11 août 2010

Brutale séduction

Sous ce titre ne se cache pas du tout une réflexion concernant les femmes battues, même si, dans l’absolu, je trouve qu’on ne traitera jamais assez le sujet. Non, là je songe surtout à la surprenante alchimie qu’il y a entre la violence et le fait qu’elle devienne plaisante pour l’être humain. Comment diable une brute peut-elle devenir attirante ? Comment un monstre, un assassin en série peut-il susciter un amour inconditionnel ? Depuis que la médiatisation des crimes est devenue monnaie courante, avec par exemple Charles Manson (cliquez sur le nom pour voir de qui il s’agit), il est indiscutable que la violence fascine telle une ampoule attirant les papillons de nuit.

Comment analyser cela ? Difficile d’admettre que l’on puisse tomber « amoureux » d’un bourreau, d’un assassin, de lui vouer un culte ! Je pense qu’il y a de quoi réfléchir très sérieusement à notre condition d’être humain. En effet, si nous considérons la vie comme précieuse, et le respect d’autrui comme une règle fondamentale de la vie en société, force est de constater que cet esprit altruiste est à géométrie variable. Donner l’ordre de tuer au front, est-ce une marque de respect de l’humanité ? Devenir bourreau lors d’un bombardement, ou encore tenir le fusil lors d’un peloton d’exécution, sont-ce des aptitudes naturelles à l’homme ? Hélas oui. Nous faisons varier notre moralité en fonction des conditions. Prenez la peine de mort : dans l’absolu, il s’agit là d’un châtiment extrême, atroce, expéditif. Posez la question à votre entourage, vous serez alors confrontés à deux doutes : le premier, de savoir « la peine de mort pour qui ? » ; le second, de vous demander « Seriez-vous alors capable d’appliquer la sentence ? ». Certains iront répondre à la seconde question, sans frémir, un oui irrévocable et dénué de doute. Effrayant.

La violence fait partie intégrante de toute forme de vie. Il faut survivre avant de vivre, il faut résister aux éléments, aux prédateurs, aux « autres » au sens large du terme. Dans une société où la sociabilité est un pilier, cette violence est devenue plus insidieuse. De guerres et duels, il est resté l’agression verbale, la représentation homérique de la violence par les médias et la littérature, et notre exutoire moderne des jeux vidéo permet à beaucoup de s’adonner à la violence, sans avoir pour autant mauvaise conscience. Il est d’ailleurs particulièrement fascinant de voir l’impact du stress et de la violence graphique sur les joueurs : sueur, respiration haletante, tremblements, sursauts lors de moments « effrayants »… Tout l’attirail des réactions physiques qu’on aurait crûes réservées à la réalité, et non à un simple jeu. Cela démontre aussi une capacité à s’impliquer fortement dans les moments de brutalité. Il n’est pas rare, hélas, de voir affluer les témoignages (souvent involontaires) de la part de joueurs dont l’addiction les pousse à tenir des propos haineux, à insulter leurs camarades, surtout en cas de défaite. Exutoire mal assumé ? Plutôt réalité pervertie par des esprits faibles se raccrochant à des victoires éphémères.

Au quotidien, cette violence n’est majoritairement qu’esthétique. On pousse même le vice jusqu’à rendre la chose impersonnelle, notamment à travers les médias d’information. Le journal télévisé, grand messe du repas du soir, s’avère être un expert dans la présentation de la brutalité de manière peu édulcorée : sang sur les trottoirs après un attentat, le cercueil d’une victime sur les épaules des amis et voisins, ou encore la rediffusion en boucle des attentats du 11/09. Est-ce nécessaire ? Notre violence personnelle s’est muée en voyeurisme malsain, où toutes les formes de violence sont réduites à de l’artificiel, du « plat » à travers la télévision… Mais pour certains, cette pseudo fiction finit parfois par devenir la réalité, celle qu’ils veulent mettre en place. Nombre de méthodes d’embrigadements passent par la vidéo, la diffusion perpétuelle d’images sanglantes, de thématiques bien connues, ceci dans le but d’enfoncer dans la tête des recrues le message « Nous défendons une noble cause ».

L’empathie, la passion, l’amour, tous les sentiments forts de l’humanité peuvent être pervertis, car ils sont souvent exacerbés et intransigeants. En usant de l’amour, un jaloux peut devenir une brute, alors que, paradoxalement, il aime profondément sa femme. Une femme, poussée au désespoir par un amour non réciproque, pourra aller jusqu’à tuer l’objet même de ses sentiments. Enfin, la violence retournée contre soi-même est souvent la dernière des solutions, quand toutes les autres ont été épuisées. Nous sommes tous ainsi, fascinés par le pouvoir de la destruction, de la haine, du meurtre. Nous évoquons même la question avec une étrange légèreté, tant nous sommes devenus impassibles devant le défilé des scènes d’horreur autour de nous. La violence urbaine, si elle semble pourtant anormale, n’est qu’un des effets pervers de l’entassement de la foule. Prenez une population, barricadez la dans un périmètre à la réputation nauséabonde. Ensuite, oppressez la de diverses manières : présence policière, discours haineux ou caricaturaux. Enfin, observez ceux du dehors regardant ceux du dedans ; Vous obtenez alors les cités : des jeunes désoeuvrés à qui l’on ne prêtera jamais aucune confiance, à qui la ville n’offre qu’un panier de basket, au lieu de leur offrir des perspectives éducatives et salariales, qui, finalement, en guise d’expression, brûlera des voitures, car ce sera la seule chose que daignera passer les médias. Violence, haine, destruction. Cercle vicieux de la haine réciproque entre le gamin et le bourgeois effrayé.

Finalement, je songe aussi à ces femmes et ces hommes qui épousent des détenus. Loin de moi l’idée de juger de telles relations. Je me demande simplement si, pour certains des condamnés, s’il n’y a pas plus une passion morbide pour les crimes perpétrés par le détenu, plus que pour la personne elle-même. Effrayant ? Juste humain : les grands monstres de l’histoire ont fascinés, et fascinent encore les foules. Je ne les listerai pas, vous les connaissez tous, vous les retenez justement parce qu’ils ont été monstrueux. Aussi grave que cela semble être, c’est un fait indéniable : on ne retient pas les dictateurs, on retient ceux qui ont ajoutés la violence à leur attirail répressif. Et cela a toujours un pouvoir d’attraction sur les plus faibles, ou les plus fanatiques…

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