15 mai 2009

Bruit de respiration

On se soucie aisément de bien des choses futiles parce qu’elles sont notre quotidien, et pourtant, là, sous notre nez, nous avons tous de quoi nous repentir de notre comportement égocentrique. Vais-je me lamenter sur le sort qui frappe, encore et encore, ma famille ? J’ai autre chose à faire que d’attirer les larmoyants messages de soutiens d’inconnus qui ne se priveront pas de jouer « l’amicale des pleureurs professionnels », le tout à la sauce Internet. De fait, contentons nous d’oser la vérité, dévoiler notre puérilité au plus grand nombre, et d’accepter, sans fard, ce que nous sommes.

Nous nous contentons bien trop souvent de survoler les choses, tant par peur de la réalité que par nécessité de choisir des priorités. C’est ainsi : l’Homme n’a pas la place requise en lui pour gérer son humanité. Suis-je meilleur ou pire que mon voisin à ce sujet ? Je l’ignore, et en toute franchise, je ne lui jetterai pas la pierre. A celui qui, malade de longue durée à cause d’un crabe lui bouffant les entrailles, je ne ferai pas la leçon. Tu as déjà suffisamment à craindre de ton destin maudit pour qu’en plus je vienne te secouer concernant ton désintérêt de la cause de l’Homme. Pourquoi aller se préoccuper du sort des gosses soldats quand, chez nous, l’ivresse, la drogue et la violence conjugale emplissent les tribunes des feuilles de choux spécialisées dans le malheur ordinaire ? Quand j’ai le déplaisir d’ouvrir un de ces torchons, c’est pour y lire avec tristesse la dérive d’une jeunesse qui ne se reconnaît pas dans une société formatée et abêtie par l’intolérance, pour y sentir avec douleur le désintérêt des gens pour la famille, et puis pour s’assurer de notre incompétence notoire à préserver les fondamentaux de l’existence. Personne ne s’offusque quand on apprend que des personnes âgées décèdent seules, alors qu’ils ont une famille, personne ne semble touché par la brutale vie de celui qui finit sous les ponts. Qu’importe, chacun est au chaud, assuré de ses choix par une télévision vouée à la gloire de l’argent.

Il y a des âmes qui s’usent, d’autres qui se préservent, et certaines qui se donnent intégralement à une cause. Le malheur n’est pas réfléchi, il vise sans se demander si l’accumulation peut pousser au suicide, il ne s’inquiète pas des conséquences pour ces mômes voués à une vie d’errance sous le label DDASS. Alors, parfois, derrière les gestes ordinaires d’un anonyme, on découvre la richesse d’un cœur qui s’acharne à améliorer le quotidien de celles et ceux qui, par les travers de la Vie, finissent démunis et solitaires. Solidarité ? Soutien moral ? Rares sont ceux qui, malgré leurs propos pétris de bonnes intentions, dépassent le stade de la déclaration. On critique la langue de bois des politiques, on conspue ceux qui trichent et arnaquent le système, mais, au fond, nous sommes tous des Crozemarie en puissance. Ah, la conscience satisfaite du don par chèque à une association… Quel honneur de se revendiquer donateur ? Aucun, si ce n’est d’être aussi prétentieux que pédant. Donner, ce n’est pas en attendre les lauriers, c’est avant tout être entier, décidant sans incitation de faire au lieu de parler.

Pourquoi le silence est-il souvent le remède à la douleur ? Combien de mères se sont usées à la tâche pour que les enfants ne pâtissent pas de la misère quotidienne ? Pourquoi a-t-elle choisie d’être en guenilles pour que sa fille puisse entrer dans une école réputée de qualité ? Est-elle héroïne, bonne mère, ou simplement humaine ? Le fondement même de la nature humaine, ce n’est pas, contrairement aux phallocrates épris de masculinité, une notion de domination de l’Homme sur la nature (et homme au sens masculin du terme). Ce n’est pas plus notre capacité de raisonnement qui fait de nous des humains supposés être dotés d’une âme. Non. La nature humaine, c’est être foncièrement tangent, hésitant entre le bien et le mal. Un dicton espagnol (je crois) énonce que « Le ventre domine la tête ». C’est terriblement vrai et douloureusement pathétique car, au fond, nous cédons à l’instinct quand l’esprit n’a plus de prise. Alors, blâmer celui qui est égoïste n’est pas justifié, si ce n’est parce qu’il pourrait, éventuellement, comprendre que, grâce à lui, le monde pourrait s’en trouver que meilleur.

