21 janvier 2009

Sous les armes

Si l’on se réfère aux informations communiquées au quotidien concernant les périmètres d’intervention de l’armée française, on peut aisément identifier des territoires étrangers où nos troupes sont stationnées : Côte d’Ivoire, Tchad, Afghanistan, Sénégal... On peut donc préciser sur une carte où ces soldats (souvent d’élite d’ailleurs) agissent selon divers mandats : force d’interposition de l’ONU, maintien de la paix voire même soutien à un gouvernement ami. Jusque là aucun problème majeur si ce n’est le choix de maintenir ou non des troupes. Bien entendu ces actions sont autant dictées par la politique extérieure de la France que par les impératifs économiques internationaux. Somme toute il est donc raisonnable d’identifier que nos troupes agissent de manière relativement légitime. Là où la présence de forces devient délicate à accepter ce n’est pas quand l’uniforme est français, c’est quand le dit uniforme n’appartient pas à une force précise... C’est ce que l’on appelle les mercenaires.

Observons la carrière du personnel de l’élite de nos troupes, incluons les trajectoires des membres du RAID, GIGN ou du GIPN qui sont assez proches de celles des soldats de l’actif, et réfléchissons à l’avenir de ces hommes très bien formés et entraînés. Globalement ces soldats (ou policiers agissant comme des militaires ainsi que des gendarmes qui sont des militaires de fait) peuvent agir sur une période temporelle relativement faible car l’âge peut devenir un handicap pour la performance physique en opération. De plus le stress, les conditions rudes de combat incitent généralement à réduire encore un peu plus cette carrière. De là, que deviennent-ils ? On ne retourne pas dans le civil comme l’on change de métier pour une reconversion professionnelle. Alors, si abandonner la vie spartiate, le contact des armes et la hiérarchie s’avèrent difficile, autant se recycler dans un métier très proche de celui de servir sous les drapeaux. C’est là qu’interviennent une nouvelle économie, une nouvelle ressource humaine : la sécurité internationale.

Pour comprendre l’intérêt de ces sociétés il faut regarder le monde avec énormément de recul et s’octroyer une froide analyse des enjeux économiques. De plus en plus de nations sont instables et deviennent des terreaux fertiles pour le terrorisme, la criminalité internationale ou locale, et finalement les intérêts des grandes entreprises s’en trouvent menacés. Par exemple il est de plus en plus complexe de voir un cargo traverser les eaux à proximité de la Somalie où règnent des pirates bien équipés, bien armés et qui profitent de complicité au sein d’un état corrompu. Comment y pallier ? Offrir une force d’intervention de sécurité fondée sur l’expérience militaire et agissant sans véritable légalité. L’essentiel est de ménager les susceptibilités... mais tuer une dizaine de pirates assassins et violents ne semble pas vraiment être une difficulté. De fait, nombre d’entreprises se sont spécialisées dans l’information et le conseil en sécurité physique des biens et des personnes, et ajoutent une activité de protection paramilitaire capable d’agir comme n’importe quel commando partout dans le monde. En termes plus explicités, c’est bien de mercenariat dont il s’agit : des soldats qui se vendent aux plus offrants.

Continuons la démarche. L’état français investit de grosses sommes dans la formation de ces soldats d’élite et leur apprennent aussi bien comment tuer qu’utiliser des équipements très spécifiques : pilotage de véhicules, guerre de l’information, sabotage, minage déminage... En gros cette expertise devient alors une manne de professionnels aguerris propres à agir sur des ordres précis et qui plus est avec une efficacité bien supérieure à toute formation fournie par ces sociétés. Dans le cas d’une présence paramilitaire on ne peut donc que croire que leurs mandats ne se cantonnent pas seulement à la préservation des intérêts économiques vu que les ministères de tutelle que sont ceux de la défense et de l’intérieur sont en contact permanents avec ces structures. On sous traite donc la sale besogne, on mandate des privés pour faire le boulot que le public ne saurait tolérer de soldats portant le drapeau français à l’épaule. Ce qui est inquiétant c’est que le potentiel humain serait insuffisant pour être efficace, il y a également la logistique qui se doit d’être impeccable. Par le passé Bob Denard fut arrêté pour son rôle dans les divers coups d’état aux Comores, mais lorsqu’il se mit à menacer ouvertement l’administration française de devenir bavard tant les médias que les ministères devinrent très silencieux. Accords ? Négociations ? Allez savoir, mais l’essentiel est là : les barbouzes sont devenues des sociétés privées qui ont une capacité d’intervention très forte, voire supérieure à celles de certaines nations !

