11 juin 2010

Psychiatrie

Tout d’abord quelques avertissements nécessaires : le clip associé à ce texte est d’un style très « dur », au titre que tant son esthétique que la musique associée (Prodigy – Breathe) ne laissent vraiment pas indifférents. De deux choses l’une : soit vous aimez la musique en question, soit celle-ci agira comme un répulsif très puissant. Je vous laisse seuls juges, car, pour une fois, j’admettrai sans peine que cela puisse vous déplaire.
Le second avertissement concerne l’essence même du terme et du texte à venir : je n’ai aucune compétence médicale pour critiquer, juger ou estimer la compétence ou les méthodes utilisées en psychiatrie. De ce fait, si je commets des erreurs, vous pourrez tout à fait les rectifier dans les commentaires, et ne seront causées que par mon manque de compétence, et non un désir camouflé de déformer une quelconque réalité. Toutefois, sur le fond, nombre des propos soutiendront mes opinions sur ce domaine de la « médecine ». Cela pourra éventuellement choquer, mais qu’importe, j’assume pleinement le contenant et le contenu.

A bon entendeur… Bonne lecture, amateurs avertis !

Que je maudis ces murs éternellement gris ! Non qu’ils soient sales, ou que les lieux soient mal entretenus, ils sont juste peints dans un gris uniforme, glauque, d’une propreté toute hospitalière… Au sens administratif du terme en tout cas. Hospitalité ? Non ! Hospitalisé plutôt ! Je doute que l’on puisse croire dans le sens premier du mot pour parler de cet endroit. D’ailleurs, j’ai un mal de chien à rattacher hospitalité à cet endroit plus digne d’un goulag que d’un refuge décent pour des âmes perdues ; et des âmes perdues, ce n’est pas ce qui manque dans le coin. Entre le type qui mange continuellement des mégots, et qui ne parle jamais, et celle qui déambule sans but entre la fontaine d’eau du couloir et sa chambrée, il y a de quoi faire. Pour certains, les familles pensent qu’il s’agit de l’endroit idéal, un endroit où le proche « déviant » est bien traité, avec dignité et respect. J’ignorais que bourrer de calmants un type psychotique était une chose décente. Ce serait comme annoncer que de farcir les oies au tuyau était un acte de charité. Enfin bon, quelle importance cela peut avoir, puisque le patient ici n’a le droit qu’à une chose : au silence, du moins s’il a des avis négatifs à émettre.

Personne n’a à se plaindre en fait. Nous sommes nourris à heures fixes, les repas valent ce qu’ils valent, tout au plus peut-on leur reprocher d’être de piètre qualité. Ensuite, nous avons de véritables régulations de la journée, comme la prise des médicaments, la visite du médecin traitant, la petite conversation hebdomadaire pour faire un point, et même l’émission de 19h30 après le dîner ! La routine est telle qu’en sortir s’avère pour certains insupportables. Ainsi, n’allez surtout pas troubler certains des malades internés ici, sous peine de les faire entrer dans un état de fureur incroyable… c’est même le pourquoi de la présence d’infirmiers assez solides et au regard évoquant plus un kapo qu’à une aide à la vie en hôpital… psychiatrique. Je ne leur reproche pas, après tout, parmi nous il y a tant des déprimés chroniques, que des types potentiellement très violents, des asociaux, des gens qui sont capables de s’automutiler, ou encore de suicidaires. Alors bon, à eux, on peut pardonner.

