23 octobre 2009

Serpillière

Bien des tris simples sont faits sur l’humanité : les riches et les pauvres, les cons et les autres, ou bien encore la force et la faiblesse. A mon sens, je définirais le découpage de l’humanité entre ceux qui se font piétiner, et ceux qui essaient de piétiner les autres. Aussi cynique que cela puisse paraître, écraser son prochain fait partie intégrante de la nature humaine, d’autant plus dans notre société qui s’appuie sur le principe de compétition. Etre le meilleur, se dépasser, être efficace, démontrer, prouver, toutes ces notions sont toutes liées à l’obligation tacite de dépasser l’autre plus que soi-même.

C’est amusant, ce besoin de revendiquer la performance. Nous décorons les militaires, les sportifs et même les artistes, et nous leur donnons une valorisation de leurs actes par de la fanfreluche. Napoléon, dans son génie, a dit un jour (de mémoire) « Les guerres se gagnent avec des médailles », et c’est d’autant plus exact que l’homme aime à être flatté ! Eh oui : donner une décoration ou un diplôme, c’est avant tout valider une étape dans la détermination individuelle. Individu ? Individualité ? Les deux mots clés de l’Homme ! Nous sommes forts parce qu’individuellement nous le sommes un peu, et le groupe cumule et émule les forces individuelles. Ce qui devient caricatural, c’est l’impénétrable bêtise qui arrive quand on refile la légion d’honneur à des braillards, des agités se prenant pour des acteurs ou des philosophes, ou encore quand on parle de « chevalier des arts et des lettres » pour certains artistes qui ne connaissent rien aux lettres ni même à l’art. Mais il faut flatter, encore et encore, de manière à convaincre le bétail qu’il est possible de se dépasser et d’être reconnu.

Combien de personnes acceptent, sans broncher, de se faire marcher dessus ? Nombre de salariés, d’ouvriers et de gens dans le domaine privé, se laissent littéralement piétiner par leur entourage familial ou professionnel. Pourquoi ? Parce qu’être soumis, c’est confortable, facile et cela ne nécessite pas d’effort intellectuel. Cette majorité dormante aime à se conforter dans ses habitudes, au point que les faire changer se révèle impossible. Prenez cette masse d’insatisfaits de la politique qui ne votent jamais, qui critiquent que du bout des lèvres, et qui répètent béatement les discours officiels. Aller contre la masse, c’est faire preuve d’autonomie et d’initiative, chose éminemment dangereuse et pénible. L’Homme peut jouer les serpillières, s’en contenter même, ceci du moment où cela ne porte pas atteinte à son mode de vie.

Vous doutez de cette soumission ? Observez donc la foule ! Elle est très représentative de l’acceptation d’abominations et d’infamies, et ne se rebelle que quand l’individu est touché. Les manifestations pour le pouvoir d’achat ? NON ! Manifestation pour SON pouvoir d’achat. Manifestations contre l’Europe ? NON ! Manifestations POUR ses intérêts propres. Les sondages en sont une manifestation ahurissante : combien de gens votent par sanction sans réfléchir au sujet initial ? Combien s’interrogent réellement sur leurs actes ? Ils préfèrent que ces réflexions soient sur le plan personnel plus que sur le plan global. J’irais même plus loin : la foule se fout d’elle-même, elle se préoccupe de chaque élément pris séparément. J’ai, par exemple, abordé l’horreur de l’esclavage moderne. Combien se posent la question de la provenance des produits manufacturés ? « Tant que ce n’est pas cher… » Sous entendu, « je m’en fous ». Atroce ? Non. C’est de la soumission à la loi du marché, encore une facilité intellectuelle, au titre qu’ils laissent les grandes questions aux autres, ceux qu’ils élisent, ceux qui, en théorie, sont tenus de réfléchir à leur place.

Ceux qui piétinent sans vergogne sont ceux qui comprennent que trop bien le système. Sois fort, montre les crocs, tu seras nécessairement plus redoutable que l’agneau qui compte sur sa bonne étoile. On ne saurait trop croire à l’illustre stupidité du « Promotion à la qualité ». La promotion, elle s’obtient généralement soit parce que personne n’en veut, soit parce qu’on montre les dents pour l’obtenir. Dans l’absolu, l’ascension sociale se fera toujours au détriment de quelqu’un. Qui peut croire qu’une progression dans une entreprise puisse se faire sans prendre le poste d’un tiers ? Chacun est envieux de l’autre, ceci incitant chaque élément à se dépasser, et potentiellement à marcher sur l’autre. J’aime à dire que le travail n’est pas un lieu pour faire du copinage, mais que cela n’exclue pas pour autant d’avoir de bonnes relations. Je le revendique même : Il faut savoir mener sa barque, quitte à riposter en cas d’assaut. Les situations conflictuelles, contrairement à bien des idées reçues, mènent souvent les entreprises qui savent en jouer, à une amélioration de la productivité individuelle. Pourquoi ? Mettez vos équipes en compétition avec une carotte en bout de piste, et observez donc les serpillières ramper et récurer pour obtenir le fruit de leurs efforts. « Méritocratie » ? Pas du tout ! C’est juste une façon d’inciter les plus « forts » à manger du faible.

Je crois, au final, que nous sommes faits pour nous entredéchirer. Cela nous arrange d’avoir des barrières morales, car elles nous préservent personnellement, alors qu’on prétend les avoir pour protéger l’autre. L’audace est l’apanage des grands, notamment des bourreaux et autres dictateurs. Avoir le « courage » d’être au-delà des frontières morales et légales, c’est une sorte de défi, d’orgueil et de stimulation. Croyez-vous sincèrement qu’un politique puisse prendre un poste élevé, juste par haute estime de sa fonction ? Laissez moi rire. L’ambition fut et sera toujours un fabuleux moteur, aussi malsain que bénéfique. Quand des entreprises progressent à cause de la concurrence, c’est que ces sociétés veulent dominer le marché, et non le partager. Et l’Homme, à son échelle, fonctionne de la même manière. Espérons simplement qu’on saura, un jour, se servir de cette détermination pour quelque chose de plus constructif que des génocides, ou la conception d’armes bactériologiques…

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