20 avril 2010

Froid dans le dos

Le principe de simulation, de reproduction « virtuelle » de l’existence, des mécanismes divers et variés que l’on peut rencontrer dans la vie, fait partie de l’essence même de l’informatique. Ainsi, c’est grâce (ou à cause) de l’existence de l’ordinateur que nombre de scientifiques se sont attelés à développer des modèles mathématiques tels que le jeu d’échecs, les simulations de vol, ou encore de manière plus ludique les simulations de vie. Or, la modélisation comportementale se heurte généralement à l’irrationalité humaine. Ces mots barbares définissent une règle élémentaire : l’être humain peut se comporter de manière totalement désordonnée, sans qu’aucun modèle mathématique puisse l’expliquer. En effet, qu’est-ce qui définit l’apparition de mouvances politiques extrémistes, l’émergence des religions, ou l’effondrement d’un modèle économique ? Il n’y pas réellement d’équation, si ce n’est peut-être une alchimie fragile conjuguant les individualités regroupées dans le concept de « population ». Par exemple, si une catastrophe naturelle se produit quelque part, la majorité des individus migreront. On analysera le phénomène migratoire comme un « flux », et non comme une somme d’individualités. Seulement ce modèle ne tient pas compte de celui qui refuse de quitter sa terre, sa maison, son existence.

Nombre d’études s’appuient sur des simulations plus ou moins complexes, ceci afin d’identifier des objectifs à atteindre. Par exemple, l’augmentation de la pollution mondiale est analysée en étalonnant l’amélioration des conditions de vie dans les pays émergents, ainsi que par la baisse supposée de la pollution individuelle grâce aux technologies. Bien entendu, l’idée est intéressante, notamment quand il s’agit d’alerter le monde sur les risques que nous prenons vis-à-vis de notre croissance. La météorologie s’appuie sur ces mêmes préceptes : définir des modèles mathématiques que l’on affine pour « imaginer » un résultat potentiellement fiable sur plusieurs jours. Toutefois, notre quotidien démontre sans conteste que la modélisation à outrance ne fonctionne que très partiellement : qui n’a pas été confronté à l’averse, alors que la météo annonçait un grand beau temps ? C’est là où il y a donc une forme de doute à avoir sur la simulation, c'est-à-dire que nos projections ne restent que trop étriquées face à la complexité des modèles à simuler.

Ce qui me terrifie, c’est que, non content de reproduire des schémas pour la météo, le développement des cellules, ou encore les mouvements de troupes dans une simulation militaire, l’informatique sert aujourd’hui à modéliser les comportements humains : simulation de vie individuelle (les Sims), de vie en communauté (la série des Sim City), simulation d’animaux virtuels (« Pets »), l’aspect ludique y est alors mis en avant en suggérant que nous pouvons changer l’existence en ajoutant, modifiant, ou supprimant des critères de vie pour nos avatars virtuels. Aussi simpliste et amusant que cela puisse sembler, il ne faut surtout pas oublier ce qui fait le fondement de ces « jeux » : la modélisation du relationnel humain. L’essentiel de ces jeux, c’est de parvenir à la richesse individuelle, ou à la plus forte population possible dans une ville. Dans un cas comme dans l’autre, tout doit être pris en compte : relations économiques (travail), sociales (loisirs), environnementale (pollution, modernisme, déplacements…). Et le résultat est effrayant : le plus efficace, ce n’est pas d’amener le personnage ou la société à être divertie, mais à vivre en ruches dignes des pires cauchemars dictatoriaux.

Regardez la vidéo à la fin de ce post, et vous allez saisir la catastrophe potentielle : le jeu est Sim City 3000, où vous jouez le rôle d’un maire. Le but est, bien entendu, de faire croître votre cité, tout en offrant à vos habitants les meilleurs conditions de vie possible : pas de chômage, pas de pollution, des loisirs, de la culture, des infrastructures adaptées. Pourtant, on pourrait croire qu’un citoyen sera satisfait en disposant de parcs, de loisirs en pagaille… mais le modèle appliqué de la mégapole froide et hyper rationalisée est appliqué par le joueur de la vidéo, et ça marche ! Criminalité nulle, chômage négligeable, pas de pollution… mais une architecture propre à faire trembler d’horreur tout être humain un tant soit peu raisonnable. Vous me répondrez qu’il use d’un travers du moteur de calcul du jeu, qu’il ne s’agit là que d’un jeu… Mais songez y : ces reproductions, ces modèles d’urbanisation sont déjà utilisés avec un certain succès, et les problématiques virtuelles (et leur résolution) sont les mêmes que celles rencontrées dans le monde réel. Là, on obtient donc le stade ultime de l’urbanisme : hyper sécurité, hyper atrophie de la cité, absence totale d’humanité dans le fonctionnement, une ruche, une véritable fourmilière humaine, sans sentiment, sans crime, sans trace de déviance. Impossible ? Pas si sûr, étant donné que l’homme peut très facilement se voir endoctriné et formaté pour entrer dans le moule du conformisme.

Un jeu qui alerte sur les dérives de notre civilisation ? Après tout, n’est-ce pas le jeu des échecs qui définit, quelque part, l’art de la guerre ? N’est-ce pas aussi les jeux de cartes qui nous rappellent au rôle de l’aléatoire dans l’existence ? Je peux paraître paranoïaque, mais il me semble que nombre de désastres actuels dans les mégapoles ont déjà été décrits par les auteurs d’anticipation : pollution, criminalité galopante, ultra violence, perte de valeurs des habitants, pour finir par un effondrement économique et moral. Le jeu est donc, à mon sens, une simulation capable de nous alerter sur un futur potentiel. Un futur dont je ne veux surtout pas.

Cette vidéo est à méditer.


Sinon, voici ce que sont les Sims et Sim City (pour ceux qui ne connaissent pas du tout).
Les Sims sur Wikipedia
Sim City 3000 Sur Wikipedia
PS: Lisez les articles connexes pour Sim city, la description faite sur Wikipedia étant trop restreinte à mon goût.

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