Je ne suis pas en prison, si ce n’est chimique. La pilule du matin, celles du midi, avec obligation, bien entendu, de les ingérer. Certains essayent de se faire vomir pour ne pas les absorber, mais c’est peine perdue, ces saletés sont conçues pour agir rapidement ; et puis, au pire, il y a la seringue, l’intraveineuse qui, elle, trouve tout de suite son chemin. Les effets sont divers chez chacun. Depuis la fin d’une phase délirante, jusqu’à l’apathie la plus complète, ces cocktails chimiques sont redoutables, et avec pour but final plus de calmer que de soigner. Après tout, est-ce qu’on soigne les pathologies psychiatriques, ou est-ce qu’on atténue simplement les syndromes ? Certains psychotiques sont « guéris » de leurs voix intérieures, parce que le bon produit ferme le bon interrupteur cérébral, mais ce n’est que trop temporaire. Chez d’autres par contre, on se contente de choisir l’injection plutôt que la camisole. L’hystérie peut vous prendre au dépourvu, alors tout le monde s’observe, se craint à juste titre, et le paranoïaque subit le pire de ses cauchemars : être épié par tout le monde.

Les toubibs ? Il y en a des compétents, qui connaissent une incroyable étendue de maladies, qui saura détecter en chacun de ses patients « son syndrome » bien à lui. Il y en a qui sont même convaincus d’avoir une mission sanitaire, de protéger ceux du dehors, et de soigner ceux du dedans. Et il y a les autres, ceux qui, après une bonne décennie de désillusions voire même de drames violents, se contentent des petites réussites au quotidien. Peu de temps à passer avec chaque patient, des rythmes de travail rapides, des difficultés à tout concilier, bref le toubib finit toujours par baisser plus ou moins sa garde… ou alors il devient presque victime de névroses qu’il n’aurait jamais eues en temps normal. Comme quoi, celui qui prétend que la folie n’est pas contagieuse n’a pas mis les pieds dans un H.P… Pour ma part, c’est une certaine forme de complaisance qui m’incite à les écouter, à leur accorder quelques instants de ma routine, de sorte à tant eux que moi, occuper un peu de temps dans la journée.

Bien sûr que mon comportement et mes réflexions ne sont pas tolérables au dehors. Ils en ont jugés entre experts, c’est dire à quel point ils ont raison ! Je suis ce qu’ils appellent « un danger pour la civilisation et la vie humaine ». Barbare ? Selon quel critère ? Ne sont-ils pas des sauvages à nous intoxiquer et nous détruire à petit feu ? Ne sont-ce pas eux, les barbares, quand ils réduisent notre volonté à néant ? Ne sont-ils pas cruels en nous faisant croire à la liberté de la cour de promenade, alors que finalement, nous sommes tous des détenus mis en prison sans jugement pour la plupart ?
Je suis un monstre asocial, une déviance intolérable. Je n’éprouve pas ce besoin pourtant naturel de cohabiter avec des êtres comme moi. D’ailleurs, « comme moi » est un abus de langage, car nous ne nous ressemblons que physiquement. Ils refusent, contrairement à moi, d’admettre que nous sommes une engeance, une erreur d’un « Dieu » aussi cynique qu’incompétent. Fou ? Je ne voue aucun culte à la valeur de la vie humaine, je nous trouve par trop orgueilleux que de prétendre à avoir plus de valeur qu’un chien par exemple. Et puis, c’est aussi et surtout pour cela que je suis là. Je n’ai aucun remords, aucune forme de culpabilité pour mes crimes contre la société. Elle, lâche, indolente, a préféré m’enfermer dans une cellule capitonnée et jeter la clé au loin. Est-ce une solution ? La plupart des autres patients ne sont rien de plus que des détraqués par la vie, énormément sont brisés par un monde qui n’éprouve aucune pitié pour les faibles et les « différents ». Et les médecins m’étudient, en espérant réussir à me faire dire des choses sur mes fantasmes et mes plaisirs. Imbéciles qu’ils sont : qu’ils s’auscultent eux-mêmes, qu’ils étudient leurs propres déviances, car, au fond, tout être humain est déviant par essence. La seule question qui se pose à chacun de nous est de savoir où est la frontière entre désir et acte.

Je suis passé à l’acte. Je suis un monstre. Je l’assume. Ne me laissez plus sortir, sinon je recommencerai…

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