03 novembre 2008

Le bonheur terrestre

J’y aspire, j’en ai envie et pourtant je me demande si je suis le seul à croire que la simplicité d’une existence sans heurt saurait satisfaire mes élans de cœur. Outre l’imagination débordante des humains pour imaginer des solutions efficaces et peu onéreuses pour s’annihiler, nous concevons et distribuons en masse tout un tas de choses aussi inutiles que parfaitement indispensables au bonheur. Devrais-je vous en faire un inventaire pour que vous compreniez de quoi il s’agit ? Nul doute que tous nous sommes confrontés à ce superflu et même superfétatoire qui pollue tant nos campagnes que nos étagères regorgeant de trésors tels que la yaourtière ne servant qu’une fois la décade, l’aspirateur de table jamais chargé ou bien l’infâme poisson chanteur à détection de présence dont on s’empresse de couper le sifflet tant il pourrit la vie des gens habitant sous votre toit. Entre bénéfices substantiels pour des industriels soucieux de vendre des produits ineptes et le goût immodéré pour l’idiot de la part des clients, il y a tout de même des chercheurs, des cerveaux, des besogneux qui décortiquent nos besoins pour en extraire l’essence... et nous pondre le chauffe tasse en USB ou bien le réveil affichant l’heure au plafond.

Vous me trouvez moqueur et ironique ? Je concède fort bien qu’il existe gadget et gadget et que dans certains cas ils s’avèrent aussi précieux qu’ils semblaient superflus l’heure d’avant. Petit aparté : on m’avait vanté les mérites des bombes anti-crevaison qui traînent dans les coffres des prudents. Peu convaincu mais toutefois séduit j’en avais laissé une dans ma voiture... et bien mine de rien la chose me fut très utile pour rejoindre un garage qui se fit une joie non seulement de me changer le pneu crevé incriminé mais aussi de me facturer le nettoyage de la jante souillée par le dit produit. Bon d’accord, l’exemple est mal choisi mais à tout prendre j’ai économisé un remorquage ! Dans ces conditions je n’ai rien contre ce qui semble (je dis bien semble) inutile, mais de là à cautionner les immondices qui couinent, sautent et clignotent et qui n’ont d’autre utilité que celle-là, pardon mais j’ai du mal. Et puis, poussons le discours sur le terrain de l’écologie : à quoi bon nous vendre des trucs aussi peu « bio équitables », rarement issus du recyclage et qui finissent presque systématiquement dans l’amoncellement de nos décharges aussi publiques que répugnantes de nos excès. Il ne s’agit pas tant de morale que de bon sens : un « truc » qui fonctionne avec des piles mais où les dites piles sont inaccessibles, lorsque cela échoue dans nos déchets, est-ce écologique ?

« Je ne dois pas être comme tout le monde » disons nous Forrest Gump et moi en nous regardant dans la glace. Je n’ai aucun penchant pour ces babioles qui en font des tonnes tout cela pour épater la galerie. A quoi bon les strass si derrière cela ne fonctionne pas ? En dépit d’un attrait pour la technologie je reste toutefois convaincu qu’à force de vouloir trop en faire à la fois on finit par se surcharger de choses dont on peut encore se passer. Un collègue eut une réflexion des plus symptomatiques concernant ce phénomène. Je le cite pour la bonne bouche : « J’ai demandé à un vendeur un téléphone qui ne faisait QUE téléphone, il m’a regardé avec un air des plus ahuri ! ». Voilà ! Un téléphone portable, est-ce une console de jeu ? Lui qui voulait n’avoir que la fonction élémentaire de l’appareil, le seul qui lui sembla combler son besoin fut non seulement le moins cher, mais bien entendu le moins « design ». De toute façon il apparaît à l’usage que ce téléphone est une petite merveille par un son très propre et une autonomie autrement plus acceptable que la moyenne.

Et au fond, si nous nous encombrons de ces babioles sans utilité, n’est-ce pas aussi pour combler un manque personnel ? Loin du collectionneur qui lui s’amuse de ces choses, lorsque l’on s’offre ces machins dont on oublie très rapidement l’existence dans un tiroir, n’est-ce pas la fièvre de l’achat qui nous dicte ? Une personne dont je tairai tant le nom que sa relation avec moi (n’allez pas chercher quelque chose de graveleux tas d’obsédés) m’a déclaré un soir « Je crois que certaines femmes achètent par impulsion uniquement dans le but de se sentir exister ». Je connais des hommes qui fonctionnent aussi de la sorte lui répondis-je avec aplomb. Il acquiesça, se gratta l’occiput et regarda au lointain en soupirant « Va savoir si je ne fais pas ça moi aussi ». Finalement c’est à douter de la santé mentale naturelle de chaque être humain : nous consommerions donc plus pour le plaisir de le faire que par pure nécessité. Ceci expliquerait aussi le plaisir que certains éprouvent à tuer au lieu de le faire uniquement dans le cas extrême où l’on est tenu de se protéger...

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