21 novembre 2008

A Manon

Pour ceux qui se demandaient de qui je parlais hier soir via cette vidéo, je ne peux qu’exprimer plus précisément qui elle était et comment elle a vécu. En aucune manière il est simple de parler d’une personne disparue d’autant plus quand on a des sentiments forts pour celle-ci. Cependant, j’éprouve l’envie de vous parler un peu d’elle et ainsi faire remonter à la surface des souvenirs la concernant, qu’ils soient agréables ou non. A toi Manon je dédie donc ces quelques lignes aussi vaines que nostalgiques.

Plein de gens vous affirme qu’il est impossible de bâtir une relation saine via un réseau comme Internet. Entre clichés pédophiles et transformisme moral facilité par l’anonymat, discuter avec une inconnue et lier avec elle une relation forte semble invraisemblable... et ce fut pourtant le cas. J’ai connu Manon par l’intermédiaire du réseau lors d’un de mes égarements verbeux sur un tchat. Tout se fit avec aisance car de par ma virulence et sa grande tendance à dire ce qu’elle pensait nous ne pouvions que nous comprendre ! Peu à peu nous nous dévoilâmes, lentement, avec la pudeur des grands timides que sont les grandes gueules. « Quel âge as-tu ? », puis vient « es tu seule ? », pas à pas nous nous laissâmes porter par une amitié toute fraîche et visiblement taillée pour durer un petit moment. Cela arrive parfois : on a cette conviction que cela va être dans la durée et que le virtuel n’empêchera pas pour autant une véritable relation. Habitant Nice elle ne pouvait pas me rejoindre en banlieue parisienne, et inversement je ne pouvais pas me libérer aisément...

Puis un soir elle m’avoua son handicap : paraplégie. Quelle importance à mes yeux ? Aucune, le handicap ne définit pas la personne, c’est la personne qui se définit par elle-même. Bien sûr nous eûmes de grandes conversations sur le comment, le pourquoi, les conséquences, bref sur sa vie et sur comment elle envisageait l’avenir. Posez vous la question : comment vivre quand vous vous rendez responsable de la mort de votre mère ? Manon conduisait la voiture, un homme ne respecta pas le code de la route. Sa mère périt et Manon y laissa bien plus que l’usage de ses jambes. Le choc avait été si grave qu’en chirurgie ils durent se résoudre à lui ôter tout ce qui pouvait représenter sa féminité. Ainsi, non seulement sa jeunesse venait de se briser mais sa capacité à enfanter disparut dans le même accident. Difficile à assumer pour une jeune femme de 20 ans à peine. Vous mesdames et mesdemoiselles, vous êtes les mieux placées pour comprendre cela je pense.

Si seulement elle avait pu ne pas avoir de séquelles. Morphinomane de fait à cause de la douleur, régulièrement réopérée puis mise en tension (c’est un supplice terrible que je ne souhaite à personne), elle souffrit régulièrement le martyre en évitant toujours de se plaindre. Seule sa voix au téléphone trahissait sa souffrance, seule cette voix s’éteignant chaque jour un peu plus racontait sans faux semblant la douleur d’être alitée ou de souffrir d’escarres à force d’être assise. Elle ne craignait plus la mort, elle craignait de rendre triste son fiancé qui était fou amoureux d’elle. Comment le lui reprocher après tout ? C’est tellement plus douloureux de voir les autres souffrir avec vous que votre propre souffrance en soi. Je n’ai jamais maudit ce conducteur, était-il un criminel, un bourreau, que sais-je, un assassin au volant ? Je ne peux pas me permettre de lui reprocher quoi que ce soit vu qu’elle lui avait déjà accordé l’absolution. C’est ainsi, elle porta jusqu’au dernier moment le fardeau d’avoir été au mauvais endroit, au mauvais moment.

J’écoute parfois son témoignage enregistré qu’elle m’a laissé comme épitaphe. Pas de plainte, pas de remord, juste la sensation que la prochaine chirurgie aura raison de ses dernières forces. J’eus beau tenté de me convaincre que de la convaincre qu’elle avancerait coûte que coûte, je pense qu’elle savait déjà qu’elle ne vivrait pas suffisamment longtemps pour qu’on se rencontre enfin. J’avais enfin réussi à débloquer un déplacement dans sa région, ou du moins à proximité afin de nous voir après ces mois de discussion. Peine perdue, le déplacement fut reporté à une semaine, semaine durant laquelle Manon décéda. J’appris la nouvelle par son fiancé qui décida de rester auprès de son « beau père » qui lui décéda il y a environ un an d’une crise cardiaque. La vie est immonde parfois, on écrit souvent sur les actes manqués et pour ma part j’ai le regret impossible à soigner de ne pas avoir pu être là pour la soutenir autrement que par l’écrit ou par la voix.

Elle était si drôle avec son sens de la dérision. « Je suis partie faire un footing », ça c’est du répondeur pour une paraplégique non ? Et puis visionnez à nouveau la vidéo de la veille, vous écouterez attentivement les paroles et les comprendrez très différemment. C’est elle qui m’a fait découvrir les Wriggles et ce magnifique morceau. Merci pour elle.

Si vous sentez que quelqu’un vous est cher, si vous sentez cette énergie, ne baissez pas les bras, avancez, donnez-vous les occasions que la vie vous refuse...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il y a, comme ça, des personnes qu'on regrettera toujours de ne pas avoir connu plus tôt, et surtout mieux et plus longtemps ...