Bien que ces points soient déjà très délicats, ajoutons également que le côté militaire n’est pas le seul aspect de la privatisation des guerres. Les compétences des agents ayant œuvrés dans le secret sont aujourd’hui des mines d’or à exploiter de toute urgence. Ex KGB, STASI ou l bien les anciens agents de la DST/DGSE sont à présent des ressources humaines très recherchées. De fait, les grandes entreprises n’hésitent plus à faire appel à ces experts de l’intoxication, à ces pros de la surveillance pour traquer tant l’espionnage industriel qu’en faire usage pour surveiller les adversaires économiques. A très court terme on peut donc légitimement suggérer que les oligarques financiers se tourneront vers ces services « spéciaux » pour agir dans l’ombre des gouvernements et même envisager de déboulonner le chef d’état pas assez sensible à leurs arguments. Aurait-on autorisé de déporter la compétence vers le privé si l’on n’envisageait cet aspect ? A mon sens offrir un tel service c’est potentiellement autoriser que l’on devienne la cible de ses anciens « serviteurs »...

La globalisation a cet effet pervers : la guerre peut être exportée sans de grosses difficultés, l’intervention paramilitaire peut être montée en quelques jours (voire quelques heures !) et qui plus est les moyens financiers mis en branle sont gigantesques. Voir qu’une société offre ouvertement des services tels que (je cite) :
  • Analyses des modes opératoires terroristes,
  • Sécurisation de sites et de convois en zones de conflits,
  • Description d’une menace, typologie des agresseurs et des agressions,
  • Mode d’agressions terroristes,
  • Vérification et fouille d’un véhicule, d’une chambre d’hôtel, d’une salle de conférences,
  • Procédures de secourisme en milieu hostile, massage cardiaque, évacuation, transport ...
  • Manipulation de diverses armes de poing et d'armes longues utilisées en protection, présentation et utilisation de plusieurs modèles,
  • Les protections balistiques utilisées, les munitions, les protections individuelles,
  • Les aspects législatifs en vigueur à l'étranger,
  • Tir en situations spécifiques (obscurité, éblouissement, sortie de véhicules),
  • La protection armée en solo ou en binôme, les techniques de dégainés (intense).
  • Prévention des risques d'embuscades et mise en application de contre-embuscades (instruction Group Alfa),
  • Extraction de cibles, investigation de bâtiments (les reconnaissances, arrestations et extractions),
  • Mise en application de Protection de convois, de sites, et de Hautes autorités.
Tout ceci sous-entend donc très clairement du combat commando avec du personnel totalement prêt à intervenir. Pour préciser, le groupe alfa est le nom du groupe d’intervention équivalent au GIGN... En Russie. C’est un triste constat : nos experts deviennent les formateurs de ceux qui paient le mieux. D’ailleurs, certaines entreprises de ce marché se sont ouvertement présentées comme formant des troupes sur le territoire irakien, ceci afin d’aider les forces américaines dans leur besogne de transition entre l’occupation et le retour à un état souverain. Savoir que des hommes d’actif français prennent des congés pour toucher gros dans ce genre de missions me terrifie car à terme cela sous-entend que non seulement nous sous-traitons les conflits mais que ceux-ci pourraient s’importer directement dans l’hexagone. Que l’on ne raconte pas n’importe quoi : bien des pays acceptent d’héberger des camps d’entraînement et donc offrent un terrain propice à la préparation d’un coup d’état par exemple.

Je vous fournis une des entreprises de cette nébuleuse, ainsi qu'un reportage France 2 sur la question... (Le site fonctionnait hier, à l’heure où je dépose ce texte ce n’est pas le cas mais il sera probablement remis en ligne d’ici peu de temps).
Lien vers la société IFS2I Consulting

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