23 décembre 2009

Evolution sociale

Nous sommes autant d’âmes qu’il y a d’humains sur la Terre, et pourtant nous errons comme si nous en étions dépourvus. Plus le progrès technologique avance, moins l’Homme se préoccupe de savoir ce qu’il est supposé être, et moins il s’inquiète de ce qu’il doit à la communauté. Nous vivons, du moins nous prétendons le faire, et finalement, au coucher du soleil d’une âme, on ne peut que se demander si l’on a traversé la vie correctement, ou sans but véritable.

L’impartialité voudrait qu’on analyse froidement ce qu’est la trajectoire d’une vie : naître, grandir, s’instruire, faire preuve de curiosité, procréer, et dispenser des idées à nos descendants de sorte à ce que le progrès soit constant. Or, ces différentes étapes dépendent de ceux qui nous précèdent, qui eux-mêmes ont été pétris et modelés par leurs géniteurs. Et là, légitimement, on ne peut que douter du bien fondé du progrès supposé. Par peur d’autrui, par paresse, ou par peur du pouvoir en place, nous inculquons des clichés à nos enfants, qui finiront par disperser les mêmes idées que nous. En ce sens, nous ne faisons qu’acquérir qu’un bagage perpétuel fondé sur la xénophobie, une certaine idée du monde, qui, mine de rien, est toujours teintée d’un passéisme somme toute malsain. Le « c’était mieux avant » n’est pas que de la nostalgie, il dénote aussi et avant tout une crainte du changement. Le conflit des générations est donc à prendre avec la plus grande prudence. Quand mes parents abordent la question du virtuel et de l’informatique, ils ne voient pas d’un très bon œil la délocalisation de la communication, pas plus qu’ils n’apprécient que le média virtuel prenne le pas sur les relations physiques, et je les comprends. A force d’être inquiétés par les médias qui diabolisent le Web, d’entendre parler des gens devenus autistes à cause du réseau, je me dois de les comprendre et de respecter leurs opinions, même, souvent, elles heurtent mon regard « frais ».

Nous nous individualisons avec un entêtement rarement atteint jusqu’alors. Sans nostalgie, j’affirme qu’il y a eu un nombre d’étapes distinctes dans la société humaine. Par analogie, je les vois comme des moments de l’existence d’un enfant : la phase balbutiante, la phase parlante, et la phase adulte.
Concrètement, la phase balbutiante est celle où l’humanité n’était que peu éduquée, et seuls quelques érudits portaient la connaissance dans leur bagage social. De fait, la tradition orale, garnie par les religions, les restes de traditions païennes, et l’influence forte des systèmes de classes faisaient que la réflexion individuelle était trop peu indépendante pour venir de la majorité silencieuse. A contrario, ce mode d’existence imposait un fonctionnement communautaire, où chacun était tributaire de son voisin. Le village était donc un microcosme isolé des autres, et le fait de voyager était soit une obligation (réfugiés de la faim ou des guerres par exemple), soit une chose accessible qu’aux riches.
La seconde phase est parlante, c'est-à-dire que, graduellement, le niveau d’éducation autant que le pourcentage d’enfants scolarisés ont changés la donne. C’est ainsi qu’on put voir émerger des penseurs issus de la foule, naître des plumes merveilleuses chez les ouvriers, et créer aussi des mouvements politiques contestataires. Les révoltes précédentes étaient dictées par la réaction face à la misère, les suivantes eurent leurs idéologues, leurs ouvrages clé, et leurs slogans. En l’absence de médias dynamiques, la presse se développa, l’écriture devint un moyen courant de communication. L’apogée de ce mode de fonctionnement fut les dernières heures du monde avant l’avènement du réseau Internet. On écrivait un courrier, on le postait. Aujourd’hui, on rédige un message informatique, et on l’envoie dans l’instant.
La dernière phase est l’adulte que nous sommes supposés approcher. En effet, l’ère de l’informatique omniprésente et indispensable n’est plus un fantasme, c’est une réalité quotidienne où chacun est tenu d’user (et même abuser) du réseau. Un travail se cherche par Internet, on envoie des mails à ses contacts, et l’on va même jusqu’à téléphoner à travers son ordinateur. Mais est-ce un mal ? On pourrait suggérer qu’il s’agit là d’un progrès majeur, que chacun a accès à l’information, et qu’on peut alors tisser des réseaux d’opinions plus facilement que jamais. Or, paradoxalement, la sociabilité n’est pas l’aspect principal du Web, bien au contraire. Anonyme derrière un pseudo, l’utilisateur est donc plus libre de mentir, tricher, et se créer une identité qui correspond plus à ses fantasmes qu’à son quotidien. Psychologiquement, la problématique est triple : sans identité, point d’existence ; sans vérité, point d’existence, sans mensonge, point de contact. On se bâtit des « contacts » à travers la mythomanie, et, de peur d’être découvert, on évite toute rencontre avec le tiers qui nous voit tel qu’on se montre, pas tel que nous sommes.

Nous vivons de plus en plus nombreux sur des surfaces de plus en plus restreintes, et cela nous isole les uns des autres. La ville est devenue un dortoir, l’homme un animal mécanique qui s’empresse de vivre pour travailler, et non le contraire. Culturellement, nous ne nous intéressons plus à la culture, alors que nous lisons de plus en plus ! Paradoxal, le Web force à lire, et ceci aux dépends de la culture. La maltraitance des langues, associée à l’émergence des cultures poubelles (« merci » les blogs, merci les sites sans fond ni forme qui prolifèrent, merci les émissions décérébrant le spectateur), font du Web non pas un espace de société, mais un système assez anarchique. Et pourtant, j’aime à me rassurer en lisant certains sites qui s’opposent à cette logique : plumes agiles, réflexions riches, discussions animées mais polies, bref des îlots de progrès dans un océan de dégénérescence.

J’ai peur pour notre avenir : nous sommes en train de créer des asociaux, des gens qui considèrent les autres humains avec crainte et mépris. L’histoire a pourtant démontré le danger de craindre la différence, l’histoire a également prouvé que la haine naît des frustrations et des comportements nombrilistes. Le fascisme renaît de ses cendres, on élit des gouvernements populistes et vantant les attitudes totalitaires, et chacun se flatte du statu quo. Est-ce la bonne façon de raisonner ? C’est une folie, car c’est le meilleur moyen d’autoriser les pires méfaits, le tout vêtu du costume propre de « moralité ». Espérons que la culture et l’enrichissement personnel redeviennent de véritables objectifs. Les lumières permirent la création de l’encyclopédie. Espérons que nous ne soyons pas vus comme une période précédant un obscurantisme de masse…

Aucun commentaire: