28 janvier 2009

Protéiforme

La mutation perpétuelle des sociétés a une conséquence fort surprenante et particulièrement difficile à tracer au quotidien : les gens changent très vite d’opinion. Quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, tôt ou tard les opinions varient et s’étiolent. D’une certaine manière ce qu’on pouvait penser hier devient aujourd’hui ridicule et continuer à soutenir une ligne de conduite peut être assimilé au mieux de la nostalgie, au pire à du passéisme malsain. Pourtant, quelle est la véritable problématique dans ce phénomène ? Evoluer n’est ce pas là changer, s’améliorer, réviser ce que l’on pensait être un fondamental immuable ?

Dans un premier temps on pourrait donc élégamment croire que c’est en bien que les mentalités progressent, mais hélas on ne peut que renier ce principe. Il est de notoriété publique que chaque crise a pour conséquence de provoquer le plébiscite des extrêmes, le retour à un nationalisme teinté de fascisme, et que pardessus le marché les institutions sont systématiquement battues en brèche. N’oublions pas l’histoire : toutes les dictatures se sont instaurées suite à des crises majeures, tous les despotes profitent de l’effondrement de la nation pour soi-disant « la rebâtir en mieux ». Certes, ce n’est pas l’immobilisme et le renoncement qui saurait être bénéfique, mais je rappelle toutefois que tous les messies ne sont pas bons à suivre.
Ces dernières années furent par exemple notablement pénibles pour l’extrême droite : économie stable, capacité de production et d’emploi crédibles, financement international en pleine embellie, bref de quoi rassurer les petits épargnants et donc leur offrir un répit dans la rhétorique frontiste. Hélas, dès que le mouvement d’écroulement de l’économie mondiale s’est engagé il est notable de constater que les médias virent réapparaître les « parasites du PAF » : Jean Marie Le Pen réapparaissant comme par enchantement pour dénigrer le gouvernement, le clownesque et déprimant Dieudonné rebondissant, une fois de plus, sur des propos aussi déplacés qu’ineptes, bref un retour aux vieilles mauvaises habitudes. Alors ? Pour une opinion publique supposée progressiste nous sommes encore capables de faire revivre des fantômes malsains.

Là où tout cela devient encore plus dramatique c’est que plus la crise est grave, moins l’on est tatillon avec les libertés fondamentales. Censure, réduction des droits de la presse (en leur sabordant discrètement leur financement), augmentation du nombre d’agents de contrôle, retour à une phase de propagande menée tambour battant, tout est fait pour autant rassurer le quidam concernant son portefeuille que pour sa propre sécurité. Qu’on se le dise : cette méthodologie n’est pas l’apanage de notre président, cela fut tout aussi bien utilisé par les présidents de la pseudo gauche que de la diverse droite. Ouvrons les yeux : la méthode sécuritaire est redoutable pour enclencher un régime d’acceptation tacite, et il n’est que probable que les gouvernements dans le monde reviennent sur cette façon de faire, du moins pas à un horizon de cinq ans. On clame que Obama est un réformateur... Hélas il sera comme tous les chefs d’états : prisonnier d’un système complexe et opaque, incompétent pour traiter tous les problèmes, et il servira d’alibi aux oligarques si les réformes échouent. Au mieux, si la crise s’amenuise suffisamment pour rassurer les riches, ces mêmes dictateurs en col blanc viendront se vanter d’avoir soutenu le candidat tout au long de sa campagne. Simple, peu coûteux en regard des avantages financiers, et au final redoutable en terme de levier politique.

Les seules évolutions du discours sont plus insidieuses, curieusement plus discrètes et pourtant tout aussi majeures. Que le sujet soit social (avortement, pilule...), économique (aide aux entreprises, participation de l’état dans les grandes sociétés...) ou juridique (changement du statut du père, multiplication des divorces, abolition de la peine capitale...), les idées neuves deviennent des idées normales quand elles prennent leur temps pour être dans les mœurs. On n’impose pas réellement le changement, on doit l’injecter et attendre patiemment que le virus « idée neuve » se mêle, prolifère, puis finalement vienne à bout des dernières résistances. Le mariage mixte par exemple était encore il y a peu très mal perçu : aujourd’hui le métissage semble tout à fait commun et même souhaitable. Qu’est-ce qui a fait que cela s’est mué en une normalité jadis classée comme une tare ? Tout simplement la multiplication de ces couples mixtes, les naissances métisses, ainsi qu’une visibilité de plus en plus forte des minorités supposées dans les médias. Nous avons enfin des présentateurs qui ne sont pas blonds aux yeux bleus, nous avons enfin des présentatrices à la peau foncée, et enfin nous pouvons dire sans honte que la France progresse contre le racisme. Hélas, le racisme, l’intolérance, la xénophobie sont des refuges pratiques car ils empêchent l’inconnu, ils détruisent le changement plus violemment encore que n’importe quelle répression d’état. Rappelez vous ceci : le changement, c’est par une attitude individuelle qu’il devient une normalité générale ! De fait : agissez, changez les mentalités en faisant en sorte de redonner du pouvoir à votre voix dans les urnes, ne négligez plus de partager vos connaissances, et soyez prudents quand on vous dit que la révolution fera tout. La révolution, c’est le train qui vient heurter le mur des dictateurs, mais c’est souvent celui qui transporte son remplaçant... en pire bien souvent.

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