19 février 2010

Coup d'état au Niger

Sans pouvoir me prétendre expert de la situation africaine, et encore moins de la situation nigériane, j’ai été interpellé non par le coup d’état militaire, mais par les réactions internationales. C’est d’autant plus important à analyser que le Niger est dans une phase que trop connue par les nations d’Afrique : le contrôle du pouvoir par une junte.

Le rappel des faits est simple : le président nigérien Mamadou Tandja a été destitué par la force, et le gouvernement dissout par la junte. Deux jours après la prise effective du pouvoir, la gouvernance militaire a annoncé ne pas avoir éliminé ni les ministres, ni le président déchu. Apparemment, les militaires ayant fomenté le coup d’état font partie du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD), et le but avoué de l’opération serait donc de rendre le pouvoir au peuple, ceci par la voie démocratique du vote. Contradictoire ? Pas crédible ? De notre point de vue, aucun putsch ne saurait redonner une quelconque légitimité au peuple, or la situation semble tout de même plus complexe. Et c’est un point essentiel à identifier avant de réagir négativement aux déclarations du porte-parole de la junte.

L’ex président Tandja était déjà sur la sellette, du fait qu’il avait prolongé sa présence au pouvoir au-delà de son mandat, D’ailleurs, des élections législatives supposées se tenir en Octobre de l’année dernière, avaient été boycottées par l’opposition du fait même que le mandat présidentiel avait été arbitrairement prolongé, ceci contre toutes les possibilités légales du pays. De ce fait, difficile d’identifier clairement si le dit ex président n’était pas lui-même un dictateur en devenir, plutôt qu’un « pauvre » président déchu par des dictateurs en uniforme. Il est également à noter que les officiers et soldats lancés dans l’opération ont été commandés par le commandant Salou Djibo, un officier qui a servi sous le drapeau de l'ONU dans des missions de maintien de la paix. Alors, la question est donc encore plus épineuse : comment un serviteur de la paix sous mandat de l’ONU aurait pu tourner casaque pour devenir un nouveau tyran sur le continent Africain ?

La situation semble déjà plus stable. Entre méconnaissance du dossier, le manque d’information relatant les faits, et en plus une véritable campagne de désinformation des anciennes puissances coloniales que trop mouillées dans la corruption et le maintien de dictatures, il me semble plus que délicat de s’engager sereinement dans un soutien ou une critique de l’action militaire. Que cela suscite des inquiétudes est légitime, que cela provoque un rejet irrévocable et une critique absolue me semble déjà moins judicieux. Qu’est-ce qui dérange l’union Africaine, l’union Européenne et la France ? Que leur interlocuteur ne soit plus celui qui leur facilitait la tâche économique et stratégique ? Qu’il y ait potentiellement un pouvoir fort pouvant facilement rejeter les injonctions d’une communauté plus intéressée par les débouchés économiques que par la situation sociale locale ? C’est encore plus écoeurant que les médias internationaux se soient lancés dans une campagne de dénigrement, en prétendant qu’il y avait quelque chose de prévisible. Qui dit prévisible dit explicable, ce qui amène donc à se demander s’il n’y a pas là une contradiction entre « Pas de coup d’état » et un tacite « même s’ils ont de bonnes raisons ».

Je suis bien entendu opposé, moralement du moins, à ce genre de coup de force, ceci non parce qu’il est illégal, mais parce qu’il n’aborde pas la problématique d’un soutien populaire. Tant que je n’aurai pas la certitude que les Nigérians étaient derrière ce coup de force, a minima moralement, je ne saurai cautionner la destitution d’un chef d’état. Par contre, je pose des questions qui ne sont, pour l’heure, pas abordées par nos médias.
Premier point : Les origines de la décision ne sont-elles pas issues d’un gouvernement devenant dictatorial ?
Second point : Ne devrait-on pas immédiatement proposer un contrôle de l’ONU dans le pays, et observer la bonne volonté de la junte ? Si celle-ci accepte cette présence pour réorganiser de vraies élections libres, ne pourrait-on pas, à terme, penser que l’action était donc devenue nécessaire ?
Troisième point : quels sont les intérêts internationaux au Niger pour que le rejet soit immédiat ?
Quatrième point : Il ne me semble pas avoir perçu plus de vagues médiatiques que cela lorsque Tandja a prolongé arbitrairement son mandat, alors que les médias abordent la question en rappelant que la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) avait suspendu le Niger à cause de cette action, et que l'UE avait gelée son aide au développement économique pour cette même raison.
Cinquième point : quels seront les décisions économiques et politiques prises contre le Niger si la junte tarde à mettre en action ses promesses ?
Dernier point : Est-il légitime d’isoler une nation, et surtout son peuple ?

La présence des dissidents Français au Niger est assez importante, et l’importance du pays pour la France n’est plus à démontrer. En effet, le Niger est la source pour moitié de l’uranium exploité dans nos centrales nucléaires. De là à voir une relation de cause à effet dans la réaction profondément « colonialiste » de l’état face à la destitution du président, il n’y a qu’un pas qu’on peut franchir assez facilement. Jusqu’à preuve du contraire, avoir un chef d’état « sensible » aux arguments économiques (ou autres) est plus simple à gérer qu’un élu (ou un dictateur) se préoccupant d’autres intérêts (pouvoir ou le peuple… tout dépend). Je suis donc perplexe et peu satisfait d’une réaction aussi rapide et équivoque. Le Niger, ancienne colonie Française, doit être respectée comme état indépendant, et la France n’est pas vraiment en position pour donner des leçons sur la conduite à tenir. Je doute que la France ait été motrice dans le gel des avoirs Européens, tout comme je suis plus que mal à l’aise face à l’attitude du Quai d’Orsay.

Espérons donc que, d’une part, la junte tienne ses engagements démocratiques, et donc fasse taire les critiques internationales, et que, d’autre part, cette même communauté fasse acte de bienveillance face à l’hypothétique démocratie qui pourrait en résulter. Cependant, j’estime qu’il y a matière à inquiétude. L’économie locale est tributaire d’investissements et d’aides qui ne parviennent que partiellement aux habitants, et j’ai les plus grandes réticences à croire que ce système de république bananière puisse réellement disparaître au profit d’un système économique raisonné. Notons enfin qu’il y a une véritable délicatesse d’une telle mutation pour la France et consoeurs : s’il fallait payer le juste prix des matières premières extraites, est-ce que le Niger ne deviendrait pas un véritable problème pour ses clients ? Il me semble improbable que les employés des mines extrayant l’uranium soient payés au tarif salarial Français, tout comme je suis convaincu que nombre de passes droits ont permis de maintenir des coûts bas d’extraction, ceci en trichant sur la sécurité, l’équipement, et les salaires. En conséquence, je souhaite au Niger de prendre les capitaux qu’elle mérite, ceci grâce à la démocratie et l’économie de marché, et que tous les acteurs locaux aient enfin une juste rétribution de la matière hautement stratégique qu’elle vend sûrement à vil prix à ses clients.
Article sur lemonde.fr du 19/12/2010
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