22 septembre 2009

Saint bifton, pliez vous pour moi

Travaillez bonnes gens, engendrez des richesses, faites acte civique en produisant ! Il semble donc qu’une nouvelle foi ait émergée des méandres torturés de l’esprit humain : celle du Saint Argent. Pourtant, comme toute religion qui se respecte, il lui faut quelque chose sur quoi s’appuyer, un socle littéraire suffisamment explicite et complet pour que le croyant (comprendre l’abruti de base comme vous et moi qui, soumis, baisse la tête face à son autorité) soit confirmé dans ses espoirs. Vous trouvez que l’argent n’est pas une religion ? Mais observons donc la différence entre une religion et le capitalisme !

Tout d’abord, prenons les écrits. Admettons un ouvrage sacré, admettons également qu’il soit possible de discuter et tergiverser dessus. N’est-ce pas le propre de la Bible que d’être une base concrète du catholicisme ? Oui ? Alors quelle est la différence avec le code civil ? L’un comme l’autre dictent des règles de bonne conduite, l’un et l’autres expliquent concrètement comment gérer les crises (même si le premier a la mauvaise tendance à abuser de la métaphore). Alors, les entreprises tenues par le code de la fiscalité, ne sont-elles pas des adeptes du dogme du Saint Argent ? Hé oui ! Le fiscaliste est son curé, la gestion des impôts son Vatican.

Ensuite, certains me diront que la foi est quelque chose de spirituel, et basé sur la satisfaction de l’âme. Ah ? Parce que le boursicoteur ne ressent pas cette même satisfaction quand il s’enrichit ? N’est-il pas vrai que nous plaçons de l’espoir quand nous épargnons ? A mon sens, la foi fait épargner sur l’âme, le Saint Argent nos deniers. Question de pragmatisme je devrais même dire, car il n’est pas étranger aux dogmes que de devoir financer les offices… La quête, les dons volontaires, tout ceci n’a rien d’artificiel ni même d’insultant. L’église acceptera tout aussi bien les kopeks du larbin des champs, que les dollars du trafiquant s’achetant une contenance dans sa communauté. L’argent n’a pas d’odeur, il est juste utile à tous…

La moralité ? Quelle plaisanterie ! L’amoralité du commerce est justement sa plus grande force. Se moquant des convenances, le Saint Argent se prête à toutes les contorsions sans jamais se briser : achat, vente, spéculation, trafics même, le marché ne s’encombre pas d’idées saugrenues concernant la morale et la bienséance. Les fois, elles, s’amusent au contraire à en instaurer tellement qu’elles en deviennent pathétiques. L’abstinence, n’est-ce pas un contrôle tacite des officiers du dogme ? Les propos moralisateurs sur tous les domaines, n’est-ce pas là un frein au progrès ? La foi peut être rétrograde, alors que le Saint Argent vit avec son temps. Qui est moteur du progrès ? La pièce de monnaie, ou bien celui qui la ramasse ?

Oh évidemment, c’est cynique que d’annoncer ainsi un parallèle fumeux entre la religion et l’argent, mais continuons sur la lancée. Que fait-on pour s’offrir l’absolution ? Les magouilleurs paient des impôts et même des amendes, le pécheur paiera soit en s’achetant une conscience, soit en jouant le repentir tout sauf sincère dans le confessionnal. Quelle différence ? Nous payons pour avoir la paix, et la paix s’acquiert à vil prix. Le mensonge est un pécher, la vérité une donnée bien volatile. Que celui qui n’a jamais douté du déluge, de la marche sur l’eau, ou de tout autre miracle me jette la première pierre ! Il s’agit, bien entendu, de métaphores, mais combien les comprennent comme tel ? Chacun verse donc son obole spirituelle (prières, privations…) ou son obole pécuniaire (TVA, RDS, CSG…).

Et puis enfin, n’est-ce pas une industrie que de s’approprier un maximum de clients ? N’est-ce pas le précepte fondamental de l’entreprise ? Donne au travailleur sa fiche de paie, l’hostie au bigot dominical. L’un comme l’autre attend l’instant de la récompense, avec le réflexe pavlovien qui va bien. Ah, la douce confirmation d’être un bon ouvrier, la savoureuse impression d’être un bon chrétien…

Ben merde alors ! Nous vénérons donc l’argent comme l’on peut vénérer un crucifié ? Somme toute, l’Homme se raccroche à ce qu’il a de plus fondamental, et aujourd’hui c’est la monnaie qui est son support le plus sûr. La preuve : la crise a mis à mal cette certitude, ce qui rend les gens tout particulièrement morose, et fait ressurgir les vieilles croyances : en politique les nationalismes les plus dangereux, et en religion les fondamentalismes les plus inquiétants.

Alors, Saint Argent ou Saint autre chose ?

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