Et moi, là, je songe à la respiration que personne n’entend ou presque, à ce souffle court, haché, qui fait monter et descendre une poitrine fatiguée. Je songe à ce gosse souffrant d’une terrible maladie, prisonnier d’un cocon d’hôpital, prisonnier des murs blancs d’un bâtiment qui lui tiennent lieu de cuisine, de chambre à coucher, et de salle de jeu. Ecoutez le, ce râle sifflant, ce sommeil pénible que la science n’arrive pas à traiter. Sentez sa vie qui s’agite, ce corps malingre et chétif qui supplie le monde de lui venir en aide. Etes-vous sensibles à cette douleur ? Seriez-vous devenus trop égoïstes pour punir l’enfant pour les péchés de nous autres, adultes sans cœur ni générosité ? Il ne s’agit pas de donner de l’argent, de donner du temps, ou même d’agir autrement que d’y penser. Votre voisin n’est pas plus l’ennemi que celui qui a une autre couleur de peau. Pourquoi se retourner vers la haine quand la peur prend le pas sur le courage de découvrir la différence ? Ce gosse n’a pas demandé à vivre dans une bulle, ce dont il rêve, c’est de courir dans un parc sans nuage pollué, c’est de jouer au ballon avec ses camarades, c’est d’enlacer sa mère sans qu’elle soie vêtue d’une blouse blanche et d’un masque de protection. Lui, il est le symbole même de notre déchéance, il représente tout ce qu’il y a de plus mauvais en nous. J’entends déjà celui qui dit qu’il n’y a rien de symbolique. Alors que l’on m’explique comment l’on peut tolérer la douleur dans la chair de notre chair, comment l’on peut se venger sur le visage d’un gosse qui n’a d’autre ambition que d’être aimé.

A tous les tenants de la force humaine, à tous ces gens qui, sous couvert de représentativité, qu’ils m’expliquent ce qu’il y a de mal à aimer son prochain. On se vautre dans notre canapé, on presse un bouton, et les images de souffrance disparaissent comme par enchantement. Plus de favelas, plus de mines dans le désert, plus de traque aux enfants dans les rues de Rio, on fait tout s’envoler dans le bruit sourd de l’extinction de l’appareil à mauvaises nouvelles. Et la justice là-dedans ? Quelle équité ? Je suis ému par ceux qui se vouent à une cause, je suis troublé par le regard adulte du gosse né là où l’humanité s’effondre, je suis blessé par cette main perdue à cause d’une BASM (Bombe à sous munitions) ressemblant un peu trop à une ration alimentaire, et je suis torturé par les larmes de ce bambin qui n’aura pas son repas, comme n’importe lequel des enfants devrait avoir sans supplier les miettes des puissants.

Nous n’avons qu’une seule vie. On l’emplit tant qu’on peut de souvenirs, de sentiments et de bonnes choses. Certains tentent de combler leur solitude par la possession, d’autres s’emplissent de chaleur en s’offrant sans compter aux autres. S’il était une règle vitale que nous devrions accepter, c’est que chacun peut et doit être entier, sans mensonge, sans illusion non plus. Vais-je me glorifier d’être meilleur que ceux qui ne donnent pas ? Quelle gloire à aimer ? La gloire d’aimer c’est pour soi, c’est sentir chez les autres le bonheur de vous revoir, le plaisir de vous enlacer, et surtout l’envie de vous donner en retour cette même tendresse. Lorsqu’on fermera la tombe d’une pierre, c’est à ce moment précis où je pourrai, je l’espère, sentir que j’ai agis pour les autres afin que moi, égoïstement, je sois bien. Car au fond, moi aussi, je respire difficilement, comme cet enfant. Je respire difficilement de ne pas toujours voir de la générosité dans les yeux d’autrui, j’étouffe de me savoir aussi ordinaire que les autres. Comme l’a dit un grand musicien que j’adore. Monsieur Servat, merci à vous.

« L'hydre du fascisme est en chacun de nous. Chaque soir je la décapite. Chaque nuit, ses têtes repoussent dons ma tète. Parfois, elle me soumet. Parfois, je suis vainqueur. En moi l'intolérance, moisissure fadasse que je ne vaincrai jamais définitivement. Mais, sans relâche, je décapiterai le monstre. Jamais je ne prendrai la Kalachnikov pour imposer mes idées, ma loi ou ma croyance. J'ai trop peur d'avoir tort! ».


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