paul Personne joue, et je suis simplement à rêver, l’envie de fermer les yeux se fait sentir. J’imagine des situations que je pensais oubliées, je me souviens, je revis le passé, j’extrais de terre trop de souvenirs qui se bousculent et se mélangent. Nostalgie ? Regrets ? Tout est mélangé, et qu’importe ce qu’il se passe autour, je me replie sur moi-même, revivant des moments intenses, enivrants, durs pour certains. Moi, en quelque sorte, couchant enfin sur le papier des instants que j’arrache à mon propre passé.

Il y a ce souvenir, cette fille dont on ne peut que tomber amoureux, avec son sourire encore juvénile, avec la queue de cheval qui ballote quand elle court pour rentrer chez elle. Il y a ces pas sous la pluie, à quelques distances, parce qu’on a pas envie de l’aborder, de peur de ne pas être à la hauteur, ou parce qu’on sait qu’elle ne pourra pas passer à la maison. C’est ainsi. On reconnaît alors la rue, les voitures qui aujourd’hui doivent orner les casses, ou être déjà recyclées, il y a ces vêtements démodés qu’on a portés avec fierté, et ce cartable toujours trop lourd qui tire sur le bras et que l’on maudit d’avoir à trimballer aussi loin de chez soi. Est-ce qu’on l’observe, la traque ? Non, elle, comme le souvenir, on ne le suit pas, il prend le chemin qu’on est tenu de prendre pour vivre, et puis, enfin, quand arrive le carrefour où elle tourne à droite, on continue tout droit. Seul. Enfin, seul, pas tant que ça, car on se sent accompagné d’une présence qu’on aimerait permanente.

Il y a aussi ce moment de solitude intense. Ce moment où l’on est assis dans le train de banlieue, la nuit, seul dans le wagon. La tête posée contre le carreau, je scrute l’extérieur détrempé par la pluie d’un automne qui hésite à devenir hiver. Les halos jaunes sont sales, ils transpirent à travers les gouttes qui glissent sur la vitre. J’entends dans le casque une de ces mélodies tristes où un type parle d’amour, de tendresse, d’abandon. Comme s’il savait ce que cela fait, d’aimer sans avoir la chance de sentir ce sentiment être partagé ! La vie est identique à elle-même, dégueulasse, grise, sentant le reste de sandwich abandonné sous une banquette, l’urine d’un chien qui s’est soulagé sur le quai qu’on vient de quitter, le bitume glacé et souillé d’une existence entre quatre murs. Et l’on se sent bercé, enfin, on espère l’être un peu. Le trajet se prolonge alors, interminable, et l’on fait tout pour ne pas penser au visage de celle que l’on vient de quitter. Encore un échec, habituel, ordinaire, de ceux qu’on vit tous au moins une fois dans sa vie. Mais cela ne donne pas envie d’y songer avec tendresse, on est mélancolique, on se demande où l’on n’est pas assez bon pour l’autre. Puis finalement je descends du train, composte le ticket dans le tourniquet, et je change de morceau, parce que j’en ai marre d’avoir envie de verser des larmes.

Il y a le trou, la fosse qu’on regarde avec circonspection, qu’on analyse dans ses dimensions. On voit une foule d’amis, de proches qui soutiennent les parents du défunt. On entoure le disparu de soins devenus futiles, on salue une boîte fermée avec soin, et j’ai comme une envie de chialer. Ils se tiennent la main, d’autres s’effondrent, et certains se réfugient derrière des lunettes de soleil. Il fait beau, une beauté glauque, un soleil cruel qui aurait mieux fait de se cacher, au lieu de provoquer transpiration et malaises. Et je jette de l’eau sur la fosse, je fais un signe de croix, et mes larmes coulent. C’est laid, cette beauté arrogante qui se moque de chacun de nous. C’est laid, ce sentiment d’être incapable de faire quoi que ce soit pour soulager la peine des autres. Alors on se tait, on serre des mains, on soutient physiquement celles et ceux qui ne peuvent plus résister. Et toute l’ironie de la Vie se voit résumée quand on quitte le cimetière. Chacun de son côté, en emmenant en soi le même sentiment, celui d’avoir échoué quelque part. Où ? Nul ne le sait. Peut-être à dire honnêtement je t’aime, ou à avoir admis sa propre faiblesse. Trop fiers, trop prétentieux, j’ai été de ceux qui tentent de ne rien laisser transparaître. Une façon stupide de se défendre contre la Vie, telle qu’elle est réellement. Simplement brutale, ordinaire, banale de cruauté.

Et puis il y a ce baiser enflammé dont on rêve pouvoir le donner, et qui reste pendu à nos lèvres. Il y a cette étreinte qu’on aurait aimé réussir à rendre plus fougueuse, il y a cette envie d’avoir un gosse qui vous prend aux tripes et qui vous frustre quand un couple passe près de vous. Il y a ce moment de douleur que l’on étouffe, parce qu’il est inutile d’aller se plaindre, parce qu’on se doit d’assumer, parce qu’on se doit de ne pas montrer ses faiblesses. Il y a ces matins où l’on se réveille, épuisé, hagard, où toute chose n’est qu’une source de désespoir. On s’accroche, on serre les dents, jusqu’à la prochaine fois, comme si, par miracle, tout pouvait changer quand on ne fait rien pour. Et puis, enfin, il y a cette voix qui vous dit « Si tu abandonnes, c’est que tu auras choisi de te laisser faire. Tu n’auras alors plus aucune raison de te réveiller ». Et elle aura raison. Alors, pour la détromper, lui prouver que je ne suis ni lâche ni faible, je me lève. Je marche. Je me rase. Je bois mon café. Je me détruis la santé avec ma première cigarette. Je regarde le miroir dans l’entrée. Je suis vivant, bien vivant. Mes souvenirs aussi. Tant pis pour eux.

2 commentaires:

Adrien a dit…

Le guitariste Craig Ross joue d'une façon assez similaire, qui plus est occasionnellement sur une Gibson Les Paul. Sans jouer les fins connaisseurs je pense qu'ils ont des références communes. C'est un article touchant que vous nous offrez encore une fois. J'ai été un peu déçu par vos premiers articles après votre retour de vacances mais je conviens de ne pas
m'arrêter sur une ou deux « divergeance(s) » d'opinion.
Une question : pensez-vous sortir un recueil de vos textes ou un document PDF rassemblant l'intégralité ou une partie de vos
articles ? Bonne continuation, avec tout mon respect.

JeFaisPeurALaFoule a dit…

Que nous soyons divergeants sur certains thèmes me semble parfaitement naturel. Je ne cherche pas à obtenir l'accord, ou les acclamations de qui que ce soit. De ce fait, que cela choque, provoque et agace me convient. De là, à chacun de se faire sa propre opinion, forgée par l'expérience et l'existence.

De ce fait, merci d'avoir réagi et d'avoir mis votre sentiment personnel.

Concernant un recueuil, je ne sais pas encore. Il y a 870 articles sur le site, certains n'étant que des salutations, d'autres des vidéos. Mais qui sait, un jour peut-être vais-je envisager d'en faire le tri, et d'offrir une version imprimable, voire de les faire publier. A ce titre, je pense demander une sorte de "vote" étalé sur quelques mois, basés sur les souhaits de mes lecteurs.

Vous serez donc mis au courant par le site lui-même!

Cordialement,
Votre obligé.